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L'ombre et la lumière

Tilly, non loin de Lignac, pratiquement sur l'alignement Nesmes-Château-Guillaume, était le siège d'une abbaye de l'ordre de Cîteaux, fondée en 1146 et nommée La Colombe. Un aspect essentiel du monde des symboles se révèle ici, le principe de bipolarité qui veut que chaque symbole, comme l'explique Jean Chevalier dans son introduction au Dictionnaire des Symboles, « de quelque dominante qu'il relève, possède un double aspect, diurne et nocturne. Le monstre, par exemple, est un symbole nocturne en ce qu'il avale et dévore ; il devient diurne, en ce qu'il transforme et recrache un être nouveau ; gardien des temples et des jardins sacrés, il est à la fois obstacle et valeur, nocturne et diurne. (XXV) » La Colombe, découverte en Bélier à l'issue d'une assez longue traque, est, ne l'oublions pas, oiseau de Vénus, qui n'est autre que la planète maîtresse de Balance, le signe opposé. Avec Balance, à l'équinoxe d'automne, la nuit reprend le pas sur le jour. Cette dualité est concrètement évoquée à travers un axe Bélier-Balance s'originant à Tilly et son Eglise Notre-Dame. Jalonné par le hameau du Colombier, l'église Saint-Pierre de Chaillac, le château de la Prune-au-Pot, l'église Saint-Saturnin de Ceaulmont, il rase après Neuvy un autre lieu-dit Le Colombier avant d'atteindre celui du Chassin, et les villages de Saint Chartier et Verneuil-sur-Igneraie (église Saint-Hilaire). Jeu de miroir avec cette simple chapelle du Haut-Verneuil qui constitua notre premier témoin d'importance. Le Chassin, lui, possédait un château-fort, aujourd'hui disparu. Son nom, en tout cas, est tiré de celui du chêne en gaulois, cassanos. Or, c'est sur le chêne que se tiennent les colombes de l'Enéide, c'est sur le chêne qu'est cueilli le gui, c'est-à-dire le rameau d'or. Jean Beaujeu note à propos de ces textes de l'Enéide « que la mythologie du gui, très pauvre en Italie, était riche dans les pays celtiques et germaniques ; le gui passait pour avoir une puissance magique : il permet d'ouvrir le monde souterrain, éloigne les démons, confère l'immortalité et, détail propre aux Latins, est inattaquable au feu. Tout se passe comme si Virgile avait adopté un thème de son pays natal (la plaine du Pô avait été occupée pendant plusieurs siècles par les Celtes), en lui donnant un caractère latin par la consécration à Proserpine. » (Dictionnaire des Symboles, art. Rameau d'or, p.801). Comme Enée, nous allons désormais pouvoir poursuivre notre périple en entrant, en ce qui nous concerne, dans le signe du Taureau, signe de Terre, et précisément, selon les termes de l'astrologie traditionnelle, domicile nocturne de Vénus. En définitive, nous ne faisons ici que vérifier une forte intuition de Guy-René Doumayrou qui, enquêtant sur les régions mentionnées dans la légende de Mélusine, s'étonnait que les domaines de la fée, Marche et Poitou, soient désertes en images d'ombre : « Peut-être, mais il faudrait pouvoir s'appuyer sur des témoins plus stables que des statuettes de bois ou même de pierre, une géographie de l'ombre et de la lumière, relative au culte de la Dame, existe-t-elle, reprenant une giration parallèle à celle de la roue toulousaine » (G.S., pages 265-266). Quelle terre pouvait mieux constituer le moyeu d'une telle roue sinon le Bas-Berry, ouvert à l'ouest sur le Poitou et au sud sur la Marche ?

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25 mai 2005 | Lien permanent

Les porteurs de torches

Rappel de l'hypothèse : Alpinien et Austriclinien, saints compagnons de Martial, auraient pris la place des parèdres de Mithra, Cautès et Cautopatès.

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Alpinien dérive évidemment d'Alpes, nom d'origine celtique qui désigne la montagne. Je lis aussi (sur un site traitant des Pyrénées... ) que Servius, à l'occasion d'un vers de l'Enéide, IV, 442, dit que Alpes signifie en gaulois, montagnes élevées. Austriclinien est clairement à rapprocher d'Auster « vent du sud » et « région méridionale », australe. Il est intéressant de lire la notice que lui consacre le Dictionnaire Historique de la Langue Française (Robert, 1995) : « A la différence d'autres termes désignant les vents, celui-ci n'est pas grec ; on l'a rapproché de l'ancien haut allemand ostar « de l'Est » (Ost) mais la confusion des points cardinaux est très improbable. Toutefois les philologues anglo-saxons maintiennent cette hypothèse qui conduit à apparenter le nom de l'est (→ est), celui du vent et celui du lever du jour (→aurore). Si cela était, il y aurait aussi parenté avec les noms propres Autriche et Ostrogoth, formés sur le nom de l'est.(...) » La relation Alpinien-Austriclinien est donc à envisager sous deux aspects possibles : Si Austriclinien provient d'Auster, vent du sud, Alpinien lui fait écho en incarnant le Nord : en effet, la montagne sacrée, centre du monde, coïncide avec l'axe du monde. « Son sommet se trouve sous la Polaire, véritable clef de voûte de ce système imaginaire merveilleusement homogène. » (Monde des Symboles, p. 169). Cette dualité rejoindrait plutôt le thème de l'ascension et de la descente des âmes. Si Austriclinien s'apparente à l'est, à l'aurore, il rejoint parfaitement le symbolisme du soleil levant qui s'attache à l'un des deux dadophores. Et j'ai déjà signalé dans un article passé que l'orientation des mithraea était conçue en sorte que le soleil levant de l'équinoxe de printemps illuminait l'image cultuelle de la divinité. Ce n'est sans doute pas sans raison que la légende fait mourir Austriclinien en Toscane, et que Martial le ressuscite à l'aide du bâton que saint Pierre lui a confié. Le lever de l'astre est à interpréter en effet comme une véritable résurrection quotidienne. Alpinien, dans ce cas de figure, incarnerait le soleil couchant. Rien cependant ne semble nous autoriser à relier son nom à l'ouest. Son marquage septentrional suffit-il à le relier à l'obscurité ? Est-il fortuit, par ailleurs, que ce soit dans certains cantons des Alpes que la religion mithraïque se perpétue jusqu'à cinquième siècle ? "Sallying forth from the flourishing cities of the valley of the Rhone, the foreign cult crept even into the depths of the mountains of Dauphiny, Savoy, and Bugey. Labâtie near Gap, Lucey not far from Belley, and Vieu-en-Val Romey have preserved for us inscriptions, temples, and statues dedicated by the faithful." Franz Cumont (The Mysteries of Mithra, 1903)
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Que l'on développe donc l'une ou l'autre des significations d'Austriclinien, on débouche soit sur une dualité manifeste avec Alpinien, soit sur un rappel très net de l'orientation essentielle des mithraea.
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Un épisode de la vie de saint Martial me frappe aussi particulièrement, c'est celui de la destruction des idoles à Bordeaux. Il se trouve que dans cette ville on a exhumé en 1986 le plus grand mithraeum découvert en France (180 m2). Malheureusement, il semble qu'on l'ait détruit peu après, si l'on en croit l'archéologue Jean-Pierre Bost dans un article du Point de mai 2004 : « Il y a quelques années, un temple de Mithra (divinité antique) du iie ou iiie siècle, bien conservé et découvert cours Victor-Hugo, a été détruit parce que le conservateur du patrimoine et la ville sont tombés d'accord sur cette décision. De même, un sanctuaire exhumé près de l'ancien cinéma Le Rio et montrant comment une ville antique très romanisée avait su conserver des traditions gauloises, a été rasé. » Etrange persévérance dans la destruction des idoles... A lire également : L'Evangile de Matthieu dans sa confrontation au culte de Mithra

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30 mai 2005 | Lien permanent

Antiquité de la royauté Biturige

Bien que « rois du monde » et ayant joué, on l'a vu, un rôle non négligeable lors de la conquête, les Bituriges sont pourtant loin d'être, en 52 avant J.C., le peuple le plus puissant de la Celtique. Plusieurs civitates se disputent alors l'hégémonie politique, à savoir les Eduens, les Séquanes, les Rêmes, les Helvètes et les Arvernes. « Aucun ressortissant d'une cité, note Guyonvarc'h (Les Druides, op. cit. p. 409), ne concevait de « patriotisme » national au niveau du pays tout entier. Il est des cités comme les Rêmes qui ont fait toute la guerre des Gaules du côté romain. » Les Celtes ne se préoccupaient pas d'unité politique. Le trait d'union entre les différents peuples était constitué par la doctrine des Druides, dont la puissance sacerdotale subordonnait la classe des guerriers et des rois. Ce sont les Druides qui conseillent et influent sur toute décision royale par leur art de la divination, car nulle initiative n'est prise sans recours aux présages. Augures du monde celtique, les Druides sont associés à toute entreprise. Ainsi, celle du roi mythique Ambigatus, roi Biturige, dont Tite-Live, écrivant vers 75 après J.C., rapporte l'histoire suivante, survenue selon lui vers le IVème ou Vème siècle avant J.C. :

« Voici ce que nous avons appris du passage des Gaulois en Italie, pendant le règne de Tarquin l'Ancien, chez les Celtes qui forment le tiers de la Gaule, l'autorité des Bituriges était la plus grande. C'est eux qui donnaient un roi à la Celtique. Ce fut Ambigatus, dominant par son mérite, sa fortune personnelle et surtout publique, car sous son gouvernement la Gaule eut une telle abondance de récoltes et d'hommes qu'on pouvait, semble-t-il, à peine gouverner une telle multitude; Etant lui-même très vieux et désiarnt décharger son royaume de la population qui la surchargeait, il fait savoir qu'il enverra Bellovèse et Sigovèse, fils de sa soeur, jeunes gens courageux, aux endroits que leur fixeront les augures : « Qu'ils fixent le nombre des hommes qu'ils veulent emmener afin qu'aucun peuple ne puisse s'opposer à leur venue. » Le sort donne alors, à Sigovèse, la forêt hercynienne, à Bellovèse les dieux donnent une direction plus agréable, l'Italie... » ( Histoire Romaine, V, 34).

 

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Les Druides, dans l'édition nouvelle (Ouest-France)
 

On attribue à Bellovèse la fondation de Mediolanum (Milan), qui deviendra la capitale des Insubres. « Ce n'est pas un hasard, affirment Guyonvarc'h et Le Roux (op. cit. p. 211), si le territoire des Bituriges contient un autre Mediolanum (Châteaumeillant). » Ce nom est généralement traduit de façon profane par « plaine du milieu », mais c'est faire peu de cas du symbolisme religieux car ce toponyme (répertorié à 42 exemplaires par Holder) s'applique parfois à des localités situés sur des hauteurs. Guyonvarc'h propose « centre de perfection » ou « sanctuaire central », sans exclure toutefois le sens littéral. Il importe à ce stade de souligner que la notion de centre chez les Celtes ne coïncide pas toujours avec les réalités géographiques : ainsi le Mediolanum de Gournay-Moyenneville se situe-t-il à la frontière des Bellovaques et des Ambiens, et le comté de Meath est assez éloigné du centre géographique de l'Irlande. Le cas de la Civitas Biturigum est moins un paradigme qu'une exception.

Une exception remarquable à vrai dire : l'histoire racontée par Tite-Live (qu'il doit certainement aux Celtes cisalpins) a franchi un demi-millénaire de tradition orale et doit être considérée comme la minuscule partie émergée d'une mythologie dont, malheureusement, nous ne connaissons plus rien.



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24 novembre 2005 | Lien permanent

Saints Archanges

29 septembre, fête des Saints Archanges. L'occasion est trop belle de continuer l'enquête sur Saint-Michel-en-Brenne. Faute de temps, je reprends ici in extenso, sans en corriger une ligne, un passage de mon essai de 1989, relatif à la Brenne.

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« Près du château du Bouchet, s'étend le plus vaste des étangs brennous : l'étang de la Mer Rouge, ainsi baptisé, d'après la légende, par le seigneur du Bouchet, au retour d'une croisade en Terre Sainte. Il aurait aussi fait construire la petite chapelle blanche, sise entre les arbres et les eaux, en souvenir d'une apparition de la Vierge dans le creux d'un vieux chêne, alors qu'il recherchait un épervier perdu. Rien n'est gratuit dans cette fable : le vieux chêne est l'arbre cosmique, symbole de la fonction zénithale, polaire, principe moteur de toute vie. Aussi trouvons-nous, à la verticale de la chapelle, la cité de Bélâbre, qui doit son nom au Bel Arbre, peut-être l'arbre de Bel, Bélénos, l'Apollon gaulois, dont les traits seront repris par l'archange Michel, qui signe la paroisse de Saint-Michel-en-Brenne, située au nord du même méridien. Celui-ci survole l'étang de la Gabrière, que la seule chaussée d'une route sépare de son jumeau, l'étang du Gabriau. Font-ils référence à cet autre archange, Gabriel ? Figurent-ils les deux ailes de cet épervier perdu, de cet autre ange, lui déchu, Lucifer, « porte-lumière » ? Mais l'épervier est aussi une sorte de filet pour attraper le poisson, ce qui fait écho au signe tout en servant d'image concrète de la géographie sacrée emprisonnant dans les mailles de sa logique villes, église, châteaux, rivières et sites naturels. L'épervier est enfin ce jeu d'enfant qui consiste en une chaîne toujours grandissante de ses successives captures, illustrant par-là même la contamination initiatique, la sève spirituelle se disséminant dans les canaux du chêne cosmique. Cette cabale phonétique s'enracine en Navarre, à l'horizon de Toulouse : le blason de cette province est de gueules aux chaînes d'or mérellées, chargées en coeur d'une émeraude au naturel. L'émeraude fut, dans le conte, détachée du front de Lucifer, puis taillée dans la forme du Graal pour y recueillir le sang du Christ. A l'horizon de Belâbre est ce village déjà repéré de Luzeret -dérivé de l'ancien français lusier, "porte-lumière" précisément. Par ailleurs, assure Doumayrou, « le sang du supplice est, d'un point de vue païen, la pierre vomie par Saturne, roi déchu, c'est-à-dire le Bétyle. L'origine delphique de ce monument étant perdu, on en ignore la forme première, mais sur les représentations antiques il est toujours semblable à un oeuf prisonnier d'un filet, ou des spires d'un long serpent enroulé. C'est la semence lapidaire enchaînée par la Mérelle (la toile ou les étoilements du filet) où serpente Mélusine, dans un embrassement qui l'emportera de la chute à la régénération.(Géographie sidérale, p. 160-161) » Ce Bétyle ne serait-il pas inscrit, à peine voilé, dans le nom de Béthines -village du proche Poitou, domaine de Mélusine- placée exactement sur l'horizon de Bélâbre ? D'autant plus que l'axe Béthines-chapelle de Notre-Dame de la Mer Rouge aboutit à Sainte-Gemme tout en rasant la ville haute du Blanc, ville sacrée à l'époque gallo-romaine, où se trouvait, selon Jacques Pineau, un « Orgeon », association religieuse s'adonnant au culte de Cybèle, celle qui causa la chute du vieux Saturne."

 

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29 septembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (1)

Le livre blanc et la Montjoie

"Correspondances secrètes, formes invisibles, rapports souterrains : la carte devait révéler tout un monde obscurément pressenti, le projeter sur l'espace terrestre et l'ouvrir à la déambulation. Mais rien n'est apparu : sur les innombrables écrans qui couvrent les murs de mon réduit, il n'y a qu'un interminable défilé de listes de noms, de lieux, de latitudes, d'identités, de signes particuliers, de montants, de dimensions, d'horaires, de cotations et de messages, tout cela à la suite, sans ordre ni signification, comme un long et sinueux ruban de déchets continuellement déposés par les vagues."

Philippe Vasset, Carte muette, Fayard,  2004, p. 9

Premières lignes d'un roman atypique que je découvris lors de sa sortie en 2004. Personne ne me l'avait recommandé et d'ailleurs personne ne m'en a parlé depuis. Le détail s'est estompé bien sûr, mais il me reste de Carte muette le souvenir d'une fantastique divagation sur les réseaux, une intrigue obscure sur les territoires de l'internet, une obsession des cartes, ce en quoi je ne pouvais que me reconnaitre et être happé par le dispositif  de voix plurielles mis en place par l'auteur.
Il n'était pas question de géographie sacrée ; le roman était résolument inscrit dans notre modernité, voire même dans une anticipation sensible de celle-ci, mais ce qui est au coeur de la recherche en géographie sacrée s'y laissait appréhender : la prise de repères par l'homme dans son milieu, le tissage par ses soins d'une toile où chaque élément vient résonner avec les autres.

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C'est donc sans hésitation aucune que j'ai emprunté la semaine dernière à la médiathèque le dernier livre de Philippe Vasset, Un livre blanc, paru en 2007. Le thème de la carte est là encore central - le sous-titre aussi en témoigne : Récit avec cartes -  puisqu'il est à l'origine même du projet qui a donné naissance à l'ouvrage. L'auteur fait simplement remarquer que les cartographes laissent parfois certaines zones vierges : "Qu'y a-t-il dans ces lieux théoriquement vides ? Quels phénomènes ont été jugés trop complexes pour être représentés sur une carte ? Pourquoi ces occultations suspectes ? Autant de questions nécessitant un examen approfondi. Pendant un an, j’ai donc entrepris d’explorer la cinquantaine de zones blanches figurant sur la carte n°2314 OT de l’Institut géographique national, qui couvre Paris et sa banlieue. Au cours de cette quête, j’espérais, comme les héros de mes livres d’enfant, mettre au jour le double fond qui manquait à mon monde. (p. 10)
Parti en quête de ces espaces vacants, Vasset va le plus souvent rencontrer la misère et la violence. Mais je ne veux pas ici chroniquer en détail cette exploration (d'autres l'ont fait avec pertinence). 
Je veux seulement dire ma surprise d'avoir découvert à la page 75 une carte comportant  la Plaine Saint-Denis et la Montjoie :

Cette même Montjoie, je l'avais, on s'en souvient, évoqué lors de mon exploration des Diou,
qui m'avait conduit à mettre en évidence une dualité des Denis.

Avec Vasset, nous sommes apparemment bien loin du vieux site celtique qu'Anne Lombard-Jourdan propose d'identifier comme le sanctuaire le plus vénéré de la Gaule :
"Un site en particulier a excité mon imagination : en arpentant, sur la Plaine Saint-Denis, un vaste rectangle que la carte présente comme vierge, mais qui a été comblé  par le centre de bureaux Plaine Espace et le siège social de Poelger CEIM (éclairage, génie climatique, distribution et transport d'énergie, appareillage domestique et industriel, sécurité des communications, outillage et mesure, câblage), je suis tombé, au croisement des rues Saint-Gobain et Fillette, sur un rassemblement de voitures de toutes marques et de toutes nationalités sur lesquelles s'affairaient des mécaniciens en bleu de travail."

Un site web poursuit et prolonge l'aventure du livre : il s'ouvre sur une carte où apparaissent certaines des zones blanches arpentées par l'auteur. Celle de la plaine Saint-Denis y figure, avec en regard des photographies et un texte où la Montjoie est  nommément citée (comme zone industrielle...) :

L'image du chantier archéologique qui surgit là me laisse rêveur : cette coïncidence entre le récit de Philippe Vasset et ma propre investigation ne suggère-t-elle pas d'autres modes de passage entre l'hier et l'aujourd'hui ?
Le sacré ne se dissimulerait-il pas in fine dans ces zones blanches, dans ces territoires abandonnés aux déchets ? Nous dont le regard se porte plus volontiers sur les vestiges avérés du passé, sur les constructions encore imposantes des siècles révolus, cathédrales, forteresses, abbayes, collines inspirées, ne devons-nous pas également nous porter vers ces lieux déshérités que l'urbain le plus brutal semble avoir cruellement scarifiés ?  Souvenons-nous que le sacré a à voir avec la souillure, qu'Apollon tuant le Python delphique est contraint de se retirer dans le val de Tempé pour se laver de ce meurtre. Nous retrouvons là une thématique abordée dès l'aube de cette recherche, où la ville de Poitiers, située sur l'axe équinoxial de Neuvy Saint-Sépulchre, se présentait  en sa devise comme "Sainte, sale et savante".

 

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28 mars 2008 | Lien permanent | Commentaires (2)

Cluny, Mayeul et Odilon

Première fille aînée de Cluny,  Souvigny entre dans l'histoire peu après sa génitrice. Si le 11 septembre 910, le duc d'Aquitaine Guillaume Ier, dit «le Pieux», cède sa "villa de Cluni et toutes possessions attenantes: villages et chapelles, serfs des deux sexes, vignes et champs, prés et forêts, eaux courantes et fariniers, terres cultivées et incultes", à charge pour Bernon, abbé de Baume et de Gigny en Jura et co-signataire, d'y fonder un monastère, le même Bernon reçoit en 915 de Aymard, ancêtre des Bourbons, une villa à Souvigny où il ne tarde pas à établir des moines. Ce nouveau monastère allait être le noyau autour duquel les descendants d'Aymard allaient développer la principauté du Bourbonnais, entre Auvergne, Berry et Bourgogne.

La situation géographique de Cluny et de Souvigny ne doit rien au hasard, les deux abbayes se situant délibérément dans des zones limitrophes : "Située sur la ligne de partage du droit coutumier germanique et du droit écrit romain, de la langue d'oïl et de la langue d'oc, à proximité de la Saône, cette frontière naturelle qui séparait l'empire romain-germanique de la Francie, de la via Aggripa qui reliait Lyon à Boulogne et à Trèves, traversée par une voie secondaire qui s'en détachait à Belleville-sur-Saône pour rejoindre la voie principale à Autun, la vallée de la Grosne, "carrefour clunisien", connaîtra pendant plusieurs siècles les grandes migrations et les grands rassemblements de l'Europe de ces temps.(Site de l'Ensam de Cluny)"

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 Position de Souvigny

 

Souvigny se place, elle, au carrefour de quatre diocèses, Clermont, Nevers, Bourges et Autun. Mayeul, quatrième abbé de Cluny, y meurt à l'âge vénérable de 84 ans, en 994, alors qu'il se rendait à Saint-Denis. Son culte se développe alors à une vitesse fulgurante comme en atteste en 996, le pélerinage de Hugues Capet sur son tombeau (si l'on en croit la Vita Maioli écrite par Odilon, abbé de Cluny, successeur de Mayeul). En 997 Raoul Glaber note dans ses Historiæ, que Mayeul est, avec Saint Martin de Tours et saint Ulrich d'Augsbourg (premier religieux canonisé par Rome), l’un des saints les plus sollicités lors d'une épidémie du mal des ardents et il ne craint pas d'ajouter que son tombeau attire les foules «de tout l’univers ».
Odilon va lui aussi décéder à Souvigny et il y a tout lieu de penser que cela n'est pas fortuit. Odilon et Mayeul n'ont en effet  jamais résidé à Souvigny, ils n'ont jamais cessé de voyager dans toute la chrétienté occidentale, et pourtant ils  rejoignent dans le trépas la même cité bourbonnaise. "Nous disposons de deux récits évoquant sa mort, peut-on lire sur le site de la ville. Le premier est une lettre envoyée par les moines de Souvigny à Albert, abbé de Saint-Denis, cette lettre est datée de juin 1049, soit quelques mois après la mort d'Odilon. C’est un texte précis, très réaliste dans les détails montrant l'agonie de l'abbé qui ne peut plus avaler que du vin et du miel dont il vomit la plus grande partie, ses difficultés à chanter, son comportement agité. Le deuxième texte, élaboré par Jotsald élimine soigneusement ces détails : il est destiné à édifier les fidèles, à montrer ce que doit être la mort d'un abbé. Dans cette version, Odilon repousse le diable et chante mieux que jamais. Ce texte doit jouer un rôle dans la propagation des mérites d'Odilon : Cluny entretient des rapports particuliers avec la mort, et la mémoire des morts est soigneusement préservée. A fortiori, la mort de l'abbé se doit d'être un modèle." Il n'est pas anodin de noter que c'est Odilon lui-même qui a institué vers 1030 la fameuse Fête des morts du 2 novembre, au lendemain de la Toussaint.


Mais la date de la mort d'Odilon est également à prendre en considération : il meurt en effet dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier 1048. Donc dans la nuit de la Saint-Sylvestre. Nuit apparaissant, comme celle de Noël, selon Philippe Walter "comme deux doublets d'une même fête solsticiale d'origine païenne. Ce sont deux nuits de tous les  dangers au cours desquelles peuvent se manifester les puissances tutélaires de l' Autre Monde, autrement dit les revenants. On peut déjà souligner que le nom de Sylvestre a pour étymologie le latin silva "la forêt" et que ce nom est à rapprocher de la grande figure de l'Homme sauvage, personnage clé de la mythologie préchrétienne, figure archétypale du revenant pour les traditions médiévales." (Mythologie chrétienne, Imago, 2005, p. 65).
Or, quelle est l'étymologie de Souvigny ? Rien moins que  Silviniacum, qui très clairement dérive de silva.

Le moine clunisien, nouvelle incarnation de l'Homme Sauvage ? C'est bien ce que suggère Adalbéron, évêque de Laon, anti-clunisien notoire...

(A suivre)

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01 juin 2007 | Lien permanent | Commentaires (8)

En lisant Jean-Pierre Le Goff (2)

"Dans le jardin de Claire et Jean-Pierre Fontbaustier à Gobert (Vouillon, Indre), les 26 et 27 septembre 1992, sous la coordination de Gérard Laplace, une dizaine de personnes utiliseront des ressources végétales pour mettre en place une installation qu'ils auront conçue. Celle que je propose  consistera en l'arrangement, suivant les suggestions du terrain, des oeufs que vous m'aurez confiés, et sur lesquels le nom de l'oiseau élu sera inscrit accompagné de vos initiales." (Jean-Pierre Le Goff, Le Cachet de la Poste, p. 72)

Ceci est la première mention d'une intervention de JPLG dans notre département. D'autres, nombreuses, suivront, ce qui ne saurait nous étonner, sachant (depuis le commentaire de Thierry) que le poète possède une maison à Châteauroux. On voit qu'il a délaissé pour une fois la perle au profit de l'oeuf (le chapitre concerné s'intitule De l'eau à l'air, de l'oeuf à l'oiseau).

Je n'ai jamais parlé ici de Vouillon, bien que son église romane mérite l'attention. L'historien Jean Hubert montra en 1966 que l'édifice actuel faisait suite à une importante tour-porche, appelée aussi galilée ou avant-nef. Ses dimensions en devaient faire le plus vaste prieuré dépendant de l'abbaye de Déols. Mais à l'origine, elle n'est qu'une simple chapelle mentionnée en 938 comme ayant été fondée par des moines bretons. Peut-être les mêmes, selon Gérard Granger, que ceux qui quelques années plus tôt ont fondé l'abbaye Saint-Gildas, près de Déols.

Maintenant, si je reprends ma vieille carte Michelin 68 traversée d'alignements comme un antique portulan, je constate que Vouillon se situe dans le prolongement de l'axe Saint-Valentin - Vatan. Si l'on ajoute qu'il est jalonné également par Le Petit Villiers et le Grand Villiers, on peut s'étonner de cette prolifération de noms en V. Dessin de la lettre évocateur du vol de l'oiseau ("ce n'est pas, écrit JPLG,  dans le monde clos de l'oeuf que nous trouverons l'air, c'est en aspirant au vol de l'oiseau qui en sortit que nous l'atteindrons"), ce qui nous incite à tracer l'autre branche du V originée à Vouillon, symétrique par rapport à l'axe méridien, qui n'est lui-même pas anodin puisqu'il vise  Saint-Aoustrille en étant tangent au cercle intérieur de la couronne de Ménétréols. Or, cet axe symétrique est pratiquement dans le prolongement de l'axe Bois Saint-Denis - Saint Denis (faubourg d'Issoudun).

L' oiseau élu dont parle JPLG serait-il par hasard un pigeon ? En tout cas, la ligne Vatan-Saint-Valentin-Vouillon rencontre juste après ce village le gros hameau de Boisramier.

Cette envolée vouillonesque m'a inspiré quelques autres pistes nouvelles, mais ce sera tout pour aujourd'hui.

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PS : On notera que le Loup, figure qui devait prendre beaucoup d'importance dans les équipées de JPLG, encadre ici en quelque sorte le lieu-dit à Gobert, où les oeufs furent installés, avec La Trace au Loup et la Fosse au Loup, sans parler de ce Croc à Marly, qui ne saurait déparer dans ce portrait.

 

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17 mars 2010 | Lien permanent | Commentaires (5)

Vita Martini (3) : Le cilice et la cendre

Devenu célèbre à la suite de la résurrection supposée d'un catéchumène, Martin est ordonné évêque de Tours le dimanche 4 juillet 371, contre son gré et "contre l'avis de certains assistants qui trouvent que ce moine a l'air trop misérable" (Encyclopaedia Universalis). Il ne renonce d'ailleurs pas au mode de vie monacal : il fonde en face de Tours, de l'autre côté de la Loire, le monastère de Marmoutier.


Sur l'importance de la place de Saint-Martin de Tours, une  étude fort pointue d'Hélène Noizet nous apporte des éléments de réflexion tout à fait intéressants. Deux moments différents sont analysés : au IXe siècle tout d'abord, alors que l’Austrasie constitue le coeur de l’empire carolingien, avec  les établissements monastiques d’Andenne, Echternach, Nivelles ou Stavelot comme principaux points d’appui du  pouvoir. "À la périphérie immédiate de ce centre carolingien, se trouve Saint-Martin de Tours (...). À cette époque, Saint-Martin est une institution ecclésiastique incluse dans une Cité épiscopale (...). Dans cette région, Saint-Martin n’est pas le seul soutien du pouvoir: Saint-Denis forme un autre point fort du système politico-ecclésiastique carolingien. Les deux institutions sont souvent associées dans l’esprit du souverain et bénéficient de privilèges similaires, qu’il s’agisse d’immunité ou de possessions de biens."

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©Hélène Noizet

 

Nous avons déjà pu établir, en ce qui concerne Saint-Denis, son implication dans la géographie sacrée du Berry. Nous voyons bien maintenant que la même chose est notable en ce qui concerne Saint-Martin de Tours. La géographie sacrée ne doit certainement pas être considérée comme un aimable divertissement et une simple ornementation dans le paysage mental des élites du Moyen Age, mais bien plutôt comme une donnée structurante étroitement liée aux processus historiques et aux enjeux de pouvoir qui les traversent.
Ceci peut encore être observé au XIIème siècle, deuxième moment étudié par Hélène Noizet, où "l’espace politique capétien dispose d’une seule capitale, Paris, et d’un sanctuaire royal singulièrement privilégié, Saint-Denis. (...) L’enclave royale de Saint-Martin constitue un point d’appui essentiel pour le roi, qui exploite au maximum les ressources de cette situation stratégique (...)" Plus haut, l'historienne rappelait qu'"à partir de 866, les abbés laïcs de Saint-Martin appartiennent systématiquement au lignage des Robertiens, les ancêtres des Capétiens, qui ont succédé aux Carolingiens à la direction du Regnum Francorum en 987. Saint-Martin acquiert ainsi une nouvelle dimension stratégique aux yeux du souverain, surtout dans ses relations conflictuelles avec les grands seigneurs que sont les comtes de Blois et d’Anjou. Ces derniers ont alternativement dominé le pagus de la Touraine (ressort comtal), mais les Capétiens sont finalement devenus les maîtres de cette région au tournant des XIIe et XIIIesiècles: les victoires de Philippe Auguste sur les comtes d’Anjou Plantagenêt, qui étaient aussi rois d’Angleterre depuis 1154, sanctionnent cette intégration définitive de la Touraine dans le domaine royal capétien. À cette échelle suprarégionale, Tours constitue donc un pion essentiel sur l’échiquier des relations entre Capétiens et Plantagenêts."


Partant, il n'est guère  étonnant de retrouver nos clunisiens dans cette histoire : c'est en effet Mayeul lui-même, saint Mayeul, abbé de Cluny, qui installe ses moines à Marmoutier en 982 à la place des chanoines accusés de désordre. La vie même de Mayeul, telle que rapportée par son successeur Odilon, ne manque pas de références remarquables : c'est bien en se rendant à Saint-Denis que Mayeul trépasse à Souvigny, et c'est là, sur son tombeau, que le roi de France Hugues Capet (dont le nom même renvoie à la cape de Martin) se rend en 996, en compagnie  de Bouchard, Comte de Vendôme, et de Renaud évêque de Paris. Et je rappelle une nouvelle fois qu'en 997 Raoul Glaber note dans ses Historiæ que lors de l’épidémie du mal des ardents, Mayeul est, avec Saint Martin de Tours, l’un des saints les plus sollicités et que son tombeau attire les foules «de tout l’univers ». La similitude avec saint Martin est poussée jusqu'à l'imitation des miracles : de même que Martin a connu la gloire grâce à la résurrection d'un catéchumène, saint Mayeul ressuscite un enfant. Odilon lui-même perpétuera cette assimilation en choisissant de mourir comme Martin sur un cilice : « Il passait les nuits en prières et en veilles, forçant ses membres épuisés à servir son âme, couché sur son beau lit de cendres et couvert d'un cilice…Ses disciples le priant de permettre que l'on glissât au moins sous lui de grossières couvertures ». « Il ne convient pas, dit-il, qu'un chrétien meure autrement que sur la cendre. Moi, si je vous laissais un autre exemple, j'aurais péché. » Et cet exemple fut suivi par les abbés de Cluny qui succédèrent à Odilon.

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Bible du Comte Rorigon,Tours, vers 835
Département des Manuscrits, Latin 3
Parchemin (image Bnf)

 

"L'abbaye Saint-Martin de Tours fut durant la première moitié du IXe siècle un centre éditorial de première importance. On a recensé pas moins de 45 bibles qui paraissent provenir de ce scriptorium réputé. Ce sont en général d'énormes bibles de format monumental et de plus de 400 feuillets, qui contiennent le texte complet de la bible. Elles étaient destinées à l'empereur, aux grands princes de la famille carolingienne, aux évêques, ou à d'autres abbayes. Copiée pour un des gendres de Charlemagne, le comte Rorigon, cette bible offre un remarquable exemple du nouveau type d'écriture qu'était la minuscule caroline."



Profitons-en pour revenir sur cette création déjà évoquée de la Commémoration des Morts ou  Jour des Trépassés par ce même Odilon à la date du 2 novembre. Philippe Walter écrit qu'"il ne faisait qu'adapter au christianisme une vieille coutume celtique qui voulait qu'à cette époque de l'année les âmes étaient engagées dans leur migration funéraire. En plaçant ce jour-là la fête des défunts, on détournait vers le culte chrétien les antiques croyances de la nuit de Samain et on les rendait inoffensives parce qu'elles étaient simultanément rattachées à une autre vision de l'au-delà qui offrait l'espérance d'un paradis à côté de la menace de l'Enfer." (Mythologie chrétienne, p.44-45) Samain, fixée au 1er novembre, était la grande fête inscrite au calendrier irlandais où le passage était possible avec le Sid, l'Autre Monde. Elle se perpétue en quelque sorte avec Halloween.


On constate donc que l'effort clunisien d'assimilation des rituels païens reprend celui qui fut mené par Martin en son temps, à partir du IVème siècle. Encore faut-il soupçonner qu'à travers la seule figure de Martin, se dissimule en filigrane une société de clercs soucieuse d'imposer sa religion. Aviad Kleinberg (Histoires de saints, Gallimard, 2005, p.235) écrit que le biographe de Martin, Sulpice Sévère, "essaie d'adapter le modèle oriental de la Vie d'Antoine d'Athanase au public occidental." La nécessité où se trouvent les clunisiens de poursuivre l'entreprise d'assimilation montre bien qu'un demi-millénaire n'avait pas suffi pour entamer substantiellement le crédit des pratiques paganistes. La coupure est encore vive entre ces pratiques et la religion cultivée : seul le culte des saints, avec son mélange d'éléments païens et chrétiens,  représente une forme d'expression populaire du christianisme. "Les villageois, explique Kleinberg (p. 232), qui représentent le plus grand nombre, adoptent les structures et les symboles chrétiens : le temps linéaire en même temps que le temps cyclique, la personnalisation des forces de la nature, un dieu devenu homme, un sauveur qui souffre comme un homme, un cosmos moral dans la partie invisible duquel perdurent des principes rigides de salaire et de châtiment. Par ailleurs, ils continuent de croire en une topographie sacrée (de montagnes, de grottes et de sources) dont le lien avec le christianisme est faible, ainsi qu'en des forces moralement neutres dominant la nature, la fécondité et la vie quotidienne.(C'est moi qui souligne)"


Le récit de la mort de Martin que nous verrons au prochain épisode est une belle illustration de la prégnance de cette topographie sacrée.

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20 juin 2007 | Lien permanent | Commentaires (2)

Saint Gildas les foulz, sainct Genou les gouttes

"Le tonneau, c'est un peu le berceau de notre humanité, ce que révèle si justement Gascar dans Les sources : "Lorsque, au début des temps, des hommes ont commencé à donner un profil infléchi au bois, ils ont formé un des premiers signes de leur accord avec le monde... Qu'on veuille, en courbant des lattes et en les ajustant les unes aux autres, construire une barque, un tonneau ou le bâti de la voûte d'une église, c'est toujours une part du monde qu'on enferme dans la forme protectrice d'un berceau."

Jean-Claude Pirotte (Expédition nocturne autour de ma cave, coll, Ecrivins, Stock, 2006)

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Près de cinq cents ans après la publication de Gargantua, Brisepaille, ce petit hameau près de Saint-Genou d'où est originaire la vieille accoucheuse de Gargamelle, existe toujours. Si Rabelais connaissait si bien la région, c'est qu'il y séjournait parfois, rendant visite à son ami Antoine de Tranchelion, abbé de Saint-Genou, qu'il se plaît d'ailleurs à citer dans un autre chapitre du livre, où cinq pélerins de Saint-Genou sont interrogés :

« Dont este vous, vous aultres pauvres hayres?

 - De Sainct Genou, dirent ilz.

 - Et comment (dist le moyne) se porte l'abbé Tranchelion , le bon beuveur ? Et les moynes, quelle chere font ilz ? Le cor Dieu ! ilz biscotent voz femmes, ce pendent que estes en romivage !

 - Hin, hen ! (dist Lasdaller) je n'ay pas peur de la mienne, car qui la verra de jour ne se rompera jà le col pour l'aller visiter la nuict."

Notons qu'avec ce qualificatif de bon beuveur décerné à Tranchelion,  nous ne quittons pas la  thématique de la beuverie.

Mais examinons maintenant l'hagiographie de ce saint très rare dans la toponymie française qu'est saint Genou, et pour cela reportons-nous une nouvelle fois au livre si précieux (et lui aussi bien rare) de Mgr Jean Villepelet, Les Saints Berrichons (Tardy, deuxième édition, 1963). On y apprend qu'une Vita Sancti Genulphi, rédigée au XIe siècle, fait de ce saint un Romain, envoyé de Rome par Sixte II avec son père, saint Genit, pour évangéliser la Gaule. Dans une version ultérieure, Genit est un simple compagnon de Genou. Veut-on masquer cette trop simple évidence : Genit géniteur de Genou, lui-même portant en germe la génération ? En tout cas, Le Dictionnaire Historique de la Langue Française (Robert) indique que  le nom de genou dans les langues indo-européennes (latin, grec, langues indo-iraniennes) " est sans doute à rapprocher de la racine *gne-, *gen(e)- naître (latin gignere, grec gignesthai) selon l’usage ancien de faire reconnaître le nouveau-né en le mettant sur les genoux de son père ».

Entre parenthèses, cela ne rend que plus cohérent le choix de Rabelais de faire naître Gargantua par l'entremise d'une native de Saint-Genou.

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Eglise de Saint-Genou 
                                                                            

Selon la tradition, Genou aurait vécu très saintement  et accompli quantité de miracles en un lieu appelé autrefois Celle-des-Démons, et identifié aujourd'hui avec la commune de Selles Saint-Denis, près de Salbris, en Sologne. En effet, le village se nommait autrefois Selles Saint-Genou, une fontaine et une chapelle portant encore son nom (Genoulph).

Il semblerait que les reliques du saint aient été transportées à Saint-Genou à la création du monastère au IXe siècle (cette translation aurait eu lieu un 10 juin, fixant ainsi la date de la fête de saint Genou, dont la mort serait survenue le 17 janvier).

Selles-sur-Nahon, une commune proche de Saint-Genou, était auparavant identifiée comme le Cella supra Nahonem de la Vita. "Saelles" en 1222, elle se nomme au XVIIè Celle-Saint-Genou, mais est appelée aussi, de par la légende, Celle-le-Diable ou Selles-le-Démon. Il est dit que saint Genou et saint Genit y construisirent une église dédiée à saint Pierre où ils furent ensevelis. Il existait aussi un prieuré dépendant de l'abbaye de Saint-Genou. Le Nahon désigne aussi bien l'affluent du Fouzon que celui de la Sauldre, à Selles Saint-Denis.

Par curiosité et réflexe quasi professionnel, j'ai tracé  l'alignement Selles Saint-Denis - Saint-Genou : or, il  passe à proximité de Selles-sur-Nahon. L'insistance sur le diable ou les démons laisse penser que le culte de saint Genou a certainement remplacé une dévotion païenne très ancienne, probablement liée à une source sacrée, source guérisseuse. Saint Genou lui-même apparaît comme un saint guérisseur, du "feu d'enfer" tout d'abord, puis des gouttes (les gouttes désignant d'ailleurs en berrichon des sources). C'est bien sur cette attribution que Genou est une nouvelle fois citée dans le Gargantua, tout de suite après une autre vieille connaissance :

O (dist Grandgouzier) les faulx prophetes vo' annoncent telz abuz. Blasphement ilz en ceste faczon les iustes & sainctz de dieu, qu'ilz les font semblables aux diables, qui ne font que mal entre les humains. Comme Homere escript que la peste fut mise en l'oust des Gregoys par Apollo. Et comme les Poetes faignent un grand tas de Veioves & dieux malfaisans. Ainsi preschoit à Sinays un Caphart, que sainct Antoine mettoit le feu es iambes, & sainct Eutrope, faisoit les hydropicques/ & saint Gildas les foulz, sainct Genou les gouttes. (C'est moi qui souligne).

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La légende des Bons Saints

 

Nous allons voir maintenant comment l'alignement des églises Saint-Etienne et Saint-Génitour, au Blanc, sur la visée de Douadic, trouve sa traduction dans le légendaire local. En l'occurrence, la légende des Bons Saints, que Lucienne Chaubin date du IX ou du Xème siècle, mais que Patrick Grosjean (Le Blanc de A à Z, Alan Sutton, 2007) affirme ne pas être antérieure au XIè siècle. Que nous raconte-t-elle ? Eh bien que Maure, une riche veuve du pays des Goths, en Hongrie, était venue à Tours avec ses neuf fils, Loup, Bénigne, Béat, Epain, Marcellien, Messsaire, Génitour, Principin et Tridoire, pour demander le baptême à saint Martin. Ce que s'empressa de faire, bien sûr, l'auguste évangélisateur. Décision qui ne fut pas du goût d'Agrippinus, roi des Goths, qui avait juridiction sur cette famille. Il dépêcha une troupe pour les faire abjurer ou pour les exterminer s'ils ne voulaient point se soumettre. On assiste alors à une vraie course poursuite. « Prévenue, dixit Lucienne Chaubin, Maure se cacha dans la grande forêt celte (Forêt de Teillé) ». Pourquoi les neuf fils n'en font-ils pas autant ? Mystère. En tout cas, les voilà fuyards en direction du sud. Les gens d'armes d'Agrippinus capturent tout d'abord Loup, l'aîné de la fratrie. « Je m'appelle Loup, dit-il, mais vous me trouverez prêt à mourir pour le Christ avec la douceur d'un agneau. » On lui tranche aussitôt la tête, ainsi qu'à Bénigne et Béat.

Epain se voit rattrapé à Saint-Epain, toujours en Touraine, et soumis au même châtiment.

La troupe assoiffée de sang martyrise ensuite Marcellin à Barrou et Messaire près de Tournon (Saint-Pierre ou Saint-Martin). Ces deux dernières localités se situent sur la vallée de la Creuse.

C'est enfin à Oblincum, au Blanc, que sont rejoints les trois petits derniers, Tridore, Principin et Génitour, qui sont décapités sur la rive gauche de la Creuse, donc dans la partie Ville Haute du Blanc.

 


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(Zoomer sur le plan pour percevoir l'ensemble de l'itinéraire et cliquer sur les balises bleues pour plus de renseignements.)

Avant d'en venir au dernier épisode, remarquons que le trajet emprunté par les neuf fils n'a pas adopté la ligne droite (mais je dois mentionner au passage que l'alignement Le Blanc – Tours passe exactement par Pouligny Saint-Pierre). L'itinéraire se présente en fait comme une ligne brisée dont le point d'inflexion est Saint-Epain, bourg implanté à l'endroit où la voie gallo-romaine Tours-Poitiers franchissait la rivière Manse «  tout près de son confluent avec le ruisseau de Montgoger au lieu-dit « la Boue » point le plus bas du bourg et de la vallée, nom hautement symbolique désignant un passage boueux qui n’est autre qu’un passage à gué de la rivière. »

 

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L'eau est donc un thème constant de cette histoire édifiante, comme on va encore le vérifier avec le dernier acte : car Génitour ramasse sa tête ensanglantée, traverse la rivière et va frapper à la porte d'une chapelle gardée par un aveugle prénommé Sébastien. Celui-ci ne consent guère à lui ouvrir jusqu'à ce que Génitour, passant son doigt sanglant à travers un trou de la porte, ne le touche et lui fait recouvrir la vue.  Génitour va alors s'étendre sur le dallage, désignant ainsi sa sépulture.

 

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Le trou dans la porte de Saint-Génitour

Génitour est donc l'un de ces saints céphalophores analogues à saint Denis, et son équipée épouse à peu près les mêmes contours que celles de ses congénères :

« Quoiqu'il en soit, la légende se développe, au-delà de quelques variantes, selon des schémas assez souvent récurrents : le saint, par exemple, a tendance à traverser une rivière, à passer de l'autre côté de l'eau, avant de gravir une côte, à gagner un lieu élevé (à moins qu'il n'en vienne), et de parvenir au lieu qui lui accordera enfin le repos. Il y lave volontiers sa tête dans une fontaine (comme le dit H. Dontenville, "Il semble que les saints aient eu besoin d'une onde pure pour accomplir "post mortem" un acte rituel"). Puis il la pose sur une pierre qui reste marquée de son sang. Là un personnage féminin se charge éventuellement des derniers soins à lui donner. »

Le cheminement de Génitour, de la ville haute à la ville basse, en empruntant certainement le gué qui existait au Moyen Age sur la Creuse (l'église Saint-Génitour se trouve encore de nos jours au bout de la rue du Gué), repond donc très précisément à l'alignement des églises mis récemment en évidence. Son orientation septentrionale est semblable à celle de saint Denis, qui, du lieu de son martyr, rejoint Saint-Denis, au nord de Paris. Et ce n'est sans doute pas un hasard si Génitour guérit un aveugle, c'est là en effet la vertu guérisseuse la plus importante accordée à l'évêque de Paris.

 

 

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13 mars 2009 | Lien permanent

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