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30 août 2007

Locus nominis

Sylvanus était le dieu romain des frontières. A l'origine il était plus exactement le dieu des lisières de la forêt. Les Romains définissaient la forêt " ce qui n'appartient à personne". Res nullius.
"Lieu de personne". Locus nominis.
Le mot latin nemus (qui dit le bois) vient de nemo (personne). Res nullius s'oppose à res publica. La chose sauvage s'oppose à la république.


Pascal Quignard (Paradisiaques, Folio/Gallimard 2005, p. 171)

Je suis heureux de reprendre sous les auspices de Pascal Quignard (mal vu par quelques imbéciles qui pratiquent l'autodafé à grands coups d'huile de vidange), dont ce quatrième tome du Dernier royaume est encore d'une prodigieuse richesse.
Heureux aussi bien sûr parce que ce passage recoupe mes propres conclusions après l'inventaire des lieux Souvigny, à savoir l'association très forte entre forêt, frontière et le Sylvain dissimulé dans l'étymologie des Souvigny.


bbe971eb733006da423bb1af3665897f.jpg Que la forêt, "lieu de personne", fasse souvent frontière doit par ailleurs nous amener à reconsidérer notre perception moderne de celle-ci. Nous sommes trop habitués à la visualiser ainsi que  sur nos cartes comme le tracé d'une ligne fermement dessinée. D'un pas, nous enjamberions la frontière. Les frontières antiques  se présentent rarement avec cette netteté : on passe insensiblement d'un pays à l'autre, d'une civitas à une autre, par la traversée d'un "désert", d'une lande, d'une forêt, terre de personne, terre sauvage. Ce sont là les "marches", ces espaces intermédiaires entre deux territoires souvent ennemis.
On pourrait penser que les rivières, frontières "naturelles",  infirment ce schéma, et  remettent de la linéarité dans  ce processus. Cela est vrai dans une certaine mesure, mais les limites des cités gauloises - qui ont largement  déterminé celles des diocèses et jusqu'à celles des départements - ne s'appuient pas toujours, loin de là, sur  le réseau hydrographique. Et même là où c'est le cas, ce n'est pas à tous les coups le cours d'eau lui-même qui fait office de frontière, ainsi que le rappelle Françoise Dumasy :
"On remarque par ailleurs qu'un certain nombre de tronçons frontaliers s'appuie sur les rivières, non pas sur le lit même comme on l'a trop souvent dit, mais sur la ligne de crête qui sépare deux vallées. C'est ainsi qu'au nord, la vallée de la Sauldre et de ses affluents est biturige, alors que celle du Beuvron est carnute. C'est ainsi qu'au sud-ouest, la limite passe entre Anglin et Creuse et à l'est, entre Aubois et Allier."(Le Berry Antique, Atlas 2000, 21ème supplément à la Revue Archéologique du Centre de la France)


On retrouve cette notion de la frontière comme espace sauvage dans la grande civilisation chinoise qui n'a de cesse de géométriser le monde, mais qui ne pose pas de limite abrupte entre son espace personnel et celui des peuples barbares qui l'environnent. Le géographe Augustin Berque* cite un passage des Mémoires historiques de Sima Qian (145-86) présentant  le royaume Xia comme un emboîtement de carrés : au centre, la ville royale puis la zone sous administration royale, puis celles des fiefs et des harnais suifu. La quatrième zone est celle  des forts yaofu. Au-delà, "s'étend sur cinq cents li la zone des friches huangfu. En deça de trois cents li, ce sont les terres d'habitat sédentaires des Barbares, et sur les deux cents li au-delà, ce sont les terres des Barbares qui nomadisent sans construire de villes." (Ecoumène, p. 41)

_________________________
fcb511117d5fdfdb84b3a08a53389c92.gif *On se souvient peut-être que j'avais imprudemment programmé l'été précédent la lecture de son livre,  Ecoumène, introduction à l'étude des milieux humains. Je n'en avais rien fait hélas, aussi suis-je satisfait d'annoncer que cet été, enfin, un an plus tard...,  j'ai réalisé ce  voeu pieux. Je m'en félicite d'autant plus que cet ouvrage, ainsi que je le subodorais, est véritablement passionnant (même s'il est parfois ardu en certains passages, par exemple lorsqu'il questionne le Timée de Platon ou les concepts heideggeriens) car  il apporte une lumière cruciale sur la compréhension des relations de l'homme avec son milieu naturel et humain et donc permet de mieux saisir la pertinence et la cohérence de la géographie sacrée. J'aurai certainement l'occasion d'y revenir.

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10 juillet 2007

Inventaire des Souvigny

Quatre lieux nommés Souvigny sont recensés en France. L'idée m'est donc venue de mener une petite enquête sur chacun d'eux, afin de voir si des points communs les rassemblaient au-delà de la dénomination. Je n'insiste pas sur Souvigny en Allier, dont j'ai déjà beaucoup parlé (même si certains éléments importants n'ont pas encore été évoqués, mais cet inventaire sera précisément l'occasion de le faire), et je porte d'abord mon attention sur les trois autres Souvigny.

1. Souvigny-en-Sologne


Petit village de 419 habitants, dans le Loir-et-Cher, Silviniacus en 938, vestiges préhistoriques et gallo-romains, église Saint-Martin du XIIème siècle, fête de la Saint-Blaise (31/1).


 
Deux observations importantes : on voit bien sur la carte que, d'une part Souvigny-en-Sologne est cerné par la forêt, d'autre part il est situé à l'extrémité du département, en un point de contact entre Cher, Loiret et Loir-et-Cher, en limite des anciens diocèses de Bourges et d'Orléans.



2. Souvigny-de-Touraine

Ce village  est proche d'Amboise, l'ancienne capitale des Turons,  cité royale depuis  la Guerre de Cent Ans jusqu'au XVIème siècle.

Extrait de la présentation du site cg37 :


"Souvigny-de-Touraine est un village en grande partie boisé et traversé par le cours sinueux de l'Amasse qui faisait autrefois tourner jusqu'à cinq moulins.
Le nom de Souvigny apparaît pour la première fois au XIème siècle (Salviniacum du latin Silva : forêt). De l'occupation néolithique, on passe à un habitat gaulois, puis gallo-romain.
Le village s'est développé autour de l'église actuelle construite au XIIème siècle, sur l'emplacement d'un ancien édifice religieux : des fonts baptismaux datant du Vème-VIème siècle en témoigne et dans son enceinte un préau a été récemment bâti.
Un lavoir construit à l'emplacement d'une ancienne fontaine sacrée gauloise a été remis en valeur.
"



Le porche de l'église du village, placée sous le vocable de Saint-Saturnin, est  orné de signes du zodiaque entourant l’Agneau pascal.
Là encore, on constate que le village est  au centre d'un important massif forestier, et à la limite d'un département. Une ancienne carte des diocèses montre qu'il était proche du carrefour de l'archevêché de Tours avec les deux évêchés de Blois et d'Orléans.



3. Souvigny (dans les Yvelines)

Ce Souvigny, signalé par ViaMichelin, a été le plus difficile à repérer. En effet, le site donnait l'emplacement sans préciser le nom, et la carte Michelin plus précise restait muette sur un quelconque Souvigny.
Seul renseignement exploitable : le lieu faisait partie de la commune de Boissière-Ecole, qui fut au Moyen Age fief de la châtellenie de Saint-Léger.  Saint-Léger-en -Yvelines se dresse en effet à quelques kilomètres au nord-est, au coeur une nouvelle fois d'une région très boisée, en limite de la grande forêt de Rambouillet, elle-même vestige de l'antique forêt d'Yveline : "Important à l'époque gallo-romaine, le village de St Léger fut, avec son ancien château, résidence royale de 987 à 1203 et, de nouveau, de 1499 à 1875 avec le nouveau château-pavillon de chasse des rois de France. Entre les deux châteaux furent d'ailleurs installés les premiers haras royaux."

Heureusement, j'ai fini par mettre la main sur une carte datée du 17 septembre 1788, où Souvigny apparaît sous la forme Savigny, maison isolée à la lisière de la forêt, près de la route de Saint-Léger.

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Enfin, Saint-Léger se situe non loin de la limite des diocèses de Chartres et de Paris.

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Essai de synthèse


1. L'omniprésence de la forêt pour les quatre Souvigny étudiés nous autorise à abandonner l'hypothèse du nom propre romain pour expliquer leur étymologie : la silva est bel et bien motif central.


2. Le caractère royal de cette forêt est établi pour Souvigny-de-Touraine (forêt d'Amboise), et Souvigny en Yvelines (résidence capétienne). Souvigny en Allier, déjà honorée par la visite de papes et de rois,  fut longtemps sépulture des Bourbons à tel point qu'on a pu écrire que Souvigny était le Saint-Denis du Bourbonnais.

         Rappel : Souvigny en Allier
 

3. Le caractère frontalier des quatre Souvigny est également patent. Que Souvigny (Allier) et Souvigny (Yvelines) soient liés à saint Léger corroborent l'observation réalisée lors de l'inventaire des Saint-Léger, à savoir que la grande majorité des Saint-Léger prenant place  dans la géographie sacrée est située sur des marches, des points de contact entre plusieurs entités géographiques et politiques.


4. L'eau semble avoir aussi de l'importance : fontaine sacrée à Souvigny-de-Touraine ; à Souvigny (Allier), "les deux saints étaient représentés en gisant sur le tombeau, au centre de l’église. En dessous, il y avait une hypogée avec une source, où se rendaient les pèlerins."

Cet aspect est moins flagrant pour les deux autres Souvigny, mais Souvigny-en-Sologne, arrosé par un affluent du Beuvron, est tout de même au coeur d'une région d'étangs, tandis que le  Souvigny yvelinois se place juste à l'amont de la naissance d'un ruisseau.


5. Le zodiaque est figuré à Souvigny-de-Touraine ainsi qu'à Souvigny en Allier. En effet, la cité renferme une des pièces les plus extraordinaires de la sculpture romane, un fût en pierre octogonal de la fin du XIIe siècle dite la Colonne du Zodiaque (ou Calendrier de Souvigny), dont quatre faces sont couvertes de bas-reliefs :   mois de l'année, signes du Zodiaque, peuples et animaux étranges et fabuleux. Hélas, la colonne est mutilée,  la partie basse correspondant aux premiers mois de l'année a disparu.

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Cet inventaire des Souvigny semble donc  mettre en lumière un complexe cultuel situé sur des zones frontalières, au coeur d'un massif forestier, en relation avec les puissances souterraines incarnées par la présence de sources sacrées. Si l'on recherche quelle divinité celtique pourrait bien avoir été au centre d'un tel complexe, on ne peut que penser au Silvain gallo-romain,  assimilé au gaulois  Sucellus, le dieu au maillet que j'ai déjà évoqué au sujet de Levroux.

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07 juillet 2007

Alignements sylvestres

Si l'on parcourt le  méridien de Saint-Genou au delà de Sainte-Gemme, on découvre qu'après avoir franchi la Creuse il atteint le bois de Souvigny. Ce même bois de Souvigny, entre Luzeret et la forêt de la Luzeraize,  traversé obliquement par le grand axe de saint Léger venu d'Autun. Cette coïncidence est d'autant plus remarquable que ce toponyme est le seul Souvigny attesté dans l'Indre. Stéphane Gendron (Les Noms de Lieux de l'Indre, 2004, p. 22) lui donne la même étymologie qu'au Souvigny de l'Allier : nom propre romain Silvanius + -acum, ou bien dérivé de silva "forêt".

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Un seul village indrien, Sougé,  présente une origine analogue : S. Gendron fait dériver ce nom de Silvius (nom propre romain) + -acum, à comparer avec Sougé-en-Braye, dans le Loir-et-Cher, Silviacus au IIIème siècle. Mais il précise qu'on pourrait également voir dans ce nom un dérivé de silva. Or Sougé est une commune  proche de Saint-Genou, à peu près à mi-chemin de Levroux. On sait par ailleurs que l'histoire de Levroux est marqué par saint Martin d'une part et les saints Silvain et Silvestre d'autre part.
Cette proximité sémantique Sougé-Levroux est marquée sur le terrain par un alignement qui unit très clairement Saint-Genou, Sougé et Levroux (en prenant en considération non pas la cité mais le château au nord de celle-ci, ancien oppidum gaulois dominant la vallée de la Céphons).

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Un axe perpendiculaire à  cet alignement  Saint-Genou-Levroux passant par Sougé conduit à Selles-sur-Nahon, où la tradition place , on l'a vu, l'établissement de saint Genou (en le nommant la Celle-des-Démons). Est-ce pour contrebalancer cette mention démoniaque que l'axe va se ficher au sud sur Villedieu-sur-Indre, dont le nom fut donné par les moines de Saint-Gildas qui y édifièrent un prieuré ?
Enfin, signalons que tout près de Sougé, au point médian de l'axe Levroux-Saint-Genou, se trouve le lieu-dit Champillé, où Gendron mentionne la présence d'un ancien prieuré et d'une chapelle Saint-Léger, ce qui, compte tenu de la rareté des occurrences de saint Léger dans l'Indre, est particulièrement frappant.

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04 juillet 2007

Les naissances gémellaires

"Toutes les naissances sont des naissances gémellaires. Personne ne vient au monde sans accompagnement ni escorte."

Peter Sloterdijk (Bulles, Sphères I, Fayard, 2002, coll. Pluriel, p. 450)


adc2f41799da1be002d5a57acccf40a4.jpg Je vous dois la vérité : je  n'ai pas  encore  lu  ce livre  du philosophe allemand qui occupe pourtant un coin de mon bureau depuis 2004. Néanmoins j'ai l'impression curieuse de le bien  connaître, l'ayant si souvent manipulé, feuilleté, ouvert au hasard (il est accompagné, qui plus est,  d'une riche iconographie). Et c'est bien parce que, une fois de plus, j'ai pratiqué tout récemment une courte plongée dans ses abîmes (près de 700 pages d'une écriture serrée), que j'en suis ressorti avec la sensation d'y avoir aperçu un gros poisson. Le chapitre VI, intitulé Le séparateur de l'espace spirituel, m'offrait soudain une résonance inattendue avec les propres thèmes qui m'occupent ici. Sloterdijk y cite notamment un texte du rhéteur Censurinus, tenu à l'occasion du 49ème anniversaire de son mécène Caerelius, en 238 ap. J.C.

" Genius est le dieu sous la protection (tutela) duquel chacun vit dès sa naissance. Il tient sûrement son nom, Genius, de geno ("engendrer"), ou bien parce qu'il veille à ce que nous soyons engendrés, ou bien parce qu'il est lui-même engendré avec nous, ou bien encore qu'il s'empare de nous (suscipi) une fois que nous sommes engendrés et nous protège. Beaucoup d'auteurs antiques ont rapporté que Genius et les lares sont identiques." (De die natali, d'après l'édition allemande de klaus Sallmann, Weinheim, 1998 ).

Pour Sloterdijk, ce document "exprime clairement l'idée que pour les Romains, il n'existe pas un jour anniversaire unique - précisément parce que  chez les êtres humains, il ne peut jamais être question de naissances solitaires. Chaque anniversaire est un double anniversaire en soi ; on ne commémore pas seulement ce jour-là le prétendu heureux événement, mais plus encore le lien indissociable entre l'individu et son esprit protecteur, lien qui existe depuis ce jour coram populo."


Comment ne pas faire le lien avec saint Genou, dont le nom rappelle à l'évidence le Genius latin ? D'autant plus que Genou est très clairement désigné dans sa légende comme étant né à Rome en 230, autrement dit à la même époque que le texte de Censerinus. Et ce Génit, présenté parfois comme son père, parfois comme son compagnon, est l'indice même de la gémellité. L'ange gardien, le jumeau sont en effet des figures proches du Genius, décrivant la même relation unitaire essentielle :   Sloterdijk en donne une parfaite illustration à travers un extrait des récits de Mani (216-277 ap. J.C ), le fondateur du dualisme gnostique dont il reste la trace dans la langue d'aujourd'hui avec le péjoratif manichéisme :


"Lorsque la douzième année de sa vie fut arrivée à son terme, il fut saisi [...]par l'inspiration donnée par le roi du paradis de la lumière [...]. Le nom de l'ange qui lui porta le message de la révélation était at-Tom ; c'est du nabatéen et cela signifie dans notre langue "le compagnon" [...] Et lorsqu'il fut arrivé au bout de sa vingt-quatrième année, at-Tom revint vers lui et dit : " Désormais est venu le temps que tu sortes au grand jour."[...].

[...] Et Mani affirma être le Paraclet qu'avait promis Jésus."

 Sloterdijk : "La parenté du nom at-Tom avec l'araméen toma, le jumeau, saute bien sûr aux yeux. Le fait que le "compagnon" ou le syzygios de Mani ait effectivement les qualités d'un personnage de jumeau transfiguré ressort très clairement des récits sur la vocation de Mani selon le Code Mani de Cologne, mais aussi des sources du Moyen Iran :

 "Sortant des eaux m'apparut une (silhouette) humaine qui, avec la main, me fit signe de rester calme, pour que je ne pèche pas et que je ne la plonge pas dans la détresse. De cette manière, à partir de ma quatrième année et jusqu'à ce que j'arrive à la maturité physique, je fus protégé par les mains du plus saint des anges.[..]"(Bulles, pp. 472-473)


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Dioscorus et sa femme  © CMN

 

Une autre indice convergent nous est donné par la peinture murale de la chapelle Saint-Genoulph à Selles Saint-Denis, représentant sur une frise la vie du saint. Elle nous montre, entre autres scènes, celle où les deux compagnons (saint Genou et saint Genit ici désigné par un autre nom, saint Révérend) rencontrent le préfet de Cahors, Dioscorus, et sa femme.

 

Ce Dioscorus ou Dioscurus, d'abord hostile (il les jette en prison), puis converti à la suite de la résurrection de son fils,sera baptisé par Genou lui-même (scène représentée à la cathédrale saint-Etienne de Cahors). Or, ce nom fait bien entendu irrésistiblement penser aux Dioscures, Castor et Pollux, les Gémeaux de la Mythologie.


 Que faut-il penser aussi de Sainte-Gemme, dont le village se dresse, on l'a vu, au méridien de Saint-Genou ?  Outre que le nom même est littéralement  proche de la gémellité, la légende de la sainte nous apprend que  Gemme avait une soeur jumelle nommée Quitterie, sainte et martyre elle aussi. Il faut ajouter que leur naissance venait après celle de sept soeurs. Las de tant de progéniture féminine, désespérant d'avoir un héritier mâle, leur père, le  rude Caïus Catilius, gouverneur de la Galice, ordonne à une de ses esclaves de les noyer. Le peu clairvoyant soudard choisit une chrétienne qui  s'empresse de les confier à une famille  amie en un village éloigné.

Il faut noter encore que la mère des neuf soeurs, Calsia, était donnée comme issue d'une excellente famille romaine.

J'ai même trouvé une version de la légende où les neuf soeurs sont données comme jumelles, on la trouvera page 17 de la version Pdf du numéro 4 du Bourdon, bulletin périodique des Amis de Saint-Jacques de Compostelle en Aquitaine (septembre 1993). J'en extrais ici un passage significatif :

"L'histoire de Bazella [une des soeurs] est cependant la plus significative puisque son supplice donne lieu à un miracle immédiat récapitulatif de toute la fable : sa tête tranchée rebondit neuf fois, faisant jaillir neuf sources. Les habitants ont toujours conservé intact le lieu du miracle au milieu des champs et des vignes. Une petite chapelle antique et fruste, des filets d’eau courant au ras de l’ herbe témoigne pour une curieuse permanence hors du temps mémorial . Dix-neuf siècles peut-être ont passé sur ce lieu rustique rigoureusement inaperçu, sans changer quoique que ce soit à l' ordre naturel. Mais il est vrai de dire que les sanctuaires les mieux protégés sont les plus pauvres ... (Chapelle de Neuffonds:"neuf fontaines et neuf bonbs", à Sainte Bazeille près de Marmande.)
Ainsi, les neuf filles "jumelles" du proconsul de Galice converties par un disciple de Saint Martial, martyrisées sur les routes d’ Aquitaine et à l’ origine de neuf sanctuaires tracent, à l’origine de la chrétienté, un itinéraire inverse à celui qui sera et qui est déjà sous d’autres formes le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, établissent en termes de légende dorée qui voile à peine les symboles d’ un grand mythe cyclique, le lien entre Galice et Aquitaine."

J'ajoute que Bazella tire certainement son nom du celte batz, source, qu'on retrouve dans le nom du plateau de Millevaches, qui désigne non pas les sympathiques ruminants, mais les mille sources (mille batz) qui constellent son territoire et dont sont issues entre autres Vienne,  Corrèze et  Dordogne. Dans l'espace neuvicien, deux villages me semblent porter cette racine batz : Bazelat et Bazaiges. Le premier est creusois et le second indrien, mais les deux paroisses relevaient de Déols et sont alignées sur le même méridien. Et sur le parallèle de Bazelat nous relevons  Genouillac (également sous le patronage déolois) et Boussac-Bourg : or ce bourg d'origine romaine (Bociacum) présente la particularité d'avoir des églises jumelles : "Ce bourg possède deux églises 11ème/12ème se ressemblant beaucoup et placées l'une à côté de l'autre." (source : Quid)  L'une est dédiée à saint Martin (qui s'honore aussi d'une fontaine) et a été construite par les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.

 

Et je ne peux manquer d'être ébloui par la logique à l'oeuvre dans cette géographie sacrée neuvicienne puisque je retrouve à Boussac-Bourg le thème de la naissance à travers la superbe fresque murale du XIIème siècle représentant une Nativité décrite ainsi dans le site perso de D. Boucart :

"La chapelle primitive possède des fresques du XIIe siècle. En particulier, une scène de la Nativité qui est l'une des plus belles de l'art roman. La vierge, allongée sous une couverture bleue parsemée d'étoile, indique de l'index le christ couché dans son berceau. La tête de l'âne et la tête du boeuf le réchauffent de leur souffle."

 

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27 juin 2007

Vita Martini (4) : De Mars Condatis à sainte Gemme

La mort d'un saint n'est jamais anodine. Le lieu, la date, les circonstances portent un enseignement. Que le jour de cette mort soit devenu chaque fois jour de fête doit nous avertir sur le sens profond de la fête, dont nous avons à peu près perdu aujourd'hui la valeur sacrificielle qui s'y attachait. La mort de Martin ne déroge pas à l'usage. Examinons-la en détail.

Tout d'abord, elle n'a pas lieu à Tours, siège de son évêché, mais à Candes, une petite ville située, comme son nom étymologiquement l'indique (gaulois condate, confluent), à la rencontre des eaux de la Loire et de la Vienne. D'emblée, nous retrouvons la symbolique des flux mêlés qui s'est imposée dès le début de l'étude de Verseau. Les confluents sont toujours des lieux particulièrement sacrés dans toutes les mythologies, et une étude de la Société de Mythologie Française montre que "Le mot condate semble avoir gardé une charge religieuse spécifique et la proportion élevée de patronages dévolus à saint Martin pourrait être un indice de la christianisation du Mars celtique appelé parfois Condatis".

 

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Fronton du porche de l'église de Candes Saint-Martin


La raison officielle de la venue de Martin  à Candes est toutefois l'apaisement d' une querelle entre les clercs de l'endroit. Le devoir accompli, ses forces l'abandonnent et il est reçu le 8 novembre 397 "dans le sein d'Abraham". Le corps du saint va alors être l'objet d'une âpre lutte entre Tourangeaux et Poitevins  de Ligugé, accourus dès la rumeur de trépas prochain,  qui tous le revendiquent. Les Tourangeaux sont les plus malins car ils réussissent, selon les dires de Grégoire de Tours (Sulpice Sévère ne souffle mot du larcin), à escamoter nuitamment la sainte dépouille par une fenêtre et à la transporter jusqu'à Tours en remontant la Loire. Les obsèques  ont lieu le 11 novembre, jour  donc de la Saint-Martin.

"Selon la légende, est-il dit sur le site de saintmartindetours.eu, les Tourangeaux embarquèrent la dépouille du saint évêque dans la lumière et les chants ; tout au long de la remontée de la Loire du bateau funéraire, et plus particulièrement au lieu dit "le Port d'Ablevois" (Alba via - la voie blanche) à la Chapelle Blanche (Capella alba), aujourd'hui appelée La Chapelle-sur-Loire, les buissons des rives se couvrirent de fleurs blanches. C'est de là que vient l'expression "l'Été de la Saint Martin"."

Une semblable translation par voie fluviale a eu lieu, on le sait,  pour saint Genou, dont le corps fut  transporté de Palluau à Saint-Genou en suivant le cours de l'Indre (très court trajet d'ailleurs, dont on voit mal la nécessité matérielle, mais c'est le symbole qui importe bien sûr).


Mgr Villepelet place la fête de saint Genou au 20 juin (d'autres sources la placent au 17 janvier, comme celle de saint Sulpice). D'autres saints  sont fêtés bien sûr ce jour-là. Parmi eux, une certaine sainte Gemme, martyre en 109, jeune lusitanienne d'une grande beauté  ayant fui en Aquitaine la vindicte de son père, lequel voulait lui faire abjurer sa foi chrétienne.


Comme par hasard, le village de Sainte-Gemme (la commune s'honore aussi d'un dolmen dit de la Pierre-Saint-Martin) se place  exactement sur le méridien sud de Saint-Genou.

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