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Rechercher : Déols

Caput regni

J'imagine le scénario suivant :
 
A l'époque où le peuple gaulois des Bituriges (étymologiquement, les Rois-du-Monde) était le plus puissant de la Gaule et où les Druides avaient conquis une influence déterminante sur la société de leur temps, les deux centres sacrés les plus importants se trouvaient être Déols et Bourges (ils ne portaient évidemment pas ces noms-là), deux tertres entourés de marais, dont le compagnonnage symbolique sera constant au cours des siècles suivants, la trace en étant gardée jusque dans la légende tardive de Denis Gaulois.

A l'heure de la conquête romaine, les Bituriges n'exercent plus le pouvoir suprême et ne sont plus que les clients des Eduens ; les Druides eux-mêmes, comme l'a bien montré Jean-Louis Brunaux, ont perdu la  prééminence des siècles antérieurs et forment une institution déclinante.
Un nouveau centre sacré a supplanté les centres bituriges : Anne Lombard-Jourdan a suggéré qu'il s'agissait d'un  tertre  situé au nord de Paris, dans la plaine du Lendit. Ne pouvant éradiquer purement et simplement ce haut-lieu du paganisme, les premiers chrétiens y placèrent le martyre de saint Denis et sainte Geneviève érigea à proximité la première basilique dédiée à celui-ci.
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Martyre de saint Denis


Le lien avec les anciens centres sacrés n'est cependant pas rompu : entre Berry et Ile-de-France, Paris-Saint-Denis  et Bourges-Déols la vieille histoire perdure, se livre en échos riches et profonds. Le règne de Saint Louis est exemplaire à ce point de vue. On a vu le rôle insigne du prélat berrichon Eudes dans la consécration de la Sainte-Chapelle, la conduite de la croisade et la dotation en reliques christiques du modeste sanctuaire berrichon de Neuvy, création conjointe des princes de Déols et des seigneurs berruyers. L'abbaye royale de Saint-Denis a des possessions en propre à Reuilly et à La Chapelaude.

Etonnant comme la dualité Déols-Bourges est répétée par celle de Paris et Saint-Denis : "Depuis le XIe et, surtout, le XIIe siècle, plus encore sous Saint Louis, écrit Jacques Le Goff , Paris est la résidence habituelle du roi et donc de son conseil, la Curia, qui peu à peu se transforme de cour féodale itinérante en organisme de gouvernement tendant à la stabilité. Paris est devenu caput regni, la capitale du royaume. Mais Saint-Denis, où le roi va prendre l'oriflamme avant de partir pour la guerre ou les attributs du pèlerin avant de partir pour la croisade, sur l'autel duquel il paie un tribut de quatre besants d'or soigneusement déposés chaque année, où sont gardés, entre les sacres, les insignes du pouvoir royal, où reposent ses prédécesseurs dans l'attente de la Résurrection, Saint-Denis est appelé aussi caput regni.
Le Royaume de France a une capitale bicéphale, Paris et Saint-Denis, dont la route, bientôt parsemée de "montjoies", est la véritable voie royale. Et le triangle sacré de l'espace monarchique est Reims, où le roi reçoit le pouvoir  royal, dans la cathédrale du sacre, Paris où il l'exerce habituellement dans son palais et Saint-Denis où il l'abandonne dans le "cimetière aux rois" de l'abbaye "nationale"
(p. 530-531).

Jacques Le Goff montre que c'est d'ailleurs Saint Louis qui va pleinement utiliser "l'instrument idéologique et politique que la nécropole royale offrait  à la monarchie française", en réorganisant la disposition des tombeaux existants de manière à affirmer la continuité entre Carolingiens et Capétiens, et à se rattacher à la prestigieuse figure de Charlemagne, histoire de légitimer une bonne fois pour toutes cette dynastie capétienne "longtemps vilipendée en la personne de son fondateur Hugues Capet - que Dante va bientôt encore évoquer avec mépris" (p. 281).












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03 mars 2007 | Lien permanent | Commentaires (7)

Retour sur saint Gildas

Toussaint. Dans l'après-midi, je me suis replongé dans l'ouvrage, ce livre qui rassemblerait toutes les notes écrites ici pendant cinq ans. Mais ce travail de synthèse avance avec une lenteur qui parfois me désespère. Ce jour-là, je continue le chapitre sur la légende de Denis Gaulois, liée à Déols, à partir de ce billet intitulé Sur la trace de Gildas. Le saint breton qui fonda un monastère sur la presqu'île de Rhuys, monastère que les religieux quittèrent devant la menace normande pour venir s'établir sur les berges de l'Indre, accueillis par les seigneurs de Déols. Une légende voudrait que dans leurs bagages ils auraient aussi apporté le calice dont Jésus s'était servi pour la sainte Cène, autrement dit le saint Graal. Toujours est-il que les abbayes voisines de Déols et de Saint-Gildas sombrèrent au début du XVIIème siècle sous les coups de boutoir du grand Condé, ce dont se désola le poète Jean Lauron, avocat et bailli de Saint-Gildas. Disciple de Ronsard, ce Jean Lauron avait aussi écrit l'épitaphe d'un autre castelroussin notoire, son presque homonyme Jean d'Aumont, compagnon d'armes de Henri IV.

Bref, j'en étais là de cette étude lorsque je m'aperçus qu'un détail biographique m'avait échappé en 2006 : le lieu de la blessure mortelle de Jean d'Aumont (dénommé le franc Gaulois en raison de sa bravoure). Jean d'Aumont est mort en effet des suites d'un coup de mousqueton reçu au château de Comper. Or, ce château est situé en Bretagne, au nord de la forêt de Paimpont, autrement dit la légendaire forêt de Brocéliande. D'ailleurs, il abrite aujourd'hui le Centre de l'Imaginaire Arthurien.

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Rue des Remparts

Belle ironie de l'histoire que ce court-circuit symbolique entre Bretagne et Berry. C'est sur les terres d'élection du Graal, précieux vaisseau que la légende transporte donc en Berry pour échapper au péril normand, que le seigneur berrichon vient trouver la mort devant les murs du château de la fée Viviane. Et le poète qui lui rend hommage est celui-là même qui se désole quelques années plus tard de la triste déliquescence des abbayes de Saint-Gildas et de Déols. Court-circuit symbolique qui s'exprime aussi dans le geste de l'abbé Dahoc, qui cache avant de s'enfuir huit ossements de Gildas sous le maître-autel de Rhuys, geste que la découverte de la légende de Denis Gaulois sous un autel d'église déoloise vient donc répéter en l'inversant.

En fin de soirée, l'envie me prend soudain d'aller voir la maison de Jean Lauron, qu'un vague souvenir me fait placer dans la vieille ville. Dans Châteauroux désert, en ce jour de Toussaint où la plupart des restaurants sont fermés, je me glisse Rue Grande, puis rue des Notaires. Aucune plaque sur les maisons, là où je pensais la trouver, à part celle de Maurice Rollinat qui passa là les vingt premières années de sa vie. Je remonte rue de la Vieille Prison, par l'ancienne porte Saint-Martin, et emprunte ensuite une petite rue que je ne connaissais pas, la rue des Remparts, qui surplombe la place du Palan. Six heures résonnent alors au clocher de l'église Notre-Dame, édifiée fin XIXème siècle sur le fossé d'enceinte de l'ancien Château-Raoul, et la lune en croissant se profile, de là où je suis, dans l'axe exact de la flèche, me rappelant la Ballade à la lune de Musset :

C'était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.

Une soudaine exaltation s'empare de moi à ce moment-là : il flotte ici comme un parfum de mystère. La quête longtemps interrompue reprend. Rue du Père Adam, un panneau d'information me donne enfin une clé : la maison de Jean Lauron est la "maison du Cadran" (solaire), à l'angle de la rue des Notaires et de la rue Descente de Ville. Maison massive, qui n'offre  au visiteur qu'une face bourrue, volets clos, comme refermée sur son histoire. J'ai soudain envie de tout savoir sur son ancien propriétaire, mais au retour la recherche sur le net est décevante, aucune trace de ses ouvrages, de ses poèmes. Il va me falloir traquer les bibliothèques et les Archives pour en savoir plus long.

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06 novembre 2011 | Lien permanent | Commentaires (6)

L'ard du feu

« On sait aussi des mondes qui se défont. Bravant l'importunité des fileurs de renommée, remontons à Montségur, ce crâne vide, pôle tragique. De la même façon que Planès, ce lieu est à la pointe d'un triangle équilatéral dont les deux autres sommets ne sont pas plus quelconques : ce sont les villes de Saintes et de Feurs. Leur alignement rayonne de Milan, ancienne Mediolanum, comme Saintes, et centre zodiacal de la grande plaine cisalpine, en suscitant maintes capitales : outre les trois précédentes, Lyon, Clermont-Ferrand et Limoges. Mais ce qui nous intéresse directement est que, sur la partie qui forme la base de notre triangle, il est parallèle à l'Equateur. La hauteur et médiane dressée depuis Montségur sur ce segment est une méridienne qui joint les sommets de deux triangles à base commune, feu et eau, le sommet du feu étant en Ile-de-France, près de Rambouillet. »

(G.R. Doumayrou, Géographie Sidérale, p. 274-275)


medium_carte-neuvy2.4.jpgJe reprends cette carte de G.R. Doumayrou, déjà montrée le 11 avril, pour prolonger l'investigation menée ici depuis plus d'un mois sur le triangle de l'eau, Mosnay-Lourouer-Lourdoueix. A partir de ce modèle beaucoup plus vaste qui embrasse quasiment tout le territoire de notre pays, comment ne pas chercher à savoir s'il existe une réplique symétrique qui serait en somme le triangle du feu ? Je suis cependant incapable aujourd'hui de dire si, en 1989, j'ai cherché dans cette direction. Il est possible que j'aie en ce temps-là abandonné l'hypothèse faute d'éléments probants, ne disposant pas alors du même nombre de sources d'information.

Cette hypothèse du triangle du feu me paraît soutenable à ce jour, et je vais donc m'employer sans plus attendre à le montrer.

 

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Les deux triangles eau et feu

En projetant strictement le triangle symétrique à celui de l'eau sur la partie nord, la pointe tombe juste au-dessus du village de Diors. Rien de bien remarquable pourtant à signaler : le château du 15ème a été bombardé en août 44, l'ancienne église a disparu. Mais elle appartenait à l'abbaye de Déols, grande ordonnatrice du réseau zodiacal, qui se situe sur le même parallèle. Et surtout Diors est mentionné dès 927 (villa Drociso) : c'est la date exacte de la donation du Magny à Déols, par Guillaume d'Aquitaine.

Remarquons maintenant qu'un axe issu de Déols et reliant Lourouer Saint-Laurent traverse la ville d'Ardentes, par ailleurs également située, dans sa partie est, sur le méridien des triangles. Ardentes signe véritablement ce triangle du feu, de par son nom même, qu'on s'autorisera à rattacher au latin ardere, brûler. La commune actuelle fut formée en 1839 de la réunion de Saint-Martin d'Ardentes (dont la magnifique église dépendait de Déols) et de Saint-Vincent, paroisses occupant les deux rives de l'Indre, dont l'étymologie « Flavius Angerem » se retrouve au nord du triangle avec le hameau d'Angeray, en pleine Champagne Berrichonne. C'est sur les mêmes rives indriennes que se dressaient les anciennes forges de Clavières, renommées dès le 16ème siècle. L'économique et le symbolique encore une fois se rejoignent.

 

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Le triangle du Feu

Sur le côté Mosnay-Diors, on relèvera la présence d'Arthon, en bordure de Bouzanne, bien de l'abbaye de Déols dès 1104 (ce nom « Arthon » n'est pas sans parenté avec l'Arthur de la geste celtique, j'y reviendrai), et la proximité de medium_lourouer-les-bois.jpgl'autre Lourouer berrichon, Lourouer-les-Bois, dans la forêt de Châteauroux, où se trouvait jusqu'en 1874 le chef-lieu de la commune du Poinçonnet (on peut y admirer les vestiges de l'ancienne église Saint-Pierre-ès-Liens, transformée aujourd'hui en habitation).

 

L'examen du parallèle de Déols, passant donc par Diors, n'est pas sans enseignement : s'originant à Niherne, sur les bords de l'Indre (église Saint-Sulpice du 12ème), il transperce la forêt de Bommiers par le carrefour des Sept Lignes, puis celle de Choeurs pour en ressortir à Chezal-Benoît, siège d'une abbaye bénédictine et d'une congrégation de grande importance (dont la règle fut adoptée, entre autres monastères, par Saint-Sulpice de Bourges), et dont l'église Saint-Pierre fut consacrée en 1104 par notre vieille connaissance, Léger, l'archevêque de Bourges.

Enfin, l'axe, après avoir franchi le Cher, atteint Saint-Loup des Chaumes, petit village soi-disant fondé par l'évêque Saint-Loup (dont nous avons vu le culte au Magny, mais Ardentes également s'honore d'un pélerinage à Saint-Leu). Village qui est par ailleurs sur le méridien de Bourges, très précisément à l'aplomb du Faubourg Saint-Sulpice.

C'est maintenant vers Bourges que vont se porter nos regards. Avec la capitale des Bituriges va s'ouvrir un chapitre fondamental dans la description de notre géographie sacrée.

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15 novembre 2005 | Lien permanent

Saint Maur, Pigalle et Galifront

 

Déols, inspiratrice du triangle brennou, nous ne faisons là que vérifier encore une fois le rôle primordial de l'abbaye dans la construction de la géographie sacrée médiévale. L'axe Déols-Le Blanc (Ville Haute) semble confirmer la relation étroite entre les deux cités. Examinons-le attentivement.

 

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L'axe Déols-Le Blanc (cliquer pour afficher toute la carte)

Si nous partons de Déols, nous allons tout d'abord suivre le cours de l'Indre, en rasant le quartier Saint-Christophe, jusqu'au village de Saint-Maur. Passé celui-ci, l'axe abandonne la rivière et pique vers la Brenne en traversant la forêt de Saint-Maur ; il atteint ensuite avec une très grande précision le village de Méobecq, où Dagobert, on l'a vu, avait prétendûment fondé l'abbaye. Au-delà du Blanc, il est jalonné par Ingrandes, la Fines antique, à la limite des cités biturige et pictone (et situé sur l'axe équinoxial neuvicien) avant de se ficher à Saint-Savin, la prestigieuse abbaye déjà désignée par une diagonale du carré de Pouligny.

Il faut noter que cet axe passe à proximité de trois lieux-dits nommés le Tertre : Le Tertre Boulu, le Tertre Mondon et le Tertre des Petits-Champs, ainsi que d'un autre lieu-dit Le Perron, que l'on retrouve dans l'étude d'Anne Lombard-Jourdan sur saint Denis :

« (...) à proximité et sans doute sur le flanc même de la Montjoie du Lendit, existait un « Perron » (...). Ce genre de tumulus avec pierre plate date de l'âge du bronze ou de Halstatt, c'est-à-dire entre 1200 et 800 environ avant notre ère. Grâce au respect qu'il inspira aux ethnies successives, le Perron traversa les siècles et il est encore bien attesté au Moyen Age.

L'auteur de Fierabras, chanson de geste du XIIe siècle, après s'être réclamé de ses sources san-dyonisiennes, raconte comment Charlemagne répartit, à son retour d'Espagne, les reliques conquises sur les Sarrasins. Ce partage solennel, opéré devant une foule immense, a lieu au « Perron du Lendit » :

«  A Saint Denis en France fu li tresors portés ;

Au perron, au Lendi, fu parti et donnés.

Pour les saintes reliques dont vous après orés,

Par chou est il encore li Lendis appelés. » (op. cit. p. 51)

Tout se passe comme si ces tertres, petites éminences sur le plat pays brennou, servaient de relais au grand rayon déolois. Le nom même de Méobecq, assez obscur, viendrait peut-être, selon Dauzat, d'un élément gaulois, mello, colline.

 

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Mais l'indice le plus éclairant est sans doute Saint-Maur. Ce saint inconnu ailleurs dans l'Indre (il n'est pas cité par Mgr Villepelet au rang des saints berrichons) rime bien sûr richement avec la Maure de la légende des Bons Saints. Les deux visées primordiales à partir du Blanc, Tours et Déols, portent la même symbolique de l'ombre.

En effet, « Maur, comme l'explique Pascal Duplessis, est le patron des charbonniers et des chaudronniers, lesquels ont en commun la couleur noire que leur confère leur activité. Ce choix s'explique très certainement par l'étymologie du nom de Maur : mauricus désignant un habitant de Mauritanie, noir de peau. »

Le même auteur montre dans une riche étude le lien étroit entre saint Maur et Gargantua : « Dans l'est du département [Maine-et-Loire], trois des dix prieurés ayant appartenu à l'abbaye de Saint-Maur sont en relation avec Gargantua : le Voide et les dégaillochées du géant, Faveraye et le Palet de Gargantua aux Noyers, Blaison et le Caquin de Gargantua à Gohier. Au-dessus de Glanfeuil, un chemin dit de Courgain relie l'abbaye au Thoureil et au village néolithique. Enfin, un épisode contenu dans la vita du Pseudo-Fauste nous apprend que Benoît, aurait donné à son disciple Maur, à l'occasion du départ de celui-ci pour la Gaule, "un fragment du manteau qui avait été déposé dans la grotte vénérable du Mont Gargan, si célèbre par l'apparition de saint Michel" (Dom Chamard). » Le géant qui persécutait l'abbaye avait pour nom Pigalle : "...Merlin luy donna encores huyct jours d'espace pource qu'il avoit oubliée sa grant jument [...], et d'aultre part vouloit revenir par dessus la rivière de Loyre pour tuer deux grans geans lesquelz faisoient grant mal au pays d'Anjou, dont l'ung estoit à Sainct Mor sur Loire et l'autre estoit près Angiers, celuy de Saint Mor estoit nommé Pigalle, et celuy d'Angiers estoit nommé Amaurry, quant Gargantua fut audit S. Mor Pigalle estoit jà mort et enterré, et luy fut monstrée la tumbe où de present l'en veoit encores sa fosse..." (Les Croniques admirables du puissant Roy Gargantua, début du XVIe siècle)

Ce Pigalle, par sa racine GAL, est parent du Galifront brennou, reconnu comme avatar de Gargantua. Les tertres rencontrés le long de l'axe déolois seraient en somme analogues aux dépattures de Gargantua, aux tumulus funéraires du néolithique. Les moines du Bourg-Dieu ont ici certainement cherché à christianiser une très ancienne mythologie, bien ancrée dans les usages rituels des habitants de cette campagne.

 

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17 mars 2009 | Lien permanent | Commentaires (6)

Le laurier du Tempé

A l'origine de la fondation de la rotonde de Neuvy Saint-Sépulchre, nous trouvons trois personnages. Tout d'abord, le seigneur du lieu : Boson de Cluis, ensuite le suzerain de celui-ci, Eudes de Déols dit l'Ancien, "qui paraît bien, selon Jean Favière (Berry Roman, Zodiaque, 1970), avoir inspiré la création de cette nouvelle église placée sous le vocable de Saint-Jacques le Majeur, patron des pélerins, et directement rattachée à l'église de Jérusalem." Vassal lui-même "très fidèle et très familier" du duc d'Aquitaine Guillaume le Grand ( par ailleurs comte de Poitiers et abbé de Saint-Hilaire), il avait accompagné celui-ci à Rome en 1024 ; "puis, en 1026, poursuit Jean Favière, il était reparti cette fois vers Jérusalem en compagnie de Guillaume Taillefer, comte d'Angoulême, et d'une nombreuse suite. Après avoir, au passage, rendu visite à saint Etienne, roi de Hongrie, il était arrivé dans la Ville sainte en mars 1027. Sa réputation était grande ; en 1024, Hildegarde, écolâtre de Poitiers, conseillait à son retour, à Fulbert de Chartres, de ne pas manquer, "s'il traverse le Berry, de converser amicalement avec Eudes de Déols, homme de grande sagesse." Sa piété soutenait de nombreux établissements religieux et en premier lieu, les abbayes de Déols et Saint-Gildas de Châteauroux." Enfin, le troisième homme, qui aurait construit l'église selon la Chronique d'Anjou, est un certain Geoffroy, que certains auraient proposé d'identifier avec Geoffroy le Meschin, un vicomte de Bourges – mais c'est là, toujours selon Jean Favière, hypothèse gratuite.

La question est simple : pourquoi avoir édifié ce "reliquaire monumental" précisément dans ce bourg, ce Novo Vicus, né certainement autour d'un gué sur la Bouzanne à la fin de l'époque gallo-romaine, sur la voie menant d'Argentomagus à Néris-les-Bains ? Rien de prestigieux ne s'attachant apparemment à ce site, il faut supposer que c'est sa position géographique singulière qui a présidé à son élection. Neuvy, en effet, était le point de rencontre de plusieurs alignements fondamentaux. Outre ceux décelés par Guy-René Doumayrou, nous avons vu que la cité se plaçait sur le parallèle de Poitiers, mais il convient aussi de prendre en compte un axe Nord-Sud tout aussi primordial, souligné par la légende elle-même. J'avais omis de raconter la fin de l'histoire. En effet, après avoir occis le terrible Python, Apollon a dû pour se purifier de la souillure que le meurtre représentait, s'exiler en Thessalie, dans la vallée du Tempé. Or, où se place Tempé par rapport à Delphes ? Ni plus, ni moins qu'à son Nord géographique. La route que le dieu emprunte alors deviendra la Voie Sacrée, où chemineront les processions de la fête du Septerion, instituée en souvenir de son exploit et célébrée tous les huit ans. Que trouvons-nous au Nord géographique de Neuvy ? Un seul village, a priori anodin, au beau milieu de la Champagne Berrichonne : il a nom Vatan. Or, c'est à Vatan qu'est venu mourir au Vème siècle saint Laurian, évêque de Séville. Les sbires du roi wisigoth Totila l'auraient rattrapé en ce lieu et lui auraient tranché la tête. Le saint, prenant ladite tête dans ses mains, les auraient alors poursuivis et convaincus de la rapporter en Espagne, où elle aurait été conservée dans la cathédrale de Séville jusqu'à l'invasion mauresque. Mortelle randonnée bien énigmatique : ce Laurian fait bien sûr penser au laurier, l'arbre sacré d'Apollon. Jean Richer signale que Pausanias dénombrait à Delphes cinq sanctuaires successifs, dont le premier, le naos primitif, était fait de branches de laurier rapportées précisément du Tempé. "Mais ne faut-il pas lire là, poursuit-il, une allusion au rôle joué par les fumées enivrantes d'une certaine variété de laurier dans le fonctionnement de l'oracle ?" (Delphes, Délos et Cumes, Julliard, 1970). Lisons aussi la légende d'Apollon et de Daphné racontée par Ovide dans ses Métamorphoses : la nymphe est transformée en laurier par son père pour échapper aux ardeurs du dieu : Phébus, cependant, brûle de la même passion, la main droite posée sur le tronc, il sent encore, sous la nouvelle écorce, battre le cœur ; entourant de ses bras les rameaux - qui étaient les membres de Daphné - il étouffe le bois de baisers ; mais les baisers du dieu, le bois les refuse. Alors le dieu lui dit : " Puisque tu ne peux être ma femme, tu seras, du moins, mon arbre " ; laurier, tu pareras toujours ma chevelure, ma cithare, mon carquois ; (...) Péan avait fini de parler ; alors le laurier inclina ses jeunes rameaux et on le vit agiter sa cime comme une tête. Un autre détail de la légende de saint Laurian est significatif : averti par le Ciel de la mort de l'évêque, Eusèbe d'Arles vient à Vatan pour ensevelir le corps. Il le trouve gardé par deux ours. Comment ne pas voir là, dans la présence des deux plantigrades, une figuration des deux constellations boréales ? Déols elle-même, la cité de Eudes, se situe dans le nord du système, dans le signe du Capricorne. Déols qui est l'anagramme à peine déguisée de Délos, l'autre grand sanctuaire appolinien, son lieu de naissance et autre centre zodiacal majeur selon Jean Richer. Enfin, j'ajouterais que Neuvy avait pour elle de se situer sur le cours de la Bouzanne, dont j'aurais un jour ou l'autre l'occasion de montrer qu'elle est la rivière matricielle de la géographie sacrée des Bituriges, jouant le même rôle que la rivière Boyne (Boand) coulant dans la plaine de Meath, centre spirituel de l'Irlande celtique.

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13 avril 2005 | Lien permanent

Denis Gaulois (3) : Et moi je fais ce que je veux d'elles

«  Il étoit beau de voir la conduite des susdits animaux ; comme ils entroient et sortoient dudit caveau pour aller pâturer et faire ce qu'ils avoient besoin, et comment le bonhomme les rappeloit. L'on a vu, disoit-il, les bêtes se dévorer entre elles et manger les hommes, et moi je fais ce que je veux d'elles. »


Il y aura donc bientôt quatre cents ans, le 2 octobre 1610, l'on découvrait donc la légende de Denis Gaulois sous un autel de l'église de Déols. Le docteur Fauconneau-Dufresne ne précise pas quelle église, ni ne donne de précisions sur la nature du document, son aspect, son état de conservation. Etrange découverte : par le plus singulier des hasards, le chancelier du roi, Charles de Laubépine, est présent (il est spécifié qu'il fait inventorier la légende séance tenante). Au fait, qui est le roi à cette date ? Henri IV a été assassiné par Ravaillac quelques mois plus tôt, le 14 mai précisément. La veille, Marie de Médicis avait été enfin sacrée reine de France à Saint-Denis par le cardinal François de Joyeuse. Un couronnement que le bon roi Henri avait longtemps repoussé. Louis XIII n'ayant que neuf ans, c'est donc Marie de Médicis qui assure la régence. Y a-t-il un lien entre ces événements et la découverte de la légende ? Quelques indices tendent à le croire.

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Marie de Médicis en costume de sacre, peint par François Pourbus en 1610
 
 

Onze ans plus tard, nous avons vu que le prieur claustral délivrait une copie notariée et dûment certifiée au prince de Condé, devenu duc de Châteauroux et prince de Déols. Or, Condé n'est pas n'importe qui dans le royaume.

Henri II de Bourbon-Condé n' était rien moins que Premier Prince du sang, Grand Veneur et Grand Louvetier du royaume. Elevé par Henri IV lui-même - son père ayant été assassiné et sa mère emprisonnée - mariée ensuite à la trop belle Charlotte de Montmorency que son mentor poursuivait de ses assiduités, il avait dû s'exiler à Bruxelles. La mort de Henri lui permet de revenir en France. Embastillé en 1615, il est libéré quelques années plus tard par Louis XIII. Et en 1621, on lui remet donc les clés de Châteauroux et de Déols, en même temps que la copie certifiée de la légende. Pourquoi une telle mise en scène ? Ce qui nous apparaît comme une aimable fantaisie a très certainement son importance symbolique : n'y a-t-il pas comme un air de famille entre ce Denis Gaulois, éleveur de bêtes féroces, grand chasseur, dompteur émérite, et ce Grand Veneur et Grand Louvetier de prince de Condé ?


Nous retrouvons par ailleurs la trace de Charles de Laubépine à Bourges, où sa famille avait acquis en 1552 le palais Jacques Coeur.

« A cette époque, peut-on lire sur le site des Amis de Jacques Coeur, le frère de Claude de Laubépine, évêque de Limoges fait construire un hôtel qui prend comme nom Hôtel de Limoges, aujourd'hui disparu. De 1629 à 1636, le prince de Condé et son frère le prince de Conti habiteront respectivement le palais de Jacques Cœur et l'hôtel de Limoges. »

Comme par hasard, Condé vient loger chez Laubépine. 

Or, nous allons bientôt voir l'importance de Bourges dans la légende déoloise.

Pour en finir aujourd'hui, regardons la date : 2 octobre. C'est la saint Léger. Dont j'ai déjà montré ailleurs la corrélation très forte avec saint Denis. Un seul exemple : lors de la translation du corps de saint Léger, le cortège s'arrête à Ingrandes dans la Vienne :

« Ingrandes apparaît comme le lieu de plusieurs miracles dans le récit de la translation des cendres de saint Léger, depuis l'endroit de son supplice jusqu'à Saint-Maixent (Deux-Sèvres), en 683. Le cortège qui accompagnait les cendres du saint comprenait de nombreux mendiants et infirmes ; il s'arrêta quelque temps à Ingrandes. L'évêque de Poitiers leur avait fait porter des vivres, mais en quantité insuffisante. Une nouvelle multiplication des pains vint à bout de la disette. Des guérisons miraculeuses furent également rapportées : celles d'un boiteux, d'un paralytique, d'un jeune aveugle, d'une femme aux mains tordues... »

Or, le même site du diocèse de Poitiers précise que « Sous l'Ancien Régime, la cure d'Ingrandes était à la nomination du prieur de Saint-Denis-en-Vaux, qui dépendait de la grande abbaye de Saint-Denis-en-France. »



 

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02 octobre 2006 | Lien permanent | Commentaires (3)

Denis Gaulois (10) : Le patriarche Ursin

Reprenons enfin le fil de la légende de Denis Gaulois. Petit rappel des faits : Denis a fort à faire avec les bêtes sauvages qui ravagent ses cantons. Alors qu'il désespère tel Job sur son tas de fumier, un inconnu lui conseille d'aller voir Léocade à Bourges, ce qu'il s'empresse de faire, monté sur "un de ses animaux qu'il avoit apprivoisés".

"En entrant dans Bourges, beaucoup de peuple s'assembla pour le voir ; on étoit surpris à la vue d'un vieillard de telle hauteur, monté sur un animal ennemi des hommes. On lui demanda qui il étoit, d'où il venoit, où il vouloit aller : Je viens de la Gaule ; je m'appelle Denis Gaulois ; j'ai cent onze ans passés ; je suis monté sur un animal que j'ai élevé avec quarante autres qui sont en mon luant ; je cherche Léocade et ses gens, pour chasser dans mes cantons ; je suis parent de votre patriarche Ursin. - On le conduisit alors devant le patriarche. Après avoir conversé ensemble, il le connut pour son parent et le logea avec ses amis."

Ce texte ne cesse de m'intriguer : pourquoi ne pas nommer l'animal sur lequel Denis se déplace ? On sait que c'est un animal autrefois sauvage, maintenant apprivoisé (avec quarante autres), ennemi des hommes, mais son nom nous ne le saurons pas : cette indétermination rend l'histoire encore plus étrange.


Etrange aussi, cette affirmation de Denis, disant venir de la Gaule. Le Docteur Fauconneau-Dufresne ajoute en note que, dans cette légende, la Gaule était le territoire qui s'étendait autour de Déols, sur les deux rives de l'Indre, ce qui nous fait peu progresser dans la compréhension de cette mention à cet endroit précis de l'histoire. Bourges n'était-elle pas en Gaule ? Si, bien sûr, mais ne faut-il pas comprendre que Déols est comme le coeur sacré de la Gaule ? L'endroit où la Gaule est superlativement la Gaule, le centre qui ramasse en lui-même toutes les vertus qui iront irradier tout autour ? Denis, seul, se nomme Gaulois, comme s'il était le seul véritable habitant de la Gaule, son représentant prototypique, l'ancêtre fondateur. 111 ans : dans ce nombre, ne faut-il pas lire trois fois l'unité ? la triple affirmation du Principe ? l'écho des 11 colonnes de Neuvy Saint-Sépulchre ?

 

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Portail de Saint-Ursin (Cathédrale de Bourges)


Et puis voici qu' apparaît un autre ancêtre fondateur, Ursin, qui appartient pleinement, lui, à l'histoire religieuse de la ville. Grégoire de Tours le mentionne à deux reprises, dans le chapitre I du Livre I de l'Historia Francorum et dans le chapitre LXXX, du De Gloria confessorum. "Ces deux passages en apparence assez divergents, écrit Mgr Villepelet, visent néanmoins les mêmes événements : le premier donne le nom de l'apôtre du Berry sans indiquer la date ; le second, plus riche, indique les débuts de son ministère et le don fait par Léocade  de son palais à la communauté chrétienne." (Les Saints Berrichons, Tardy, p. 174)


L'auteur de la légende de Denis Gaulois s'inspire manifestement de Grégoire de Tours, mais on va voir que s'il reprend la trame principale du récit, il ne se prive pas d'y ajouter sa propre fantaisie.

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14 novembre 2006 | Lien permanent | Commentaires (2)

Montjoie et saint Denis !

Il n'est sans doute pas de région, en dehors de mon Berry natal, que je ne connaisse aussi bien que le Périgord. Il n'est guère d'année qui se passe sans que je n'entreprenne d'en  arpenter ses collines et ses vallées. J'ai bien sûr plus d'une fois été tenté d'y déceler une géographie sacrée comparable à celle qui m'occupait en Berry : sa fabuleuse richesse en châteaux et églises, la longue histoire mouvementée qui est la sienne laissaient espérer une semblable organisation spatiale. Las, mes tentatives n'ont jamais été convaincantes, et même autour de Beaulieu-sur-Dordogne, qui est, à l'instar de Neuvy Saint-Sépulchre, fichée sur l'axe vertical Montségur-Montfort,  je n'ai repéré les traces d'une partition zodiacale ou symbolique quelconque. Aucun alignement significatif. C'en est presque étrange...

 

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Toujours est-il que  cet été, aux Eyzies, à la librairie richement dotée, on s'en doute, en ouvrages sur la préhistoire,  j'ai déniché un ouvrage que je désirais depuis longtemps : Montjoie et Saint-Denis !, par Anne Lombard-Jourdan, publié aux Presses du CNRS en 1999. J'ai déjà assez souvent cité cette historienne, mais c'était à partir de son dernier ouvrage, Aux origines de Carnaval (Odile Jacob, 2005). Ce Montjoie et saint-Denis !, j'avais failli l'acquérir plusieurs années auparavant, chez un bouquiniste des quais de Seine, et je ne sais pourquoi, assez stupidement, j'avais laissé passer l'affaire. Bien sûr, j'aurais pu le commander sur le net, mais cela me semblait, comment dire, trop facile... C'était bien plus fort de le retrouver là, pour la première fois, dans le village des origines de l'homme...


Quelle est la thèse de ce livre ? Selon Anne Lombard-Jourdan, « le lieu consacré, au centre de la Gaule », dont parle Jules César, serait la Plaine du Lendit, au nord de Lutèce, sur le territoire des Parisii. « Elle indique, nous dit la quatrième de couverture, comment ce sanctuaire où s'assemblaient les druides se développa autour de la « Montjoie », tombe de l'ancêtre héroïsé protecteur du pays. Dans le but de masquer et d'exorciser ce lieu païen, les premiers chrétiens situèrent à cet endroit précis le martyre de saint Denis et sainte Geneviève érigea à proximité la première basilique dédiée à celui-ci. Saint-Denis devint l'équivalent et le substitut du « Protège-Pays ». Son nom rejoignit celui de « Munjoie » dans l'appel des guerriers en détresse. » Le Lendit serait donc un véritable Mediolanum, un centre spirituel analogue à Delphes pour la Grèce et à la Tara des anciens Irlandais.


Je rappelle maintenant les conclusions auxquelles j'étais parvenu à la suite de mon enquête de juin sur les lieux Dolus : « le dol, écrivais-je, serait en somme un espace surplombant un marais, un affleurement naturel de roche que les hommes sur-signifient en y implantant des mégalithes, et plus tard, des autels et des églises. »


Or, que constate-t-on au sujet du Lendit ? Anne Lombard-Jourdan établit tout d'abord l'existence d'un tertre sur cette plaine, de faible hauteur certes, mais tertre réel qu'on appelle donc « Montjoie », ainsi que, sur ce tertre, une pierre plate, un mégalithe connu sous le nom de Perron, dérivé de petra ou petron. D'autre part, le lieu était bel et bien entouré d'une zone marécageuse. D'ailleurs le « Pourtraict de la ville Sainct-Denis en France », gravure sur bois de la fin du XVIe siècle, représente encore les marécages qui subsistaient au sud de l'abbaye.


Cette similarité de nature entre Déols et le Lendit-Saint-Denis nous questionne bien évidemment. C'est peut-être maintenant le lieu d'évoquer une légende propre à l'abbaye berrichonne, la légende de Denis Gaulois. Entendez bien : Denis Gaulois et non Denis le Gaulois. Première étrangeté.


Seconde étrangeté : il ne s'agit point d'une légende populaire. S'il faut en croire le bon docteur Fauconneau-Dufresne dans son Histoire de Déols et de Châteauroux, elle fut en effet découverte « le 2 octobre 1610, sous un autel de l'église de Déols, avec d'autres papiers relatifs à la fondation de l'abbaye, que Charles de Laubépine, chancelier du roi, abbé commendataire, ainsi qu'il se qualifie, fit inventorier séance tenante. » Séance tenante, d'accord, mais il faudra attendre onze ans pour que le prieur claustral en délivre une « copie notariée et dûment certifiée au prince de Condé, devenu duc de Châteauroux et prince de Déols ».

Examinons donc ce récit, on va le voir, fort singulier...

(A suivre)


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25 septembre 2006 | Lien permanent | Commentaires (3)

Denis Gaulois (9) : Sur la trace de Gildas

J'ai emprunté récemment à la médiathèque un ouvrage intitulé Saint-Gildas, de la Bretagne au Berry, sous-titré encore L'épopée des moines. Paru en décembre 2003 aux Editions Lancosme Multimédia, écrit par Gilles Guillemain et illustré par Jeannine Abrioux, il a, je cite la quatrième de couverture, "été conçu dans l'esprit d'attirer l'attention de nos contemporains sur une page d'histoire de Châteauroux, à l'époque où une abbaye était érigée sur les bords de l'Indre, aujourd'hui devenue le quartier Saint-Christophe." Ce livre,  est-il précisé au final, est "un guide parfait pour ceux qui recherchent  des traces de l'abbaye et de l'Histoire d'une civilisation, notre civilisation." Pierre Plateau, archevêque émérite de Bourges, vante dans sa préface ce "beau travail" où "les auteurs ont eu à coeur de faire revivre cette merveilleuse histoire de Saint Gildas." Il ajoute qu'ils "ont distingué avec honnêteté ce qui relève de la légende populaire et ce qui relève de la grande histoire de notre pays."


  Fort bien. Il reste qu'à la lecture du "guide parfait", on demeure plus que perplexe devant cette tentative de reconstitution de la vie de saint Gildas et du voyage des moines bretons jusqu'en terre déoloise. Certes, on nous a prévenus que ce n'était pas véritablement une biographie de la vie de saint Gildas, que la manière était "particulièrement épurée, quelque peu romancée, en survolant les faits"...
Qu'on en juge par le seul extrait suivant, bien significatif du style employé : " Dans la contrée d'Arecluta, baignée par le fleuve Clyde, le jeune breton [Gildas] regarde sa patrie, blessée par une kyrielle de conflits, panser ses plaies. La pluie quasi permanente nettoie les souillures infligées aux pierres, à la terre, aux rivières." Le dérèglement climatique, apparemment,  ne date pas d'hier.

Ceci resterait bénin si l'auteur ne se mêlait pas d'adjoindre à sa narration du périple des moines des notations tout à fait incongrues : ainsi, lors de l'arrivée à Déols du cortège mené par l'abbé Dahoc, on apprend qu'outre les saintes reliques de Gildas les moines détiennent rien moins que "le précieux calice dont Jésus-Christ s'est servi lors de  la sainte Cène." Autrement dit le Saint Graal ! "Le seigneur de Déols est sidéré par cette révélation particulièrement effarante". Le lecteur un peu averti également, car enfin la scène est censée avoir lieu en 922, or le Graal n'apparaît dans la littérature qu'au XIIème siècle, avec Perceval ou le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, et il faut attendre Robert de Boron, au XIIIème siècle, pour identifier ce Graal au calice de la Cène.

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Saint-Gildas

Contrairement à ce qu'annonce Mgr Plateau, on démêle donc mal ce qui relève du légendaire de ce qui appartient à l'histoire proprement dite. Mais survolons à notre tour plusieurs siècles et venons-en à l'époque qui nous occupe en ce moment : les deux abbayes de Déols et de Saint-Gildas, qui se sont semble-t-il développées en bonne harmonie, vont connaître une fin également similaire, "devenues la proie du prince de Bourbon, Henri II de Condé, apparenté à la famille royale, qui, convoitant leurs immenses richesses profite de la vente des possessions des seigneurs de Châteauroux pour acquérir leur comté."
 
En 1612, Condé achète effectivement ces terres berrichonnes, qu'il obtiendra d'élever à la dignité de duché-pairie en 1627. Notre livre lui prête de sombres desseins : "Le projet du prince de Condé est rapidement mis à exécution pour obtenir la sécularisation des deux abbayes. Il entreprend les démarches auprès du roi et du pape qu'il fourvoie. Il allègue, pour cela, l'incurie des religieux qu'il accuse de ne plus respecter les austères principes de la règle de saint Benoît. L'autorité des abbés gênait surtout celle du prince mécréant(1). La sécularisation, en 1622, et la dispersion des moines, sonnent la curée du monastère. L'enceinte fortifiée est envahie et détruite. Les édifices abandonnés fournissent des matériaux qui servent à construire les maisons du faubourg Saint-Christophe. Il ne reste rien de l'église abbatiale."

Sur la destruction des abbayes de Déols et de Saint-Gildas, l'auteur ne se trompe malheureusement pas : la sécularisation accélère un mouvement de démantèlement qui avait commencé avec les pillages et les incendies pendant les guerres de Religion. Il cite à cet égard le poète Jean Lauron (1560-1615 ou 1620), bailli de Saint-Gildas et garde du sceau de Châteauroux qui se désole ainsi dans un poème adressé au prieur de Saint-Gildas :

Temple que nos aïeux Ebbes Léocade Roux,
Avaient bâti doué d'honneur et de richesse,
Qui voisine le ciel de superbe hautesse,
Qu'êtes-vous devenus ? Hélas où êtes-vous ? (...)

Gilles Guillemain a beau jeu de se gausser en rappelant que Léocade "n'a rien à voir avec la construction de l'abbaye Saint-Gildas puisqu'il est mort au IIIème siècle..." Ce qui est plus intéressant c'est de voir ici le patronyme Roux, qui désigne un canton dans la légende de Denis Gaulois. Pour Guillemain, et on le suivra sur ce point, il "s'agit sans doute d'un pluriel utilisé -et pourquoi pas puisqu'on dénomme la ville, à cette époque, Château-Roux - pour qualifier les "Raoul" qui se sont succédé."

Par ailleurs, Jean Lauron avait rédigé en 1595 l'épitaphe de Jean d'Aumont, maréchal de France, compagnon d'armes  de Henri IV,  chevalier de  l'ordre du Saint-Esprit,  comte de Châteauroux,  qui avait choisi pour lieu de sa sépulture l'église des Cordeliers de cette même ville.

"L'imager pourroit bien figurer son Image
En ce tableau icy, et rapporter ses traits,
Mais pour représenter ses gestes et hauts faits,
Il faudroit voir, Passant, l'Histoire de cet âge,
Là tu verras d'AUMONT, d'ardeur et de courage
Foudroyer l'Espagnol par belliqueux effets,
Tu verras les Ligueurs furtifs et déffaits,
Embrasser ses genoux, luy venir faire hommage.
Ivry vit sa valeur, Arques son exercice,
Le feu Roy vit à Tours son fidèle service,
La Bourgogne a tremblé sous son juste courroux,
Le Breton à poings liez secondoit coup à coup,
Quand au bras il reçut à Camper un grand coup,
Qui mit son âme au Ciel, son corps à Château-roux.
Celuy qui pour la vie et bien de sa Patrie,
A cent fois exposé et les biens et la vie,
Celuy qui pour la France à sa vie cent fois
Exposé à la mort, sans vie tu le vois;
Son corps repose icy, et sa fameuse gloire
Burinée se voit sur l'Autel de la mémoire."

 Or, ce Jean d'Aumont, si l'on en croit cette page web qui relate son histoire , était aussi nommé le Franc Gaulois.

Rêvons un court instant : et si Jean Lauron était le véritable auteur de la légende de Denis Gaulois ? Légende inventée à l'origine pour exalter Jean d'Aumont mais récupérée de façon opportune par Condé, pour servir ses projets ?

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(1) Ce soi-disant mécréant n'hésite pourtant pas à nommer lui-même des prêtres sur  les paroisses qui lui appartiennent, si l'on en croit ce document ancien vendu à cette adresse.

 

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06 novembre 2006 | Lien permanent | Commentaires (8)

Pause estivale

« J'ai pénétré dans la patrie, je la cherche ici.

Lorsque le car s'est arrêté près des lauriers-roses,

j'ai retrouvé la vraie contrée qui m'était promise.

Oh ! J'y vais accéder. J'arrive au centre enfin.

J'avance encore. J'écoute. J'entends. »

Andre Frénaud (extrait de Ménerbes, 1953)

 

Les obligations de la vie professionnelle et familiale m'ont tenu éloigné de ce blog en ce mois de juin 2006, et l'été qui vient, pour diverses raisons, ne s'annonce pas plus propice à un rendez-vous régulier. Je préfère donc décréter une pause estivale de longue durée et donner rendez-vous en septembre aux fidèles lecteurs.

Il reste donc bien des aspects de la géographie sacrée berrichonne à découvrir. Je n'en ai même pas fini avec Déols, et a fortiori avec le signe du Capricorne. Verseau reste entièrement à arpenter, et Poissons, que j'ai succinctement abordé avec le fameux étang du Bois-Secret, n'a pas dit son dernier mot.

medium_chapiteau-neuvy-chat.jpgEt puis il me faudra revenir sur l'Homme Sauvage en relation avec les demeures philosophales de Fulcanelli, déchiffrer l'anglais pour comprendre quelque chose au zodiaque de Glastonbury, à moi signalé par l'ami Marc.

Cet été devrait être aussi l'occasion d'approfondir certaines lectures que j'ai dû cette année plus ou moins abandonner en cours de route, faute de temps ou de courage : par exemple, Du Sacré, d'Alphonse Dupront, et Ecoumène d'Augustin Berque.

Il serait bon aussi que je confectionne un index des noms et des lieux cités, qui permettrait au lecteur de mieux se repérer dans le labyrinthe.

J'aspire aussi, il va sans dire, à quelque repos et rêverie...

Je vous souhaite à tous un très bel été.

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29 juin 2006 | Lien permanent | Commentaires (4)

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