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Retour sur saint Gildas

Toussaint. Dans l'après-midi, je me suis replongé dans l'ouvrage, ce livre qui rassemblerait toutes les notes écrites ici pendant cinq ans. Mais ce travail de synthèse avance avec une lenteur qui parfois me désespère. Ce jour-là, je continue le chapitre sur la légende de Denis Gaulois, liée à Déols, à partir de ce billet intitulé Sur la trace de Gildas. Le saint breton qui fonda un monastère sur la presqu'île de Rhuys, monastère que les religieux quittèrent devant la menace normande pour venir s'établir sur les berges de l'Indre, accueillis par les seigneurs de Déols. Une légende voudrait que dans leurs bagages ils auraient aussi apporté le calice dont Jésus s'était servi pour la sainte Cène, autrement dit le saint Graal. Toujours est-il que les abbayes voisines de Déols et de Saint-Gildas sombrèrent au début du XVIIème siècle sous les coups de boutoir du grand Condé, ce dont se désola le poète Jean Lauron, avocat et bailli de Saint-Gildas. Disciple de Ronsard, ce Jean Lauron avait aussi écrit l'épitaphe d'un autre castelroussin notoire, son presque homonyme Jean d'Aumont, compagnon d'armes de Henri IV.

Bref, j'en étais là de cette étude lorsque je m'aperçus qu'un détail biographique m'avait échappé en 2006 : le lieu de la blessure mortelle de Jean d'Aumont (dénommé le franc Gaulois en raison de sa bravoure). Jean d'Aumont est mort en effet des suites d'un coup de mousqueton reçu au château de Comper. Or, ce château est situé en Bretagne, au nord de la forêt de Paimpont, autrement dit la légendaire forêt de Brocéliande. D'ailleurs, il abrite aujourd'hui le Centre de l'Imaginaire Arthurien.

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Rue des Remparts

Belle ironie de l'histoire que ce court-circuit symbolique entre Bretagne et Berry. C'est sur les terres d'élection du Graal, précieux vaisseau que la légende transporte donc en Berry pour échapper au péril normand, que le seigneur berrichon vient trouver la mort devant les murs du château de la fée Viviane. Et le poète qui lui rend hommage est celui-là même qui se désole quelques années plus tard de la triste déliquescence des abbayes de Saint-Gildas et de Déols. Court-circuit symbolique qui s'exprime aussi dans le geste de l'abbé Dahoc, qui cache avant de s'enfuir huit ossements de Gildas sous le maître-autel de Rhuys, geste que la découverte de la légende de Denis Gaulois sous un autel d'église déoloise vient donc répéter en l'inversant.

En fin de soirée, l'envie me prend soudain d'aller voir la maison de Jean Lauron, qu'un vague souvenir me fait placer dans la vieille ville. Dans Châteauroux désert, en ce jour de Toussaint où la plupart des restaurants sont fermés, je me glisse Rue Grande, puis rue des Notaires. Aucune plaque sur les maisons, là où je pensais la trouver, à part celle de Maurice Rollinat qui passa là les vingt premières années de sa vie. Je remonte rue de la Vieille Prison, par l'ancienne porte Saint-Martin, et emprunte ensuite une petite rue que je ne connaissais pas, la rue des Remparts, qui surplombe la place du Palan. Six heures résonnent alors au clocher de l'église Notre-Dame, édifiée fin XIXème siècle sur le fossé d'enceinte de l'ancien Château-Raoul, et la lune en croissant se profile, de là où je suis, dans l'axe exact de la flèche, me rappelant la Ballade à la lune de Musset :

C'était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.

Une soudaine exaltation s'empare de moi à ce moment-là : il flotte ici comme un parfum de mystère. La quête longtemps interrompue reprend. Rue du Père Adam, un panneau d'information me donne enfin une clé : la maison de Jean Lauron est la "maison du Cadran" (solaire), à l'angle de la rue des Notaires et de la rue Descente de Ville. Maison massive, qui n'offre  au visiteur qu'une face bourrue, volets clos, comme refermée sur son histoire. J'ai soudain envie de tout savoir sur son ancien propriétaire, mais au retour la recherche sur le net est décevante, aucune trace de ses ouvrages, de ses poèmes. Il va me falloir traquer les bibliothèques et les Archives pour en savoir plus long.

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06 novembre 2011 | Lien permanent | Commentaires (6)

Saint Gildas les foulz, sainct Genou les gouttes

"Le tonneau, c'est un peu le berceau de notre humanité, ce que révèle si justement Gascar dans Les sources : "Lorsque, au début des temps, des hommes ont commencé à donner un profil infléchi au bois, ils ont formé un des premiers signes de leur accord avec le monde... Qu'on veuille, en courbant des lattes et en les ajustant les unes aux autres, construire une barque, un tonneau ou le bâti de la voûte d'une église, c'est toujours une part du monde qu'on enferme dans la forme protectrice d'un berceau."

Jean-Claude Pirotte (Expédition nocturne autour de ma cave, coll, Ecrivins, Stock, 2006)

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Près de cinq cents ans après la publication de Gargantua, Brisepaille, ce petit hameau près de Saint-Genou d'où est originaire la vieille accoucheuse de Gargamelle, existe toujours. Si Rabelais connaissait si bien la région, c'est qu'il y séjournait parfois, rendant visite à son ami Antoine de Tranchelion, abbé de Saint-Genou, qu'il se plaît d'ailleurs à citer dans un autre chapitre du livre, où cinq pélerins de Saint-Genou sont interrogés :

« Dont este vous, vous aultres pauvres hayres?

 - De Sainct Genou, dirent ilz.

 - Et comment (dist le moyne) se porte l'abbé Tranchelion , le bon beuveur ? Et les moynes, quelle chere font ilz ? Le cor Dieu ! ilz biscotent voz femmes, ce pendent que estes en romivage !

 - Hin, hen ! (dist Lasdaller) je n'ay pas peur de la mienne, car qui la verra de jour ne se rompera jà le col pour l'aller visiter la nuict."

Notons qu'avec ce qualificatif de bon beuveur décerné à Tranchelion,  nous ne quittons pas la  thématique de la beuverie.

Mais examinons maintenant l'hagiographie de ce saint très rare dans la toponymie française qu'est saint Genou, et pour cela reportons-nous une nouvelle fois au livre si précieux (et lui aussi bien rare) de Mgr Jean Villepelet, Les Saints Berrichons (Tardy, deuxième édition, 1963). On y apprend qu'une Vita Sancti Genulphi, rédigée au XIe siècle, fait de ce saint un Romain, envoyé de Rome par Sixte II avec son père, saint Genit, pour évangéliser la Gaule. Dans une version ultérieure, Genit est un simple compagnon de Genou. Veut-on masquer cette trop simple évidence : Genit géniteur de Genou, lui-même portant en germe la génération ? En tout cas, Le Dictionnaire Historique de la Langue Française (Robert) indique que  le nom de genou dans les langues indo-européennes (latin, grec, langues indo-iraniennes) " est sans doute à rapprocher de la racine *gne-, *gen(e)- naître (latin gignere, grec gignesthai) selon l’usage ancien de faire reconnaître le nouveau-né en le mettant sur les genoux de son père ».

Entre parenthèses, cela ne rend que plus cohérent le choix de Rabelais de faire naître Gargantua par l'entremise d'une native de Saint-Genou.

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Eglise de Saint-Genou 
                                                                            

Selon la tradition, Genou aurait vécu très saintement  et accompli quantité de miracles en un lieu appelé autrefois Celle-des-Démons, et identifié aujourd'hui avec la commune de Selles Saint-Denis, près de Salbris, en Sologne. En effet, le village se nommait autrefois Selles Saint-Genou, une fontaine et une chapelle portant encore son nom (Genoulph).

Il semblerait que les reliques du saint aient été transportées à Saint-Genou à la création du monastère au IXe siècle (cette translation aurait eu lieu un 10 juin, fixant ainsi la date de la fête de saint Genou, dont la mort serait survenue le 17 janvier).

Selles-sur-Nahon, une commune proche de Saint-Genou, était auparavant identifiée comme le Cella supra Nahonem de la Vita. "Saelles" en 1222, elle se nomme au XVIIè Celle-Saint-Genou, mais est appelée aussi, de par la légende, Celle-le-Diable ou Selles-le-Démon. Il est dit que saint Genou et saint Genit y construisirent une église dédiée à saint Pierre où ils furent ensevelis. Il existait aussi un prieuré dépendant de l'abbaye de Saint-Genou. Le Nahon désigne aussi bien l'affluent du Fouzon que celui de la Sauldre, à Selles Saint-Denis.

Par curiosité et réflexe quasi professionnel, j'ai tracé  l'alignement Selles Saint-Denis - Saint-Genou : or, il  passe à proximité de Selles-sur-Nahon. L'insistance sur le diable ou les démons laisse penser que le culte de saint Genou a certainement remplacé une dévotion païenne très ancienne, probablement liée à une source sacrée, source guérisseuse. Saint Genou lui-même apparaît comme un saint guérisseur, du "feu d'enfer" tout d'abord, puis des gouttes (les gouttes désignant d'ailleurs en berrichon des sources). C'est bien sur cette attribution que Genou est une nouvelle fois citée dans le Gargantua, tout de suite après une autre vieille connaissance :

O (dist Grandgouzier) les faulx prophetes vo' annoncent telz abuz. Blasphement ilz en ceste faczon les iustes & sainctz de dieu, qu'ilz les font semblables aux diables, qui ne font que mal entre les humains. Comme Homere escript que la peste fut mise en l'oust des Gregoys par Apollo. Et comme les Poetes faignent un grand tas de Veioves & dieux malfaisans. Ainsi preschoit à Sinays un Caphart, que sainct Antoine mettoit le feu es iambes, & sainct Eutrope, faisoit les hydropicques/ & saint Gildas les foulz, sainct Genou les gouttes. (C'est moi qui souligne).

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Denis Gaulois (9) : Sur la trace de Gildas

J'ai emprunté récemment à la médiathèque un ouvrage intitulé Saint-Gildas, de la Bretagne au Berry, sous-titré encore L'épopée des moines. Paru en décembre 2003 aux Editions Lancosme Multimédia, écrit par Gilles Guillemain et illustré par Jeannine Abrioux, il a, je cite la quatrième de couverture, "été conçu dans l'esprit d'attirer l'attention de nos contemporains sur une page d'histoire de Châteauroux, à l'époque où une abbaye était érigée sur les bords de l'Indre, aujourd'hui devenue le quartier Saint-Christophe." Ce livre,  est-il précisé au final, est "un guide parfait pour ceux qui recherchent  des traces de l'abbaye et de l'Histoire d'une civilisation, notre civilisation." Pierre Plateau, archevêque émérite de Bourges, vante dans sa préface ce "beau travail" où "les auteurs ont eu à coeur de faire revivre cette merveilleuse histoire de Saint Gildas." Il ajoute qu'ils "ont distingué avec honnêteté ce qui relève de la légende populaire et ce qui relève de la grande histoire de notre pays."


  Fort bien. Il reste qu'à la lecture du "guide parfait", on demeure plus que perplexe devant cette tentative de reconstitution de la vie de saint Gildas et du voyage des moines bretons jusqu'en terre déoloise. Certes, on nous a prévenus que ce n'était pas véritablement une biographie de la vie de saint Gildas, que la manière était "particulièrement épurée, quelque peu romancée, en survolant les faits"...
Qu'on en juge par le seul extrait suivant, bien significatif du style employé : " Dans la contrée d'Arecluta, baignée par le fleuve Clyde, le jeune breton [Gildas] regarde sa patrie, blessée par une kyrielle de conflits, panser ses plaies. La pluie quasi permanente nettoie les souillures infligées aux pierres, à la terre, aux rivières." Le dérèglement climatique, apparemment,  ne date pas d'hier.

Ceci resterait bénin si l'auteur ne se mêlait pas d'adjoindre à sa narration du périple des moines des notations tout à fait incongrues : ainsi, lors de l'arrivée à Déols du cortège mené par l'abbé Dahoc, on apprend qu'outre les saintes reliques de Gildas les moines détiennent rien moins que "le précieux calice dont Jésus-Christ s'est servi lors de  la sainte Cène." Autrement dit le Saint Graal ! "Le seigneur de Déols est sidéré par cette révélation particulièrement effarante". Le lecteur un peu averti également, car enfin la scène est censée avoir lieu en 922, or le Graal n'apparaît dans la littérature qu'au XIIème siècle, avec Perceval ou le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, et il faut attendre Robert de Boron, au XIIIème siècle, pour identifier ce Graal au calice de la Cène.

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Saint-Gildas

Contrairement à ce qu'annonce Mgr Plateau, on démêle donc mal ce qui relève du légendaire de ce qui appartient à l'histoire proprement dite. Mais survolons à notre tour plusieurs siècles et venons-en à l'époque qui nous occupe en ce moment : les deux abbayes de Déols et de Saint-Gildas, qui se sont semble-t-il développées en bonne harmonie, vont connaître une fin également similaire, "devenues la proie du prince de Bourbon, Henri II de Condé, apparenté à la famille royale, qui, convoitant leurs immenses richesses profite de la vente des possessions des seigneurs de Châteauroux pour acquérir leur comté."
 
En 1612, Condé achète effectivement ces terres berrichonnes, qu'il obtiendra d'élever à la dignité de duché-pairie en 1627. Notre livre lui prête de sombres desseins : "Le projet du prince de Condé est rapidement mis à exécution pour obtenir la sécularisation des deux abbayes. Il entreprend les démarches auprès du roi et du pape qu'il fourvoie. Il allègue, pour cela, l'incurie des religieux qu'il accuse de ne plus respecter les austères principes de la règle de saint Benoît. L'autorité des abbés gênait surtout celle du prince mécréant(1). La sécularisation, en 1622, et la dispersion des moines, sonnent la curée du monastère. L'enceinte fortifiée est envahie et détruite. Les édifices abandonnés fournissent des matériaux qui servent à construire les maisons du faubourg Saint-Christophe. Il ne reste rien de l'église abbatiale."

Sur la destruction des abbayes de Déols et de Saint-Gildas, l'auteur ne se trompe malheureusement pas : la sécularisation accélère un mouvement de démantèlement qui avait commencé avec les pillages et les incendies pendant les guerres de Religion. Il cite à cet égard le poète Jean Lauron (1560-1615 ou 1620), bailli de Saint-Gildas et garde du sceau de Châteauroux qui se désole ainsi dans un poème adressé au prieur de Saint-Gildas :

Temple que nos aïeux Ebbes Léocade Roux,
Avaient bâti doué d'honneur et de richesse,
Qui voisine le ciel de superbe hautesse,
Qu'êtes-vous devenus ? Hélas où êtes-vous ? (...)

Gilles Guillemain a beau jeu de se gausser en rappelant que Léocade "n'a rien à voir avec la construction de l'abbaye Saint-Gildas puisqu'il est mort au IIIème siècle..." Ce qui est plus intéressant c'est de voir ici le patronyme Roux, qui désigne un canton dans la légende de Denis Gaulois. Pour Guillemain, et on le suivra sur ce point, il "s'agit sans doute d'un pluriel utilisé -et pourquoi pas puisqu'on dénomme la ville, à cette époque, Château-Roux - pour qualifier les "Raoul" qui se sont succédé."

Par ailleurs, Jean Lauron avait rédigé en 1595 l'épitaphe de Jean d'Aumont, maréchal de France, compagnon d'armes  de Henri IV,  chevalier de  l'ordre du Saint-Esprit,  comte de Châteauroux,  qui avait choisi pour lieu de sa sépulture l'église des Cordeliers de cette même ville.

"L'imager pourroit bien figurer son Image
En ce tableau icy, et rapporter ses traits,
Mais pour représenter ses gestes et hauts faits,
Il faudroit voir, Passant, l'Histoire de cet âge,
Là tu verras d'AUMONT, d'ardeur et de courage
Foudroyer l'Espagnol par belliqueux effets,
Tu verras les Ligueurs furtifs et déffaits,
Embrasser ses genoux, luy venir faire hommage.
Ivry vit sa valeur, Arques son exercice,
Le feu Roy vit à Tours son fidèle service,
La Bourgogne a tremblé sous son juste courroux,
Le Breton à poings liez secondoit coup à coup,
Quand au bras il reçut à Camper un grand coup,
Qui mit son âme au Ciel, son corps à Château-roux.
Celuy qui pour la vie et bien de sa Patrie,
A cent fois exposé et les biens et la vie,
Celuy qui pour la France à sa vie cent fois
Exposé à la mort, sans vie tu le vois;
Son corps repose icy, et sa fameuse gloire
Burinée se voit sur l'Autel de la mémoire."

 Or, ce Jean d'Aumont, si l'on en croit cette page web qui relate son histoire , était aussi nommé le Franc Gaulois.

Rêvons un court instant : et si Jean Lauron était le véritable auteur de la légende de Denis Gaulois ? Légende inventée à l'origine pour exalter Jean d'Aumont mais récupérée de façon opportune par Condé, pour servir ses projets ?

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(1) Ce soi-disant mécréant n'hésite pourtant pas à nommer lui-même des prêtres sur  les paroisses qui lui appartiennent, si l'on en croit ce document ancien vendu à cette adresse.

 

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06 novembre 2006 | Lien permanent | Commentaires (8)

Denis Gaulois (2) : Du côté de la galerne

« Il étoit regardé par ses gens et habitants comme un grand homme, ainsi qu'il l'étoit véritablement de sagesse et de conduite. Il étoit d'une taille des plus avantageuses, ayant six pieds deux pouces de hauteur. De son côté, il aimait beaucoup ses gens ; il ne leur demandait jamais rien, si non de lui aider à chasser dans ses forêts, six fois en l'an, ses bêtes féroces. Il cueilloit des grains en abondance et tiroit du jus de tous les fruits qu'il récoltoit. Ses habitants faisoient comme lui ; il alloit les voir souvent, surtout ceux du canton de Roux, qui est à six traits d'arc de son luant, situé sur une éminence d'un côté où la rivière d'Indre passe ; de l'autre, une belle forêt, abondante en touts choses. Il n'avoit pour toute compagnie avec lui, chaque fois, que quatre siens amis avec leurs arcs, pour faire la chasse. »

Certains ont rapproché ce passage avec la scène de chasse aux lions gravée sur le sarcophage en marbre de saint Ludre, actuellement dans la crypte de l'église Saint-Etienne à Déols.

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« Il avoit déjà cent dix années, lorsqu'une troupe de gens, à lui inconnus, vint dans ses cantons pour les détruire ; mais il fut averti et rassembla ses habitants. Il rencontra ses ennemis près du canton de Déols, où il les occit tous et emporta avec lui un butin qui étoit très-considérable.

C'était une troupe d'Anglois(1), gens pervertis, sans loi ni religion. Il distribua à tous es hanitants tout ce qu'il avoit gagné sur eux, avec bien d'autres monnoies qu'il avoit fait frapper à son nom. »


En note (1), sans que l'on sache s'il s'agit d'un ajout de l'auteur originel ou d'une précision apportée par le Dr Fauconneau-Dufresne, on peut lire cette citation de Grégoire de Tours : « Britanni de Biturica a Gothis expulsi sunt, multis apud dolensum vicum perempti. (Hist. Lib. 2, cap. 18) Ce que François-Dominique Fournier traduit par « Les Bretons furent chassés de Bourges par les Goths, qui en tuèrent un grand nombre prés du bourg de Dol. »


Par Dol il faut entendre Déols : c'est d'ailleurs ce qu'on peut lire sur une traduction « angloise » de l'extrait : « The Britons were expelled from Bourges by the Goths after the killing of many of them at Bourg-de-Deols »


Comme on le voit, le clerc qui a imaginé toute cette histoire avait des lettres : Grégoire de Tours lui était rien moins que familier. A la fantaisie se mêle donc une érudition certaine, qui doit nous inciter à redoubler de vigilance, et à essayer de lire « à plus hault sens », comme le demandait Rabelais pour ses propres oeuvres.

Curieusement, la traduction britannique se trouve dans un ouvrage d'un certain Geoffrey Ashe intitulé "A Certain Very Ancient Book": Traces of an Arthurian Source in Geoffrey of Monmouth's History , Speculum, Vol. 56, No. 2 (Apr., 1981), pp. 301-323 ( malheureusement, il faut un mot de passe pour consulter plus avant ce document appartenant à la Medieval Academy of America). On la retrouve par ailleurs dans une thèse d'Adam Levin, elle, tout à fait accessible, datée de 1994, et nommée King Arthur's Death in Legend, History and Literature.

Je mentionne ces détails parce que ces références au roi Arthur deviennent intéressantes à partir du moment où l'on sait que saint Gildas, personnage par ailleurs historiquement avéré, intervient, dans sa légende, auprès du roi Arthur lorsque la reine Guenièvre se fait enlever par Meleagan : « Il aurait convaincu les deux rois de faire la paix bien que le frère de Gildas ait été tué par Arthur. Il est difficile de savoir si cette anecdote est vraie, étant donné qu'elle date d'un manuscrit du XIIe siècle , mais il est effectivement possible que le roi Arthur ait causé la mort du frère de Saint Gildas, ce qui pourrait expliquer pourquoi il ne figure pas dans la chronique de ce dernier (le De Excidio Britanniae, où Gildas s'adresse à cinq grands rois). »


Qu'il faille chercher dans cette direction bretonne, j'en vois encore un indice dans le passage suivant où, après l'affrontement avec les envahisseurs anglois, survient la canicule :

« Quelque jours après, les chaleurs devinrent si grandes que les animaux des bois venoient par bandes dans ses cantons, où ils causoient un grand dommage. Il fut obligé, par l'avis de ses amis, de faire faire un souterrain près son luant et la chapelle de Saint-Denis, du côté de la galerne, pour s'y loger l'été avec ses animaux et ses domestiques. »(C'est moi qui souligne)


J'ignorais complètement ce que c'était que la galerne. Le net m'apprit rapidement qu'il s'agissait d'un vent de nord-ouest, et je complétai mon instruction avec l'excellent dictionnaire des vents de Jean-Loïc Le Quellec, Par Vents et par Mots, acheté en août sur la foire aux livres d'Angles-sur-l'Anglin. Ce mot apparu vers 1150 est d'origine indéterminée : « On pourrait penser à une racine celtique connotant la fureur et la puissance (voir le gallois gal « fureur », le vieil-iralndais gal de même sens, et d'où peut-être le verbe normand galir, « jeter » qu'on a rapproché de jaillir). La finale en -erne serait à rapprocher de siberne, l'un des noms donnés à la bise. Etymologiquement, le vent de galerne serait alors celui qui « jaillit avec fureur ». Le mot est noté gualerne par Rabelais (Quart Livre, chapitre XLIII) et se trouve à l'origine du breton gwalarn» Un galerneau, poursuit l'auteur, est une « giboulée froide de mars, venant par vent de nord-ouest », dans le Berry et la Sologne.


Denis cherche donc la fraîcheur en plaçant l'ouverture de son souterrain vers la galerne, donc le nord-ouest, autant dire vers la Bretagne. D'où vinrent jadis les moines de Saint-Gildas, fuyant la presqu'île de Rhuys devant les invasions normandes.

 

 




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30 septembre 2006 | Lien permanent | Commentaires (2)

Denis Gaulois (15) : lui faisant caresses comme s'ils avoient su parler

Retour, comme annoncé, à la légende de Denis Gaulois (résumé des épisodes précédents : Denis revient de Bourges avec Léocade et sa suite ) :

"En approchant du canton de Déols, les autres animaux qui étoient restés au luant du seigneur Gaulois le sentirent arriver ; ils furent au devant de lui ; lui faisant caresses comme s'ils avoient su parler. Léocade et ses gens ne laissèrent pas d'avoir peur : mais le bonhomme leur ayant parlé, les fit tous connoître.
Léocade et sa femme étant donc arrivés au luant du seigneur Gaulois, demeurèrent quelque temps dans ce luant. Leurs gens étaient logés dans le canton de Dieux. Tous les jours Denis Gaulois menoit Léocade, Ludre et ses gens chasser les bêtes féroces et en tuèrent beaucoup. Avant que de partir, ils furent dans la chapelle entendre la prière que faisoient les moines ; ensuite ils montèrent sur chacun de ces animaux, à la faveur des quels ils en tuèrent beaucoup d'autres, surtout dans le canton de Roux."

On retrouve dans ce passage cette indétermination que j'ai déjà signalé sur l'identité des animaux compagnons de Denis Gaulois. Leur apparence doit être assez redoutable puisqu'ils effraient des chasseurs aussi aguerris que Léocade et sa troupe. Sensitifs et affectueux, ils entourent Denis de retour en son luant et comprennent ses paroles quand celui-ci les "fit tous connoître". Ils servent ensuite de montures pour la chasse aux bêtes féroces, elles aussi non désignées formellement. Ce flou dans les désignations renforce le sentiment d'étrangeté de cette histoire. Denis Gaulois apparaît encore plus qu'ailleurs comme un maître de la faune, un Homme Sauvage gouvernant les puissances animales. Cet aspect païen est contrebalancé par la référence à la prière, aux moines, à la chapelle, mais ceci est comme plaqué artificiellement sur l'intrique et ne contribue en rien au dénouement.

 

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El salvaje y el civilizado - Sculpture gothique présentant l'homme sauvage (homo sylvestris) au côté de l'homme civilisé à Valence.
Photo : Chosovi



Notons aussi le décalage dans les noms des cantons : Dieux renvoie certainement au Bourg-Dieu, autre nom ancien de Déols, et Roux à Châteauroux, mais pourquoi ces inventions lexicales, alors que les noms de Bourges et de Déols sont par ailleurs mentionnés ?

"Il arriva un jour que Ludre se trouva malade ; il pria Léocade de le changer de canton, parce que les chaleurs des bois le feroient mourir. Léocade n'ayant que ce fils, pria instamment le seigneur Gaulois de lui donner un autre canton : à quoi reprit le bonhomme : - Cherchez, vous êtes maître ; si vous n'avez pas de trésor, prenez dans mon luant ce qu'il vous faut  ; mais ne vous écartez pas de moi bien loin.
Alors Léocade fit bâtir un châtel entre  Dieux et Déols, sur une petite montagne, où il n'y avait qu'une prairie à passer entre son châtel et celui du seigneur Gaulois."

L'on voit à travers ce passage que Denis reste maître sur ces terres : Ludre malade prie son père qui en appelle lui-même à Denis. On retrouve également  le thème de la chaleur dans les bois, celle-là même qui en faisait sortir les bêtes féroces et ravager les cantons. Curieuse chaleur en vérité, puisqu'à rebours de l'expérience ordinaire de tout un chacun, où l'on va chercher la fraîcheur dans ces mêmes bois.
La description de l'emplacement du châtel de Léocade fait penser au château Raoul, édifié sur le coteau de la rive gauche de l'Indre, séparé de Déols par la seule prairie Saint-Gildas.

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16 avril 2007 | Lien permanent

Alignements sylvestres

Si l'on parcourt le  méridien de Saint-Genou au delà de Sainte-Gemme, on découvre qu'après avoir franchi la Creuse il atteint le bois de Souvigny. Ce même bois de Souvigny, entre Luzeret et la forêt de la Luzeraize,  traversé obliquement par le grand axe de saint Léger venu d'Autun. Cette coïncidence est d'autant plus remarquable que ce toponyme est le seul Souvigny attesté dans l'Indre. Stéphane Gendron (Les Noms de Lieux de l'Indre, 2004, p. 22) lui donne la même étymologie qu'au Souvigny de l'Allier : nom propre romain Silvanius + -acum, ou bien dérivé de silva "forêt".

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Un seul village indrien, Sougé,  présente une origine analogue : S. Gendron fait dériver ce nom de Silvius (nom propre romain) + -acum, à comparer avec Sougé-en-Braye, dans le Loir-et-Cher, Silviacus au IIIème siècle. Mais il précise qu'on pourrait également voir dans ce nom un dérivé de silva. Or Sougé est une commune  proche de Saint-Genou, à peu près à mi-chemin de Levroux. On sait par ailleurs que l'histoire de Levroux est marqué par saint Martin d'une part et les saints Silvain et Silvestre d'autre part.
Cette proximité sémantique Sougé-Levroux est marquée sur le terrain par un alignement qui unit très clairement Saint-Genou, Sougé et Levroux (en prenant en considération non pas la cité mais le château au nord de celle-ci, ancien oppidum gaulois dominant la vallée de la Céphons).

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Un axe perpendiculaire à  cet alignement  Saint-Genou-Levroux passant par Sougé conduit à Selles-sur-Nahon, où la tradition place , on l'a vu, l'établissement de saint Genou (en le nommant la Celle-des-Démons). Est-ce pour contrebalancer cette mention démoniaque que l'axe va se ficher au sud sur Villedieu-sur-Indre, dont le nom fut donné par les moines de Saint-Gildas qui y édifièrent un prieuré ?
Enfin, signalons que tout près de Sougé, au point médian de l'axe Levroux-Saint-Genou, se trouve le lieu-dit Champillé, où Gendron mentionne la présence d'un ancien prieuré et d'une chapelle Saint-Léger, ce qui, compte tenu de la rareté des occurrences de saint Léger dans l'Indre, est particulièrement frappant.

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07 juillet 2007 | Lien permanent

Aquarius

medium_verseau.jpgL'axe Lion-Verseau de la roue toulousaine, écrit Guy-René Doumayrou,  "unit clairement le Golfe du Lion, en Méditerranée, au pays d'Aquitaine, "pays des Eaux", ou d'Aquarius (nom traditionnel de Verseau, l'Homme du quaternaire des Vivants), c'est la plus insigne évidence" (Géographie sidérale, p. 62). Toulouse n'en finit pas d'être le paradigme de Neuvy, ainsi pour ce signe du Verseau : "(...) de même que les énergies confondues du rouge et du vert, les eaux supérieures et inférieures du Nord et du Sud, du Limousin et des Pyrénées, s'y mêlent en Gironde, conformément à son emblème qui montre un homme versant dans un courant le contenu d'un grand vase", de même l'Indre et le Cher, rivières éminemment berrichonnes , donnent en cette zone leurs eaux à la Loire. L'homme médiéval a dû saluer comme un signe divin cette coïncidence hydrographique. Le philosophe Michel Serres, qui ne parle  pas de géographie sacrée, n'en retrouve pas moins l'ancienne symbolique lorsqu'il se prend à évoquer l'Aquitaine de ses origines familiales, dans ce livre magnifique qu'est Les cinq sens :


"Verseaux d'alluvions recevant ou donnant des verseaux de vin, si ma langue peut souffrir ce miracle de noces, parmi les crues et les inondations de la versatile Garonne, clepsydre grise.(p. 172, Grasset, 1985) "


Que malgré les apparences Verseau soit signe d'Air, Michel Serres en décèle quelques pages plus loin l'intime raison :

"L'air, mélange vague, léger, subtil, instable, favorise les alliances ; vecteur de tout, il ne s'oppose à rien. Milieu du sensorium, excipient général des mélanges : vase principal de la clepsydre confuse. (op. cit. p. 184) "

Resurgit ici l'image de la clepsydre. Horloge à eau fonctionnant sur le même principe que le sablier.

Plus loin : "Ame. L'âme traduit le latin anima, qui, à son tour, traduit le grec anemos, qui veut dire le vent. L'âme errante vient d'où vient le vent. ( op. cit. p. 187) "


 Sur les rives de la rivière sacrée, la Bouzanne, petite Loire colérique, le village de Velles - où Stéphane Gendron ne voit qu'un  banal dérivé de ville -  est pour nous la voile (latin velum), toile  qui ne tire son énergie que du vent. Que la paroisse relevât de l'abbaye de Saint-Gildas apparaît somme toute logique :  le saint breton, l'ermite de l'île d'Houat, n'a-t-il pas accompli plusieurs fois un  voyage sur les eaux ?

 

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Denis Gaulois (1) : les licornes sans cornes

Je vous propose de suivre pas à pas, sur la mode du feuilleton, la curieuse légende de Denis Gaulois.


« L'an 218, Denis Gaulois possédoit le canton de la Gaule, en partie les terres de Dieux et celles de Déols ; il avoit aussi le canton de Roux. Il étoit fils de Denis Gaulois et de Jeanne de Dieux.

En l'année 196, ils firent bâtir une chapelle, qu'ils dédièrent à Sainte- Marie de Déols ; puis ils firent bâtir une autre chapelle, sur les bords de la rivière d'Indre, près leur luant ou châtel, où ils faisoient leur résidence avec Denis, leur fils. Ils la nommèrent Saint-Denis en Gaule ; ils firent venir des moines pour dire des oraisons à la louange du Seigneur.

Après quelque temps, la mère de Denis Gaulois vint à mourir ; elle fut enterrée dans la chapelle de Sainte-Marie de Déols. Son père l'ayant suivie de près fut enterré dans la même chapelle.

Denis Gaulois étant resté seul avec les amis de sa maison, continua de faire valoir les mêmes cantons que ses père et mère lui avoient laissés. »


Selon Grégoire de Tours, Denis aurait été décapité sous le règne de l'empereur Decius (248-251), on voit donc mal comment, en 196, on aurait pu édifier une chapelle consacrée au célèbre saint céphalophore. C'est l'une des nombreuses invraisemblances du texte, dont la géographie qu'il met en avant est tout aussi truffée de fantaisies : à côté de Déols, lieu avéré, voici les cantons de Dieux et de Roux, qui sont sans doute des jeux de mots formés sur Châteauroux ou le Bourg-Dieu (autre appellation de Déols). La suite n'offre plus aucun doute sur la teneur mythique de l'histoire :


« Il fit voeu de jamais ne se marier. Il éleva dans son luant quantité d'animaux féroces qui sembloient à des licornes, mais sans cornes ; dangereux envers les habitants de ces cantons mais non envers lui, il les avoit élevés de jeunesse et leur faisoit faire le labour de ses terres ; il les montoit comme des chevaux. Ces animaux multiplièrent un grand nombre d'animaux dont grande partie se retirèrent dans les forêts ; et ces cantons sont plantés en bois jusqu'à la rivière d'Indre, qui sépare les cantons de Dieux, Déols, Roux et Saint-Denis, tous situés en la gauche du Berry. »

medium_licorne.jpg

 

« Tous situés en la gauche du Berry » : on voit mal ce que signifie l'expression. Qu'est-ce que la droite et la gauche d'une province ? On se demande parfois si le copiste a bien fait son travail... Ces licornes sans cornes ne manquent pas d'un certain humour, sans doute involontaire. Un terme également nous étonne : luant, que le narrateur donne comme équivalent de châtel. Or, mon dictionnaire d'ancien français ne mentionne pas le mot. Il existe cependant une paroisse du canton de Châteauroux qui se nomme Luant, attestée en 1202 comme appartenant à Guillaume de Luant (Willelms de Luens), devenue Seigneurie de Luans en 1596 (Stéphane Gendron propose comme étymologie possible le nom propre germanique Leudincus). Et je viens de lire que Luant, où existait aussi un prieuré, dépendait de l'abbaye de Saint-Gildas (ce qui nous renvoie incidemment à un commentaire récent de Marc Lebeau...).


Tiendrions-nous là une piste sérieuse ?

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27 septembre 2006 | Lien permanent

En lisant Jean-Pierre Le Goff (2)

"Dans le jardin de Claire et Jean-Pierre Fontbaustier à Gobert (Vouillon, Indre), les 26 et 27 septembre 1992, sous la coordination de Gérard Laplace, une dizaine de personnes utiliseront des ressources végétales pour mettre en place une installation qu'ils auront conçue. Celle que je propose  consistera en l'arrangement, suivant les suggestions du terrain, des oeufs que vous m'aurez confiés, et sur lesquels le nom de l'oiseau élu sera inscrit accompagné de vos initiales." (Jean-Pierre Le Goff, Le Cachet de la Poste, p. 72)

Ceci est la première mention d'une intervention de JPLG dans notre département. D'autres, nombreuses, suivront, ce qui ne saurait nous étonner, sachant (depuis le commentaire de Thierry) que le poète possède une maison à Châteauroux. On voit qu'il a délaissé pour une fois la perle au profit de l'oeuf (le chapitre concerné s'intitule De l'eau à l'air, de l'oeuf à l'oiseau).

Je n'ai jamais parlé ici de Vouillon, bien que son église romane mérite l'attention. L'historien Jean Hubert montra en 1966 que l'édifice actuel faisait suite à une importante tour-porche, appelée aussi galilée ou avant-nef. Ses dimensions en devaient faire le plus vaste prieuré dépendant de l'abbaye de Déols. Mais à l'origine, elle n'est qu'une simple chapelle mentionnée en 938 comme ayant été fondée par des moines bretons. Peut-être les mêmes, selon Gérard Granger, que ceux qui quelques années plus tôt ont fondé l'abbaye Saint-Gildas, près de Déols.

Maintenant, si je reprends ma vieille carte Michelin 68 traversée d'alignements comme un antique portulan, je constate que Vouillon se situe dans le prolongement de l'axe Saint-Valentin - Vatan. Si l'on ajoute qu'il est jalonné également par Le Petit Villiers et le Grand Villiers, on peut s'étonner de cette prolifération de noms en V. Dessin de la lettre évocateur du vol de l'oiseau ("ce n'est pas, écrit JPLG,  dans le monde clos de l'oeuf que nous trouverons l'air, c'est en aspirant au vol de l'oiseau qui en sortit que nous l'atteindrons"), ce qui nous incite à tracer l'autre branche du V originée à Vouillon, symétrique par rapport à l'axe méridien, qui n'est lui-même pas anodin puisqu'il vise  Saint-Aoustrille en étant tangent au cercle intérieur de la couronne de Ménétréols. Or, cet axe symétrique est pratiquement dans le prolongement de l'axe Bois Saint-Denis - Saint Denis (faubourg d'Issoudun).

L' oiseau élu dont parle JPLG serait-il par hasard un pigeon ? En tout cas, la ligne Vatan-Saint-Valentin-Vouillon rencontre juste après ce village le gros hameau de Boisramier.

Cette envolée vouillonesque m'a inspiré quelques autres pistes nouvelles, mais ce sera tout pour aujourd'hui.

vouillon.jpg
PS : On notera que le Loup, figure qui devait prendre beaucoup d'importance dans les équipées de JPLG, encadre ici en quelque sorte le lieu-dit à Gobert, où les oeufs furent installés, avec La Trace au Loup et la Fosse au Loup, sans parler de ce Croc à Marly, qui ne saurait déparer dans ce portrait.

 

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17 mars 2010 | Lien permanent | Commentaires (5)

De la Guerre mondiale

serres-guerre.jpgJ'avais commencé l'étude de  Verseau en citant Michel Serres, et sur la fin de celle-ci, voilà que je le retrouve, sans l'avoir vraiment cherché, car ce dernier livre de lui que je viens d'achever, La Guerre mondiale, qui vient de paraître aux éditions Le Pommier, vous vous doutez bien qu'il ne traite pas de la géographie sacrée. Du moins explicitement...
Je finissais ainsi ce premier article :
"Sur les rives de la rivière sacrée, la Bouzanne, petite Loire colérique, le village de Velles - où Stéphane Gendron ne voit qu'un  banal dérivé de ville -  est pour nous la voile (latin velum), toile  qui ne tire son énergie que du vent. Que la paroisse relevât de l'abbaye de Saint-Gildas apparaît somme toute logique :  le saint breton, l'ermite de l'île d'Houat, n'a-t-il pas accompli plusieurs fois un  voyage sur les eaux ?"


La voile désigne par métonymie le bateau qu'elle propulse, comme dans ce passage de Mérimée : Enfin on signala la flotte de Castille, forte de quatre-vingts voiles, dont vingt galères de Séville, dix de Portugal (Mérimée, Don Pèdre Ier, 1848, p. 386). Or, que nous dit la quatrième de couverture de La Guerre mondiale ? "La Guerre mondiale ? Celle que les hommes font au Monde.
Nous prenons conscience aujourd'hui que l'adversaire dans cette guerre n'est autre que le vaisseau où nous sommes embarqués. Vainqueurs ou vaincus, nous risquons de couler ou disparaître. Quand le bateau fait eau, les matelots continuent-ils à s'entredéchirer ? Cette guerre nouvelle nous protégera-t-elle donc de celles que nous nous livrons les uns aux autres ?
(...)


Cette image du vaisseau n'est pas anecdotique sous la plume de Serres puisque c'est bien sur la métaphore de l'Arche qu'il conclut lui-même son ouvrage. Arche qui sert à fuir le Déluge, que le philosophe décrit comme la crue de la violence qui menace d'anéantir depuis toujours la communauté humaine. Mais si ce Déluge reste identique à soi, la nature de l'Arche a changé depuis celle de Noé : alors que celle-ci ne contenait qu'un reste, une famille et un seul spécimen par espèce, comme au Muséum et au Jardin des Plantes, l'Arche nouvelle embarque des sommes : "sommant la somme des universels concrets, notre arche  devient équipotente au Monde, au moins virtuellement. Nous voilà embarqués sur le Monde, avec le Monde, dans le Monde. Flottant sur un déluge mondial qu'elle contribue à créer, l'humanité navique à bord d'une arche mondiale qu'elle construit en temps réel, cognitivement. Cette puissance cognitive changera les consciences. Enfin chez elle à bord du Monde. l'humanité flotte sur des rapports humains souvent insensés. L'arche neuve rendra-t-elle ce vieux déluge inconsistant ? " (pp. 185-186).
Qu'est-ce que ces universels concrets dont parle Serres ? "moins H20, écrit-il page 184, que la totalité des eaux en réserve et en circulation, banquises, océans, pluie et ruissellements ; moins l'air que l'atmosphère dans son office, sa composition et sa probable évolution ; moins la glèbe que la somme et l'avenir de notre planète Terre ; moins le feu que nos stocks d'énergie et les poubellles de leur dégradation ; moins la vie que la diversité des espèces ; moins l'Homme que sa paléoanthropologie et l'addition de ses cultures et activités ; moins notre petite histoire que le Grand Récit... Soit, à l'horizon, le réel dans sa somme."

arche_noe.jpg

Arche de Noé (Abbaye de Saint-Savin)


Eau, air, terre, feu, c'est par les quatre éléments de l'astrologie que Michel Serres introduit sa vision de l'universel, mot où, soit dit en passant,  se laisse lire ce "verser" qui nous occupe si fort ces dernières semaines. Cette totalité à la fois ordonnée et respectueuse du divers que propose la géographie sidérale (avec ses douze signes à la fois différents et non cloisonnés, ouverts, poreux et tissant entre eux mille relations) ne peut-elle s'apparenter à ces universels dits concrets ?
Ce dernier mot appelle de sa part une mise au point particulièrement précieuse : "J'aime ici dire concret, tant la racine de ce mot, admirablement expressif, dit en précision : ce qui croît ensemble  ou en commun, ce qui croît par accrétion. Le tic journalier du journaliste consiste à exiger de celui qu'il interroge qu'il lui donne du concret ; par cette question, répétée jusqu'à vomir, il attend de lui un exemple particulier, partiel ou partial ; il croit faire, ainsi, la publicité de son propre réalisme ; le voilà, tout au contraire, idéaliste, au sens que je définis plus haut. Le partiel revient brusquement au passé, vieilli, obsolète, au formel abstrait, méchant et guerrier. Il induit à la bataille et pousse à l'affrontement, ce que cherchent en effet les interrogatoires du spectacle.
Non et non : le concret
(cum-crescere) désigne la croissance de toutes les parties vers un tout solide, comme aggloméré. Le concret croît et s'assemble dans tous les calculs que je viens d'évoquer. A chaque coup, ils nous montrent le tout, ils tendent et vont vers le tout, plus réel que toutes les partialités du passé, qui, aujourd'hui, nous paraissent abstraites et chères, désormais, aux idéalistes du regret, aussi bien que chères à payer, en guerres et morts. Oui et oui, plus croît le compte, plus il approche du concret. Qu'en est-il donc de ce concret-là ? Identiquement, la totalité : du Monde, des hommes, de l'Univers et du Temps."


Ceci n'est pas sans rappeler le Quadriparti de Heidegger (la terre, le ciel, le divin et les mortels), mais Serres ne cite jamais Heidegger (il cite d'ailleurs peu ses contemporains, à la notable exception de René Girard, dont la théorie du bouc émissaire et du mécanisme victimaire nourrit explicitement sa propre réflexion). Il ne cite pas non plus Augustin Berque ; pourtant le géographe avait, dès 1999, dans Ecoumène, fait remarquer que concretus était le participe passé de concrescere, grandir ensemble.


Le concret, donc, rassemble, et l'une des figures symboliques de ce "rassembler" est le confluent, ce que nous avions vu apparaître dès ce premier article sur Verseau, avec la confluence des eaux de l'Indre et du Cher, analogue à la confluence des eaux du Limousin et des Pyrénées en Gironde dans l'Aquitaine/Aquarius du zodiaque toulousain. Figure du confluent qui affleure quasi naturellement dans le texte de Serres : "(...) nous venons de bâtir un échangeur à quatre immenses voies, mélangeant nouvellement leurs temporalités différemment rythmées. Le flux de l'Histoire y jette ses eaux, rapides, dans celles, lentes, de l'hominisation, et celles, plus étranges, de l'évolution et de la cosmogonie. Nous vivons, nous pensons et  agissons aujourd'hui... face à l'Homme, à la Vie et au Monde, dont les trois anciennes abstractions se concrétisent ensemble dans et par ce confluent des temps."(p. 18)


Etrangement, ou faut-il plutôt dire significativement, Michel Serres est né à Agen. Or Guy-René Doumayrou écrit, page 77 de sa Géographie sidérale, "Les éléments , eaux mêlées et illuminées de l'intérieur, se fondent dans l'océan de l'universalité, car Verseau "est fait pour donner et se donner" (André Barbault, Verseau, p. 29). Avec la Guyenne, déformation phonétique du nom d'Aquitaine (Aquarius), Verseau enveloppe le pays d'Agen, anagramme évident pour l'ange verseur des eaux (...)."


Ange dont le prénom Michel porte aussi la marque (et je n'oublie pas le bel ouvrage qu'il consacra à leur Légende).
Certains hommes portent-ils, sans le savoir clairement, charge d'augure pour le monde à venir ?


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11 octobre 2008 | Lien permanent | Commentaires (4)

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