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Saint Jean porte la tine

Enfonçons le clou au sujet de Sucellus à Levroux, en versant un dernier élément au dossier. Je rappellerai donc que c'est le 6 mai 1013 que le Chapitre de chanoines de l'église de Saint-Silvain fut fondé par Eudes de Déols, dit Eudes l'Ancien, en présence de l'archevêque Dagbert et des principaux nobles du voisinage. Cette date n'a pas été choisie au hasard, comme on pouvait s'y attendre : c'est la Saint Jean Porte Latine, dite aussi la Petite Saint Jean, qui est célébrée ce jour-là. Or, voici ce que mentionne à cette occasion le site Carmina, que nous commençons à bien connaître :

medium_stjacques-levroux.jpg« Saint Jean est le seul apôtre qui n'ait pas été martyrisé. Cependant, l'empereur Domitien lui fit subir le supplice d'être plongé dans une cuve d'huile bouillante. Mais celle-ci se transforma en bain rafraîchissant. Ce supplice eut lieu près de la porte de Rome menant vers le Latium et appelée ultérieurement porte Latine.

Une fois de plus, le jeu de mot "Porte la tine" fit de saint Jean (le petit) un patron des vignerons et tonneliers puisque les vignerons portent la tine ou la hotte ou la cuve.

Mais il devint aussi patron des ciriers, des imprimeurs et des typographes.On pense que c'est parce que les imprimeurs on commencé à imprimer le latin, mais d'autres pensent que c'est parce que la porte latine s'ouvrait et se refermait comme un livre car ses charnières étaient centrales. D'autres aussi parce que les imprimeurs et les ciriers utilisent des huiles grasses.

Quoi qu'il en soit, la fête fut très populaire dans les milieux de l'imprimerie. En 1953, les typographes d'Orléans ont encore fêté la petite Saint-Jean et ont défilé coiffés d'un gibus.

Saint Jean porte Latine est représenté en portant sa tine. Elle se présente sous forme d'un tonneau attaché à un bâton. L'image est très proche de celle du Dieu Gaulois Sucellus (le bon frappeur) qui est représenté muni d'un maillet double au bout d'un bâton, un côté pour la vie et l'autre pour la mort. En Bretagne, on frappait (légèrement) les moribonds avec un maillet double. Le maillet donne la vie ou la mort, la mort ou la

résurrection. Les Francs-Maçons, lors de la réception d'un postulant, le frappent avec un maillet. Ils le tuent et le ressuscitent. Le maillet possède une fonction temporelle.

Pour saint Jean comme pour Sucellus, il semble que ce maillet soit un tonneau (tine) emmanché, ce qui rapprocherait saint Jean l'Évangéliste de saint Jacques et son bourdon (gourde au sommet d'un bâton) et lui reconnaîtrait son rôle de sommelier divin comme aux noces de Cana.

Tout ce qui est double est toujours d'essence temporelle à l'instar de Janus (janvier) qui a une tête tournée vers l'année passée et une autre vers le temps à venir. Il est, lui, reconnu clairement comme un dieu du temps et des passages... de portes. Tout passage est temporel. »(C'est moi qui souligne.)

Il serait extraordinaire que le 6 mai ait été déterminé dans l'ignorance de la symbolique qu'il représentait. Dois-je encore rappeler que les pélerins venant se faire soigner à Levroux étaient accueillis dans cet hôpital spécial nommé le Porche ? Que Janus (janvier) renvoie également à Capricorne, qui recouvre largement ce mois ? Que Levroux fut étape sur le chemin de Saint-Jacques (ce dont témoigne la fameuse maison de bois, dite Maison Saint-Jacques) ?

Levroux, marche nord de la seigneurie de Déols et du duché d'Aquitaine, est proprement la Porte des Dieux, porte solsticiale, dont René Guénon écrit qu'elle est « située au nord et tournée vers l'est, qui est toujours regardé comme le côté de la lumière et de la vie » (Symboles fondamentaux, p. 241).

Tournée vers l'est, lisons-nous ? Ainsi s'expliquerait que la fête de Saint Silvain soit placée au 22 septembre, c'est-à-dire à l'équinoxe d'automne, que la géographie sacrée désigne par un axe plein est, qui n'est autre que le parallèle de Neuvy Saint-Sépulchre, côté oriental . La figure de Silvain réunit ainsi les deux grands moments cosmiques que sont l'équinoxe et le solstice. D'ailleurs, les ossements du saint furent transportés en 1463 dans une chapelle, située dans le bois de Sully, près de La Celle-Bruère, selon la volonté d'Isabeau de Boulogne, fille de Bertrand, seigneur de Levroux. Or, ces lieux sont placés dans le signe équinoxial de la Balance, où une autre paroisse, Thevet Saint-Julien, a aussi un pélerinage en l'honneur de saint Silvain, le dimanche qui suit le 22 septembre.

Dernier indice décelable de ce jeu d'échos entre solstice et équinoxe : la présence sur le parallèle de Neuvy de la petite commune de Saint-Jeanvrin, dans le Cher. Saint Jeanvrin qui était autrefois tout bonnement dénommé saint Janvier...

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Et je m'avise encore qu'à quelques kilomètres de là, sur la route de Châteaumeillant, l'antique Mediolanum, le hameau de Sept Fonds nous évoque la Céphons levrousaine. Hameau situé très exactement sur le méridien reliant Toulx Sainte-Croix, autre montagne polaire, à Mehun-sur-Yèvre.

Et je lis encore, dans les Saints Berrichons de Mgr Villepelet (p. 143), que Jean de Berry donne, en 1383, un doigt de saint Silvain au chapitre de Mehun-sur-Yèvre.

Un doigt, un simple doigt, qui désigne celui qui commanda à la même époque, entre 1387 et 1393, à Jehan d'Arras, le roman de Mélusine...

 

Photo : Saint Jacques (Collégiale St Silvain)



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L'alouette et le buis

Simone, ma grand-mère, est morte. Elle était âgée de 95 ans, les souffrances avaient été vives et nombreuses ces dernières années, et ce départ est plutôt pour elle un soulagement. N'y voyant et n'y entendant plus que très mal, ne pouvant plus se déplacer seule, elle avait à peu près perdu le goût de vivre. Depuis 2002, où elle était allée vivre chez l'un de ses fils, je ne lui apportais plus ces livres en gros caractères de la bibliothèque d e La Châtre où j'avais pris spécialement pour elle un abonnement. Avant cette date, pendant des années, je l'avais alimentée de littérature régionale, celle qu'elle préférait, car elle avait souvent pour thème les campagnes et les destins paysans, histoires du seul monde qu'elle ait jamais connu. Car, en  presque un siècle d'existence, je ne pense pas qu'elle se soit souvent aventurée au-delà même des limites de sa commune et de son hameau. Et pourtant, sa destinée fut marquée et ô combien par les charivaris du monde, le bruit et la fureur de ce terrible vingtième siècle.

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Née donc le 10 octobre 1915, elle ne connaîtra pas son père, emporté très vite par la guerre. Et comme sa mère n'était pas mariée, elle ne connaîtra pas plus le père et la mère de son père, et ce sont ses grands-parents maternels qui pratiquement l'élevèrent. Elle se marie jeune, en 1933, avec Lucien, mon grand-père, rencontré, m'a-t-elle raconté, alors qu'ils menaient tous deux, sur un chemin, des boeufs et des vaches. En 1940, Lucien est fait prisonnier. Il ne reviendra qu'en mai 45. Pendant cinq longues années, Simone élevera seule trois petits enfants, dont l'aîné est mon père.

A Bouesse, dans la petite église, eurent lieu vendredi les obsèques. Ses sept enfants étaient là, ainsi que bon nombre de petits et arrière-petits enfants. Juste avant l'office, la tante qui s'est occupée d'elle jusqu'au dernier moment me demanda si j'avais prévu de dire quelque chose. J' y avais pensé, certes, mais je ne m'estimais pas plus légitime qu'un autre pour prononcer quelques mots d'hommage, et je n'avais donc rien préparé. Cependant, personne n'ayant rien préparé non plus, sauf des lectures d'évangile, je me sentis autorisé et même presque contraint à me lancer : elle ne pouvait pas partir sans que quelques paroles ne lui soient spécialement dédiées, sans que sa mémoire ne fût évoquée, de façon simple et concrète. Je sentais que je devais être la voix de tous ceux qui étaient cet après-midi rassemblés.

Dehors la neige tourbillonnait devant les anges, placées là pour les fêtes, qui gardaient la porte de l'église, et le froid intense rappela à ma propre mère celui qui sévissait il y avait tout juste 50 ans, dans cette même église, à l'occasion d'un événement qui n'était autre que mon baptême. Pour être exact, c'était le jour de Noël, mais le jeune prêtre rappela que la messe d'enterrement devait être célébrée de bon matin le lendemain même de ces funérailles : c'est donc exactement 50 ans, jour pour jour, qui séparent mon baptême et le dernier au revoir à ma grand-mère. Et je ne pouvais pas ne pas songer à cet article écrit ici-même pour mes 50 ans, où la neige et la guerre de 14 avaient bonne place déjà. Et, à cette date, rien ne laissait augurer de la rapide dégradation de santé de Simone.

Et les échos à la géographie sacrée dans les bornes mêmes de son existence ne sont pas niables : née dans la commune voisine de Malicornay, au lieu-dit l'Alouette, et décédée à La Verrerie, commune de Bouesse, elle est allée symboliquement de Bélier à Poissons, du premier au douzième signe du zodiaque. Il y aurait beaucoup à dire sur l'alouette, oiseau sacré des Gaulois, dont les ailes ornaient les casques d'une légion gallo-romaine fondée par César. L'alouette qui chante dès le matin exalte les valeurs du premier signe de printemps : « Son envol dans la claire lumière du matin évoque l'ardeur d'un élan juvénile, la ferveur, la joie manifeste de la vie. », note le Dictionnaire des Symboles (Robert Laffont, 1982, p. 25).

Née le 10 octobre, elle est Balance, l'autre signe équinoxial, mais sa mort le 21 décembre la rattache au solstice.

Et je rappelerai que Bouesse est placée presque au centre du carré barlong de Saint-Genou, le carré sacré du buis, découvert en 2008.

 

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La diagonale SO-NO prend Bouesse et Malicornay dans sa visée. C'est sur la route de Buxières d'Aillac, l'autre village portant le buis dans son étymologie , que se situe le petit cimetière où nous accompagnâmes, à travers la bourrasque neigeuse, Simone pour son dernier voyage. C'est le lieu de rappeler aussi que le buis est, de par sa longévité, symbole d'immortalité et de la résurrection du Christ.

De l' alouette au buis, de la naissance au terme, que la vie de mon aïeule s'inscrive ainsi avec tant de précision sur les lignes de force d'une géographie symbolique immémoriale me laisse comme étonné et perplexe. Quelles places accordées respectivement à la détermination et à la liberté ? Que penser au fond de cette nouvelle énigme ? De cet intime tissage de nos destins ?

     

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26 décembre 2010 | Lien permanent | Commentaires (7)

Le chaos et la forêt

Hé Dieux! que le temps m'anuie,

Un jour m'est une sepmaine;

Plus qu'en yver longue pluie,

M'est ceste saison grevaine.

Helas! car j'ay la quartaine,

Qui me rent toute estourdie

Souvent et de tristour pleine:

Ce me fait la maladie.

Christine de Pizan (Ballade XLIII) 

 

 Revenons sur l'axe Saint-Genou ¬ Saint-Ambroix, parallèle d'où a émergé la géométrie sacrée de saint Outrille et de saint Phalier : j'ai pu mettre en évidence le point commun entre les deux saints donnant leur nom aux deux localités, à savoir que tous les deux furent évêques de Cahors. Cette dernière ville devant être mise en rapport elle-même avec le chaos.

L'autre grande direction cardinale issue de Saint-Genou, son méridien, nous avait amenés à Sainte-Gemme et au bois de Souvigny, toponyme dont un inventaire a mis «  en lumière un complexe cultuel situé sur des zones frontalières, au coeur d'un massif forestier, en relation avec les puissances souterraines incarnées par la présence de sources sacrées. Si l'on recherche quelle divinité celtique pourrait bien avoir été au centre d'un tel complexe, on ne peut que penser au Silvain gallo-romain,  assimilé au gaulois  Sucellus, le dieu au maillet que j'ai déjà évoqué au sujet de Levroux. »

 

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 Christine de Pizan instruisant son fils

 

Or, les thématiques portées par ces deux directions cardinales, le parallèle et le méridien, ne sont pas sans lien dans l'imaginaire des hommes du Moyen Age ; c'est ce que j'ai découvert grâce à un de ces livres glanés au Bleu fouillis des mots, la librairie d'ancien de Châteauroux. Dans La couleur de la mélancolie sous-titrée La fréquentation des livres au XIVe siècle 1300-1415 (Hatier, 1993), Jacqueline Cerquiglini-Toulet écrit que la matière, « c'est l'unité primitive, le chaos primordial tel que Christine de Pizan le présente au début de L'Advision, l'indivision première.

Le grand ymage, dont a son commencement ce dit livre parle, pour tout le monde puet estre pris ; c'est asavoir ciel, terre et abeisme. Son nom qu'escript en son front portoit, c'est assavoir Chaoz, puet estre entendu que a son commencement les pouetes anciens nommerent la masse que Dieu fourma, dont il trey ciel et terre et toutes choses, chaos, qui est a dire confusion, qui encore assez est au monde. Les .ii. Conduis qu'il avoit par ou peüz estoit et purgiéz se puet entendre la naissance de toutes corporelles choses, et aussi la mort de toute creature vive.

« Glose sur la premiere partie de ce present volume », in L'Advision Christine (Ed. C. Réno), pp. 1-2.

( La grande image dont parle ce livre à son début peut être prise pour l'ensemble du monde ; à savoir le ciel, la terre et l'abîme. Le nom qu'elle porte écrit à son front, chaos, peut être entendu de cette manière : au commencement du monde, les anciens poètes nommèrent la masse que Dieu forma et dont il tira le ciel, la terre et toutes choses, chaos, c'est-à-dire confusion, laquelle est encore bien présente dans ce monde. Par les deux tuyaux de l'image, par lesquels elle était nourrie et purgée, on peut comprendre la naissance de toutes les choses corporelles, et aussi la mort de toute créature vivante.) »

L'auteur poursuit ainsi : « Ce chaos peut être vu comme forêt, materia prima, hylè des Grecs. C'est la forêt obscure dans laquelle se trouve Dante au début de La Divine Comédie, « chose dure à dire, sauvage et âpre et forte » (Enfer, chant 1er, vv. 4-5), cette « silve » qu'évoque Christine de Pizan dans son Chemin de Long Estude (v. 1131), profondeur ténébreuse de l'informe à valeur d'enfance. La matière en tant qu' origine renvoie à l'élémentaire et la forêt en constitue, métaphoriquement, le paradigme. » (p. 70)



Cette longue citation - trouvée presque accidentellement alors que je feuilletais ce volume longtemps après l'avoir l' acheté - donne encore plus de cohérence au schéma symbolique ordonné autour de Saint-Genou et donne un sens jusque-là encore inaperçu à certains noms présents sur les cartes. Ainsi, j'étais intrigué par cette forêt de Chaon près de Souvigny-en-Sologne ; vue à la lueur du passage ci-dessus, c'est presque un pléonasme qu'on peut alors y lire.

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L'idée de naissance attachée au chaos est également illustrée par l'importance donnée dans ce village à la fête de saint Blaise. Placée là au 31 janvier, selon le Quid, elle est plus traditionnellement attribuée au 3 février. Or, ce 3 février est précisément la date donnée par Rabelais pour la naissance de Gargantua, dont nous avons déjà vu avec la vieille de Brise-Paille le lien avec Saint-Genou. Situé exactement quarante jours après Noël et quarante jours avant Pâques, le 3 février a sans doute été choisi, pense Anne Lombard-Jourdan, parce que la spécialité du saint était de soigner la gorge, « si présente dans la nomenclature de la famille Gargantua et dans l'histoire du géant. Mais il faut prendre aussi en considération la signification du nom du saint. » (Aux origines de Carnaval, Odile Jacob, 2005, p.52). Analyse partagée par Philippe Walter pour qui Rabelais inscrit « délibérément le mythe gargantuesque dans la tradition et la religion carnavalesque. A la fois lieu de parole, lieu d'absorption des aliments, , lieu de circulation du souffle vital (en allemand blasen signifie « souffler »), la gorge de Blaise (ou de Gargantua) renvoie à celle du loup divin, l'homme-loup (ou l'homme-ours) qui gouverne les cycles du Temps mais aussi les liturgies de Carnaval : la musique sur les instruments à vent, le grand manger, la sortie de l'ours (ou du loup-garou) prédateur, autant de rites qui renvoient à un temps originel cherchant à établir les principes d'un ordre par rapport auquel l'homme devra se définir. » (Mythologie chrétienne, Imago, 2005, p. 103)

 

Pour conclure provisoirement, je songe encore à la rivière qui coule à Souvigny-de-Touraine, dont le nom, l'Amasse, renvoie peut-être à « la masse que Dieu forma et dont il tira le ciel, la terre et toutes choses, chaos ». Ici encore, la naissance est sur-signifiée par la présence de fonts baptismaux très anciens (Vème-VIème siècle) et d'un lavoir construit à l'emplacement d'une fontaine sacrée gauloise.

 


 

 

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06 décembre 2007 | Lien permanent | Commentaires (4)

Le rocher des Fileuses

Sur la rive opposée, en face de la tour Colin du château de Crozant, s’élève la falaise que l’on nomme ici le rocher des Fileuses, d’après une légende que l'abbé Rouzier rapporte ainsi en 1897 dans son « Histoire illustrée des châteaux de Crozant et des Places » :

" Lorsqu'aux jours ensoleillés du printemps, les bergerettes paissent leurs moutons sur la montagne verdoyante, une sorte de joyeux tournoi s'établissait entre elles, ajoutant cet innocent plaisir aux charmes de leurs jeux champêtres. Au signal donné on voyait les intrépides jeunes filles, la quenouille au côté, le fuseau dans la main, debout toutes ensemble sur le faîte de la roche, qui s'élève à pic sur le torrent à l'heure où le soleil descend lentement sur l'horizon, et où la rivière miroitait, comme une immense lame d'argent diaprée d’efflorescences d'or et d'azur. Quelle sera la main assez habile pour laisser glisser jusqu'au bas son fuseau et le ramener à elle enlacé de ses mille fils de lin ? Quel pittoresque spectacle ! Dès que les divers fuseaux entraient dans l'eau, et en remontaient ruisselants de gouttelettes brillantes, il se faisait comme une traînée de diamants qui attiraient les regards. Assis au haut de la vieille tour, le seigneur, entouré de sa noble épouse et des servants d’armes, les yeux fixés attentivement sur le groupe sémillant des fileuses, attendait avec émotion l’issue de cet intéressant tournoi. La bergerette qui avait été assez heureuse pour triompher de cette périlleuse épreuve était acclamée par ses compagnes. qui la conduisaient bruyamment à la demeure seigneuriale où le vieux châtelain après avoir effleuré son front virginal d'un baiser paternel, lui plaçait sur la tête une couronne de fleurs et lui offrait la main de l'un de ses jeunes varlets (...) A ce moment le barde chantait sur la harpe sonore, le triomphe de la douce héroïne du Fuseau. Au loin des cris guerriers ont rompu le silence Allons ! Preux chevaliers armez-vous de la lance ! Est-ce l’ennemi qui s’avance ? Non, c'est la fleur d’amour, Preux chevaliers, abaissez votre lance ! Saluez ! Saluez la reine de ce jour ! Chantez, chantez, l'hymne d'amour !"
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Autres fileuses : Les Parques Tout fait sens dans cette légende. Tout d'abord, elle se déroule au printemps, à une époque où la montagne est verdoyante : c’est précisément en Taureau, deuxième signe de printemps, que la nature, sous nos latitudes, connaît une explosion de vert. Les arbres longtemps dénudés recouvrent leur feuillage et les pâturages sont à nouveau en mesure d’accueillir le bétail. Cet hymne d'amour exprime parfaitement la domiciliation de Vénus dans le signe, Aphrodite grecque, « née de l'écume » (ex toû aphroû), dont ce fuseau iridescent surgi des flots de la Creuse porte encore le souvenir. Vaste symbole d’ailleurs que ce fuseau qui résume à lui seul le trajet initiatique de l'adepte. Cette descente, cette plongée dans les eaux tumultueuses de la Creuse et l’étincelante remontée symbolisent en effet le parcours nécessaire du chevalier. On l’a vu pour Enée, et cela est vrai pour tous les héros, le passage par les Enfers est obligatoire. Pour accéder à un niveau d’ être supérieur, il importe de sortir victorieux de cette épreuve fondamentale, en termes psychologiques, de la plongée dans l’ inconscient. L'enfer est inferis, le lieu d'en bas, représenté par la Creuse, dont l'étymologie est la même que celle de Crozant (gaulois croso « creux »). L'ascension du fuseau figure alors le triomphe du héros sorti métamorphosé de sa confrontation avec les puissances infernales. Le fil fait le lien entre les différents niveaux cosmiques. Et les Fileuses ne sont pas sans faire penser aux Parques romaines et aux Moires grecques : « Ces divines et infatigables filandières n'avaient pas seulement pour fonction de dérouler et de trancher le fil des destins. Elles présidaient aussi à la naissance des hommes. Enfin, elles étaient chargées de conduire à la lumière et de faire sortir du Tartare les héros qui avaient osé y pénétrer. C'est ainsi qu'elles servirent de guides à Bacchus, à Hercule, à Thésée, à Ulysse, à Orphée, etc. C'est à elles encore que Pluton confiait son épouse, lorsque, suivant l'ordre de Jupiter, elle retournait dans le ciel pour y passer six mois auprès de sa mère. » ( P. Commelin, Mythologie grecque et romaine, pp. 95-98.) Le fil est suivi des yeux par le vieux seigneur et sa suite. Il importe en effet de ne jamais le perdre du regard, c'est la leçon du mythe du fil d'Ariane. C'est le lieu de se souvenir qu'à l'intérieur du palais crétois du roi Minos était enfermé le Minotaure, monstre à corps l'homme et tête de taureau: à qui l'on sacrifiait, tous les neuf ans, sept jeunes gens et sept jeunes filles amenés d’Athènes en tribut. Le combat contre le Minotaure « ne peut être victorieux que grâce à des armes de lumière : d'après une légende ce n'est pas seulement avec sa pelote de fil qu' Ariane permit à Thésée de revenir des profondeurs du labyrinthe, où il avait assommé le Minotaure à coups de poings, c'est grâce à sa couronne lumineuse, dont elle éclaire les détours obscurs du palais. » (Dictionnaire des Symboles, p.635) La couronne de fleurs dont le châtelain honore la bergerette pourrait bien être une réminiscence de cette légende...

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02 juin 2005 | Lien permanent | Commentaires (1)

Saint Christophe, Pantagruel et Gargantua

« Gargantua en son aage de quattre cens quattre vingtz quarante & quattre ans engendra son fils Pantagruel de sa femme nommée Badebec fille du Roy des Amaurotes en Utopie, laquelle mourut de mal d'enfant: car il estoit si grand & si lourd, qu'il ne put venir à lumiere, sans ainsi suffocquer la mere. Mais pour entendre pleinement la cause et raison de son nom qui luy fut baillé en baptesme: Vous noterez que celle année il y avoit une si grand seicheresse en tout le pays de Affricque, pour ce qu'il y avoit passé plus de xxxvi. moys sans pluye, avec chaleur de soleil si vehesmente, que toute la terre en estoit aride. Et ne fut point au temps de Helye plus eschauffée que fut pour lors. »

(Rabelais, Pantagruel, Ch.2)

Le bon géant saint Christophe aurait-il quelque chose à voir avec Pantagruel ? C'est ce que suggère Rémi Schultz dans un passionnant article sur la gématrie rabelaisienne, en citant lui-même Claude Gaignebet et son livre paru en 1986, A plus hault sens,, chez Maisonneuve et Larose : « L’une des thèses les plus ambitieuses sur l’œuvre de Rabelais est celle de C. Gaignebet, dont une hypothèse fondamentale est la naissance de Pantagruel le 25 Juillet, jour de la St Jacques et de la St Christophe, seul saint géant, indiquée selon lui par une accumulation de signes. »

Pantagruel naît, on l'a vu, en période de canicule (latin, canicula). C'est le lieu de rappeler que ce nom est issu du latin canis, chien, et que Sirius, la plus belle étoile de la constellation du Grand Chien, annonçait l'été dans l'Egypte ancienne. Or, saint Christophe était parfois représenté avec une tête de chien, « notamment, signale Anne Lombard-Jourdan, sur les icônes byzantines. »1 Par ailleurs, la légende précise qu'il vient du pays de Chanaan (quelle que soit la véritable étymologie du nom, on ne peut s'empêcher d'y lire la racine canis).

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Saint Christophe Cynocéphale
Musée byzantin, Athènes

Plus largement, c'est non seulement avec Pantagruel mais aussi avec Gargantua que Christophe présente des accointances certaines, comme G. Bertin l'a remarqué :

« Dans le Maine et Loire, notons un culte à saint Christophe du Bois et saint Christophe de la Couperie. A Saumur, on admirait autrefois une statue de St Christophe de 7m de haut en l'église St Pierre du marais, détruite en 1793. D'une façon générale, sa statue avait tendance à grandir au porche des églises, 28 pieds à paris, 29 à Auxerre, 36 à Strasbourg. A Chacé, la Pierre fiche (ou peulvan) serait un grain de sable tombé de l'un des sabots de St Christophe lorsqu'il les secoua en mettant le pied dans la prairie, le lien avec Gargantua est ici évident. A Angers, le passeur géant surveillait le passage à la Porte Chapelière en tête des ponts. Il présidait à la Bonne Mort . On le voit aussi au Lion d 'Angers.

Le plus célèbre de ses pèlerinages est à Saint Christophe du Jajolet, dans l'Orne, au croisement de deux itinéraires de deux chemins montais, Paris-Le Mont Saint Michel et Orléans-Le Mont, sa chapelle est établie près de la mare de Grogny, creusée par Gargantua, lorsque le géant voulut faire la butte funéraire du Hou. »

Dans la même région de l'Ouest, le village de Bouzillé s'honore d'une truculente histoire : la butte sur laquelle il est bâti serait l'oeuvre de Gargantua : il aurait mis ainsi un terme à la dispute des habitants de Liré et de Saint-Florent-le-Vieil, qui se déchiraient sur la question de savoir lequel des deux bourgs était situé à égale distance de Nantes et d'Angers. Posant le pied gauche sur Saint-Pierre de Nantes et le droit sur Saint-Maurice d'Angers, rabattant son haut-de-chausses, il aurait déposé un étron de belle facture au mitan des deux localités. « Bouze y est ! » aurait crié la foule.

Or, sur un forum de la Société de Mythologie Française de septembre 2003, Guillaume Oudaer, étudiant en histoire à Lille 3, signale que cette anecdote a trouvé un écho dans ses propres recherches, lesquelles portaient sur la bataille de Mag Tured entre les Tuatha Dé Danann (les dieux celtiques irlandais) et les Fomoires ("les géants démoniaques") :

« En effet, dans ce texte, on nous dit que le Dagda (auquel l'article mythologique sur Gargantua propose une possible assimilation) aurait été amené, après une altercation ayant une consonance grotesque que l'on retrouve dans les aventures de Gargantua, à déverser en un lieu le contenu de ses intestins, le postérieur enfoncé dans la Terre, comme dans un sillon.
A mon humble avis, ce motif qui semble à la fois commun à l'Irlande et à la France et que l'on retrouve chez deux personnages forts semblables est un argument qui va dans le sens d'une identification de Gargantua à un avatar de l'équivalent gaulois du Dagda irlandais.
»

Cette dernière précision nous permet en quelque sorte de boucler la boucle : une chaîne symbolique relie avec une cohérence difficilement contestable différentes figures de géant, à savoir le Dagda, saint Christophe, Pantagruel et Gargantua.

En guise de conclusion provisoire, je m'avise maintenant que le site même de l'Arnon convient merveilleusement à la thématique développée jusqu'ici : ces gorges, dont l'entrée est somme toute gardée par le Jupiter de Saint-Christophe-le-Chaudry, font référence étymologiquement au latin populaire gorga, variante du bas latin gurga « gosier » (Vième siècle), du latin classique gurges « tourbillon d'eau », « gouffre, abîme », et, au sens figuré, « gosier ». Rappelons que c'est là, selon Rabelais, l'origine du nom Gargantua :

« Le bonhomme Grantgousier beuvant, et se rigollant avecques les aultres entendit le cris horrible que son filz avoit faict entrant en lumière de ce monde, quand il brasmoit demandant à boyre/ à boyre/ à boyre/ dont il dist, que grant tu as, supple le gousier. Ce que oyans les assistans, dirent que vrayment il debvoit avoir par ce le nom Gargantua, puis que telle avoyt esté la première parole de son père à sa nativité, à l'imitation et exemple des anciens Hebreux. A quoy fut condescendu par icelluy, & pleut tresbien à sa mère. Et pour l'appaiser, luy donnèrent à boyre à tirelarigot, et feut porté sus les fonts, et là baptisé, comme est la coustume des bons christians. »(Gargantua, ch. 6)

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1Elle renvoie en note à Pierre Saintyves, Saint Christophe, successeur d'Anubis, d'Hermès et d'Héraclès, Paris, 1936, p.55 et à Henri Gaidoz, « Saint Christophe à tête de chien en Irlande et en Russie », Mémoires de la Société nationale des Antiquaires de France, t.76, 1924, pp.192-218, ill.

D'autre part, Jean Richer, dans son livre Iconologie et Tradition (Guy Trédaniel, 1984), consacre une section de chapitre à saint Christophe Cynocéphale (pp. 212-213). La quatrième de couverture est d'ailleurs illustrée par la reproduction de l'icône du Musée byzantin d'Athènes.

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13 décembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (2)

Argenton la brillante

Une nouvelle phase s'est ouverte pour cette tentative de restitution d'une géographie symbolique du pays berrichon : quatre années de blog, trois cents notes très exactement, doivent être refondues en un ou plusieurs volumes, qui iront peut-être à l'impression traditionnelle. J'ai fait récemment le premier pas en ce sens, à savoir reprendre l'ensemble dans un traitement de texte, ce qui veut dire remonter le temps, étant donné que dans un blog les notes s'entassent et l'ordre est donc antéchronologique.

J'ai choisi dans un premier temps de ne rien discriminer et d'enregistrer texte, iconographie et commentaires éventuels. Ce ne fut point trop long, quoique un peu fastidieux. Douze fichiers ont recueilli cette matière (plus un treizième, consacré au facteur de coïncidences, que je laisse pour l'instant de côté). Mais à peine ai-je commencé à me pencher sérieusement sur le premier fichier, consacré logiquement au Bélier, que les premières difficultés m'apparurent avec évidence. La nature discontinue des billets de blog me masquait certains manques, qui ne peuvent plus échapper dès lors qu'on s'adonne à un effort de synthèse.

C'est ainsi que je m'aperçus que j'avais un peu sous-traité le cas de la ville d'Argenton. Certes je l'avais évoquée, et très tôt, mais j'avais vite filé au-delà ou en-deça, avec la chapelle de Verneuil et la ville de Poitiers. Or, Argenton est le  second relais d'importance sur l'axe équinoxial du zodiaque neuvicien, axe Bélier-Balance qui est comme la poutre maîtresse de l'édifice zodiacal, la ligne inaugurale à partir de laquelle l'ensemble des signes se déploie.

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Revenons sur les découvertes de Jean Richer en ce qui concerne pareil axe dans les zodiaques qu'il a étudiés. En ce qui concerne la roue zodiacale centrée sur Delphes, il écrit : "Le point initial du cycle, en relation avec l'équinoxe de printemps et correspondant symboliquement au point vernal, tombait dans la mer Ionienne juste en avant du saut de Leucade. Il était donc commode, pour la lecture ultérieure de la figure, de tracer un cercle ayant pour rayon la distance Delphes-Leucade et de le diviser en douze parties égales à partir du point que nous venons d'indiquer."(1) Dans le chapitre précédent, Richer avait proposé ce site remarquable des falaises du cap Leucate, à l'extrémité méridionale de l'île auquel il donne son nom, comme "le lieu allégorique de l'apparente mort quotidienne du dieu solaire Apollon-Hélios."(2) Les prêtres d'Apollon s'y exerçaient au plongeon sacré, remplaçant une ancienne ordalie (selon Strabon, chaque année le jour de la fête d'Apollon, un criminel était précipité du haut du rocher de Leucade, et était gracié s'il survivait à la chute). Par ailleurs, dans le domaine littéraire, le lieu est associé au suicide de Sappho, qui y plongea par dépit amoureux.

Dans le système centré sur Sardes, en Asie Mineure, Richer mentionne pour le Bélier la cité située sur la côte d'Anatolie, nommée Leuca, correspondant au point vernal de la Grèce continentale. Par ailleurs, il désigne comme centres, dans la géographie sacrée de la Grande Grèce, Cumes (où fut érigée par les Grecs le premier temple d'Apollon de la péninsule italique), Enna (ombilic de la sicile) et Leuca, à la pointe sud-est de la Calabre. "Il existe, écrit-il, une relation simple et significative entre Delphes, Leuca et Cumes : en effet, Leuca est sur la ligne Delphes-Cumes, presque exactement à mi-chemin des deux centres."(3)

Mais quel rapport, me direz-vous, entre tous ces lieux Leuca et la cité d'Argenton ? Il faut en appeler à l'étymologie : le cap Leucade est la Roche blanche (Leukas pétré). Dans un autre mythe grec, Ino, plongeant dans la mer pour échapper à son époux rendu furieux par Héra, est recueillie par Poséidon et devient la nymphe Leucothéa, littéralement la Blanche Déesse. A la fin de Delphes, Délos et Cumes, Jean Richer revient sur la récurrence de la racine "Leuké" : "Comme si l'idée de blancheur rayonnante, évoquant ce que devait être la pureté du candidat à l'initiation, était indissociable du début du cycle zodiacal, tous les lieux liés symboliquement au point vernal portent un nom où paraît le radical Leuké.

Ceci doit être rapproché du nom des "Leukai", les jeunes filles initiées d'Aptère en Crète qui pratiquaient le plongeon rituel dans la mer." (4)

 

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Argenton, vue du vieux pont

Or Argenton porte en son nom cette idée de blancheur rayonnante : le terme même d'argent "dérive d'un arguus "éclat, blancheur", d'où vient le verbe arguere, archaïquement "faire briller, éclairer", puis au figuré "démontrer" et "convaincre" (->arguer, argument). Le métal est donc appelé "le brillant" (comme l'or est "le jaune") ; cette appellation se retrouve en grec (-> argyrite), dans les langues celtiques (gaulois argento-), en osque, etc. [...] Depuis le XIIe siècle, le mot s'emploie  en blason  il symbolise la blancheur et l'éclat."(5) La ville d'Argenton tient par ailleurs son nom de l'antique cité d'Argentomagus, important carrefour économique et politique à l'époque gallo-romaine dont nous pouvons admirer les vestiges, au nord,  sur le plateau des Mersans.

Plongeait-on dans la Creuse comme on longeait à Leucade ? Rien n'atteste d'un tel rite, mais en tout cas, il y a présence de falaises calcaires :"Assagie en amont d'Argenton, lorsqu'elle quitte des gorges encaissées, la Creuse s'étale ensuite dans les terrains argileux avant de franchir un goulet enserré entre deux coteaux calcaires." Sur le site du musée, on peut lire encore que "ce goulet, large seulement d'une centaine de mètres et franchi en oblique par la Creuse, était le passage obligé des animaux pour se rendre d'un pâturage à l'autre ou lors de leurs migrations.C'était là un excellent affût de chasse et dans ce piège naturel, rennes, bisons et chevaux devenaient des proies faciles."

Il est fort possible que le lent travail de reformulation des notes de ces quatre années passées me porte à revenir ici de temps à autre pour préciser et développer d'autres aspects de l'étude encore mal dégrossis.

_________________

(1) Jean Richer, Géographie sacrée du Monde Grec, Guy Trédaniel, 1983, p.37-38.

(2) Jean Richer, Géographie sacrée du Monde Grec, Guy Trédaniel, 1983, p. 30.

(3) Jean Richer, Delphes, Délos et Cumes, Julliard, 1970, p. 146.

(4) Jean Richer, Delphes, Délos et Cumes, Julliard, 1970, p.209.

(5) Dictionnaire Historique de la Langue Française, Robert, p. 107.

 

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12 décembre 2009 | Lien permanent

Reliques et géographie sacrée

Le Précieux-Sang de Neuvy, envoyé en 1257, par le cardinal Eudes n'est pas, loin de là,  la seule relique auquel ce dernier eut affaire. On a dit déjà qu'il avait consacré la Sainte-Chapelle de Paris en 1248. Or, cet édifice avait été spécialement construit pour accueillir un fragment de la Vraie Croix et la Sainte Couronne d'épines du Christ, relique achetée  pour la somme faramineuse de 135 000 livres. Le 26 avril, la chapelle haute est donc dédiée à la Sainte Couronne et à la Sainte Croix par Eudes de Châteauroux, alors légat du pape, tandis que la chapelle basse l'est  à la Vierge par Pierre Berruyer, archevêque de Bourges. Les berrichons sont donc omniprésents lors de cet événement considérable pour l'époque, que j'ai par ailleurs déjà évoqué dans une note de septembre 2005.


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Songe de Jacob -
Psautier de saint Louis pour les chanoines de la Sainte-Chapelle (image BnF)


La même année 1248, le 12 juin, Saint-Louis
se saisit de l'oriflamme capétien en la basilique de Saint-Denis et part en Croisade accompagné de sa femme, Marguerite de Provence. Le cardinal Eudes, on l'a vu,  est aussi du voyage.

De retour de croisade, Eudes, ayant selon ses dires rapporté des reliques christiques de Jérusalem, a donc l'idée de les expédier à Neuvy. Cela donne en passant la mesure  de l'importance de ce sanctuaire. A la Sainte-Chapelle, édifiée au centre de Paris dans l'Ile de la Cité, fait en quelque sorte écho la basilique neuvicienne, centre de la géographie sacrée du Berry. Saint-Louis est alors revenu de captivité, cette translation de reliques ne peut qu'avoir reçu son approbation.


Le pape Innocent IV qui avait nommé Eudes de Châteauroux  cardinal de Tusculum avait d'ailleurs, en 1244,  encouragé Saint-Louis dans ses projets de croisade, mais, semble-t-il,  s'en est peu soucié par la suite. Homme paraît-il savant et intelligent, il n'en autorise pas moins, en 1252, les autorités civiles à utiliser la torture contre les hérétiques avec la bulle Ad extirpandam.

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Innocent IV et Louis IX à Cluny, enluminure


Il est cité assez longuement, sur cette épineuse question de la foi, dans l'excellente étude d'Aviad Kleinberg, Histoires de saints, Leur rôle dans la formation de l'Occident (Gallimard, 2005). Ce passage important à plusieurs titres fera l'objet de la prochaine note.
(J'abandonne la piste du saint Voult, qui ne me semble plus justifiée, la semblable origine italienne des reliques (Lucques, Viterbe) n'est sans doute pas un indice suffisant pour envisager une filiation).



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02 février 2007 | Lien permanent | Commentaires (3)

De Dolus en Pierre Folle

Je m'aperçois que je vais trop vite en besogne. Avant d'en venir à Déols, attardons-nous un moment sur les deux autres Dolus que nous livrent les moteurs de recherche. Le site de la Société de Mythologie Française nous apprend par exemple qu' aux « deux extrémités de l'île d'Oléron, à Saint-Denis et à Dolus, les restes de deux anciens dolmens constituent les Palets de Gargantua. »

Quant à Dolus-le-Sec, minuscule commune près de Loches, j'en ai retrouvé la trace sur un site traitant des légendes de Touraine. Trois fées auraient bâti en une nuit le grand dolmen de Saint-Antoine-du-Rocher, où elles auraient élu domicile ainsi que « dans les trois cimetières des fées ou pucelles de Neully-le-Brignon, Marcé-sur-Esves et Saint Epain, sans compter la Chambre aux dames de Semblançay, la Pierre Folle de Bueil et la Fontaine de la Pierre Couverte de Dolus. » (C'est moi qui souligne.)

Cette récurrence de mégalithes liée à un légendaire populaire (de type fée ou Gargantua), rencontrée sur chacun des Dolus, me laisse à penser que Déols ne doit pas faire exception à la règle, et qu'à l'origine de la dévotion et du pélerinage en ces lieux doit se trouver une ou plusieurs pierres sacrées. Or, je l'ai dit, rien de tel officiellement à Déols.

Sauf que l'étude de la toponymie proche de Déols nous apporte quelques indices pour le moins troublants. A la sortie du centre-ville actuel, le quartier des Maussants porte trace d'une antique occupation : un temple gallo-romain y a été fouillé en 1990, et le nom même de Maussants dérive, selon S. Gendron, du bas-latin muro-cinctus « ceint de murs », et désignait donc une localité ou un domaine fortifié. On retrouve d'ailleurs le terme à Saint-Marcel, où sur le plateau dit des Mersans sont localisées les fouilles de l'antique Argentomagus, ainsi qu'à Levroux (ça faisait longtemps...), avec le hameau de Maussant où se trouve l'emplacement de l'oppidum des Tours, occupé à partir du 1er siècle av. J.C.

 

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Or, près des Maussants de Déols, que lit-t-on sur la carte IGN ? De l'autre côté du rond-point de la D135, le hameau des Grandes Pierres Folles nous laisse rêver à une hypothétique allée couverte... Sur la même page 197 de son livre sur Les Noms de Lieux de l'Indre, S. Gendron signale encore la Pierre Folle, « à Déols, près des Etollières, Cloux de Pierre Folle 1539 (...) ». Ce lieu-dit est situé sur une étroite éminence entre deux petits affluents de l'Indre.

Tout ceci est pure conjecture, je l'avoue, rien ne subsistant de ces dolmens ou menhirs dont seule la toponymie nous conserve peut-être le souvenir. Mais je tiens tout de même à préciser que c'est seulement après avoir formulé cette hypothèse mégalithique, à partir de l'examen des autres lieux dolus, que je me suis reporté à la carte IGN et ai constaté la présence de ces Pierres Folles - dont on a vu qu'un autre exemple, en Touraine, à Bueil, entrait dans la mythologie populaire.



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08 juin 2006 | Lien permanent | Commentaires (2)

Les fées et les pierres

A la base de l'observation de Doumayrou sur l'axe Dio - Nyse, il y a une interrogation plus large sur le thème de la Tête Morte, de la céphalophorie, c'est-à-dire de l'ensemble des récits mythiques qui rapportent la fondation d'un lieu sacré par un personnage portant sa tête dans ses mains - et dont l'exemple le plus célèbre est bien sûr saint Denis. Il rappelle les deux traits permanents repérés par Henri Dontenville dans toutes les variétés de cette série légendaire : le "besoin d'une onde pure" et "le rapport presque constant entre la tête chue et une pierre."


Une onde pure, une tête chue, une pierre : ces éléments, est-ce que je ne venais pas de les rencontrer, fors la tête, avec l'histoire du château du Bouchet et de ses anciens propriétaires, les Rochechouart ? Je me reportai aussitôt à l'original, c'est-à-dire La France Mythologique d'Henri Dontenville, publié en 1966, chez Tchou, et depuis bien longtemps dormant sur une étagère.
Mention est faite bien sûr de saint Denis, mais aussi de saint Savinien à Troyes et de saint Just. Dans ce dernier cas, la version est légèrement différente : le saint demande à ses compagnons  de voyage d'emporter sa tête à Auxerre pour la donner à sa mère. C'est aussi ce que demande le géant Bran dans la légende irlandaise:  blessé au pied par une lance empoisonnée, il ordonne que sa tête soit coupée et enterrée à Londres, à Y Gwynvryn (la « Colline Blanche ») .


Le mythe se complique, écrit Dontenville, d'un "rapport presque constant entre cette tête chue et une pierre. En pays wallon et en Nivernais, Gargantua meurt d'une pierre à la tête. Ou bien le personnage légendaire meurt en se fracassant la tête sur les pierres. C'est le cas de Hok Bras et du géant Gallimassue. Enfin le récit de la fin  de Grantgosier et de Galemelle dans les Grandes et inestimables chroniques du grand et énorme géant Gargantua montre les deux géants déposant dans la mer les rochers du Mont Saint-Michel  et de Tombelaine qu'ils ont apportés depuis la Montagne d'Orient, sur leur tête, après quoi les deux géants s'empressent de mourir.
Ainsi le rapport pierre-tête est constant. La tête a une affinité pour la pierre, et cette pétrification, ou ce commerce avec la pierre, est oeuvre mortelle.
" (p. 235)

 

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Le grès rouge de la Brenne


Avons-nous dans le cas du Bouchet une semblable relation à la pierre, au-delà du simple nom des Rochechouart ? Il n'est que de se reporter au passage consacré par Chantal de la Véronne, dans son histoire de la Brenne, aux légendes des pierres. Mégalithes, dolmens ou menhirs y sont le plus souvent transportés par les fées, aussi dénommées martres, fades, dames ou demoiselles :

"Ce sont elles qui ont édifié le géant de la Brenne, le château du Bouchet, à la demande du seigneur du lieu, il y a de cela bien longtemps. Mais le seigneur avait oublié de s'adresser à l'une d'elles, qui, courroucée de cet affront, vint au Bouchet le soir même du jour où ses compagnes devaient commencer leur oeuvre (car les fées ne travaillent que la nuit), et jeta un sort : si le château n'était pas terminé avant que le coq ne chante, il ne le serait jamais. Les petites fées se dépêchèrent donc autant qu'elles le purent, transportant les matériaux dans leurs devantiaux d'arentelles (tabliers de toiles d'araignées), dont la force de résistance devait disparaître avec le premier cri du jau. La forteresse était presque finie, quand l'aube parut, et le coq chanta : l'une des petites fées apportait la dernière pierre, son devantiau se déchira et la pierre tomba. Elle manque toujours aux murs du Bouchet ; on peut la voir à un kilomètre et demi à l'ouest du château, c'est la Pierre à la Fée ou à la Fade. Et c'est pourquoi le Bouchet ne pourra jamais être achevé..." (pp. 95-96)


Il est significatif que le château du Bouchet soit personnifié comme le géant de la Brenne. Brenne marquée par ailleurs par le passage d'un autre géant, Galifront, que l'on présente toujours comme la version brennouse de Gargantua. On lui attribue la formation des étangs et des buttons qui parsèment la Brenne lorsqu'il dut la traverser  pour se rendre de Touraine en Limousin. Il secouait ses pieds pleins de boue, se dépattait comme on dit en Berry, et formait ainsi les monticules de grès dont le Bouchet est un exemple. Peut-on lire ce Galifront littéralement comme la Tête (le Front) Gallique (au sens de ces mythologies galliques que voulait défendre Rabelais) ?

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Sur la chaussée de la Mer Rouge


Cette pierre qui tombe loin du château qu'elle est sensée compléter se répète en un autre lieu (que je ne connaissais d'ailleurs pas alors que j'ai souvent arpenté la contrée) : le château de Salvert, aujourd'hui ruiné aux bords d'un gouffre du Suin, le ruisseau qui traverse l'étang de la Mer Rouge. Là aussi les fées étaient chargés de la construction jusqu'à  ce qu'un enchanteur plus puissant qu'elles  leur intima de cesser leur labeur sur-le-champ et de quitter le pays. Une des fées qui transportait une énorme pierre la laissa choir sur le chemin qui menait au château : "on peut l'y voir encore tout près du gouffre qui protégeait la façade sud-est de l'ancien château de Salvert, et ce chemin s'appelle le chemin du Gros Rô (roc)."
Cette dualité de pierres qui tombent à distance du haut-lieu en construction n'est pas sans rappeler les monts Tombe et Tombelaine, dans la baie du Mont Saint-Michel, montagnes doubles "qui sont, précise Doumayrou,  les pierres chues de la tête du couple des Bons Géants." Sur le terrain, des alignements caractéristiques montrent bien que les légendes ne font que porter témoignage d'un compagnonnage essentiel. En effet, Salvert, sur l'horizon de la chapelle de la Mer Rouge, (dont la légende liée à Aimery Sénebaud, le baptiseur de la Mer Rouge, a été contée ici en 2005), s'aligne avec Le Bouchet en prenant dans sa course deux dolmens, celui des Sablons et celui, précisément, de la Pierre à la Fée.

 

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(Cliquer sur la carte pour en avoir une version plus large)

Il faut noter aussi que trois lieux-dits jalonnent l'alignement : les Sablons, la Hire et la Milandière. Il est surprenant de retrouver là le nom même du fidèle compagnon de Jeanne d'Arc, La Hire, dont on fit plus tard le valet de coeur de nos jeux de cartes. Mais j'avoue pour l'instant ne pas trouver de justification symbolique à sa présence. La Milandière est, elle,  une ferme et anciennement une châtellenie. Son nom viendrait, selon S. Gendron, du nom propre Milan. Or, l'église de Douadic, qui se situe dans la pointe des deux axes, est dédiée à saint Ambroise, Aurelius Ambrosius dit plus communément Ambroise de Milan (il fut évêque de la ville de 374 à 397, et c'est l'un des Pères de l'église latine).


Ces axes directeurs mettent en relation des géosymboles très disjoints dans le temps :  du dolmen néolithique au château du XIV ème siècle, ce sont  plusieurs millénaires qui se trouvent ainsi reliés, témoignant d'une permanence de vision à travers les différentes époques.

 

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08 février 2009 | Lien permanent | Commentaires (1)

Les chiens de Saint Phalier

"(...) lorsqu'il parlait chez lui, perdu dans une dimension inaccessible, je regardais par la fenêtre les églises percer le ciel de Paris, les clochers esseulés tenter l'élévation vers l'infini."
Cécile Wajsbrot, Conversations avec le maître, Denoël, 2007


Saint Phalier, c'est encore une histoire de clochers.


Découvrant ce saint dont j'ignorais tout, je me retournai bien sûr vers mon habituel hagiographe, l'excellent Mgr Villepelet. J'y appris donc que  Phalier, originaire de Limoges, s'était retiré à Chabris, "lieu alors complètement sauvage, pour y mener la vie monastique". On peut douter d'emblée de cette prétendue  sauvagerie car Chabris, sur les bords du Cher,  vient de vicum Carobrias (de l'hydronyme celtique Karus (prélatin car, pierre) et du gaulois briva, pont. Stéphane Gendron écrit que "l'occupation du site doit être mis en relation avec les voies anciennes Chabris-Bourges, Chabris-Poitiers, et la mise en valeur de la vallée du Fouzon, au sud de la commune." Quoi qu'il en soit, Phalier se construisit une cabane et une chapelle, où il mourut, "célèbre par ses vertus et ses mérites". Mgr Villepelet fait l'impasse sur ses voyages supposés à Jérusalem et à Rome, "récits qu'on trouve dans beaucoup d'autres légendes du même genre et qui semblent bien n'être mis là qu'à titre de développements pieux." La chapelle devint la crypte de l'église de Chabris, où les reliques de Phalier furent déposées. Son culte fut certainement vivace puisque Louis XI lui-même vint en pélerinage à Chabris pour obtenir la guérison d'une méchante fièvre : "Ayant été exaucé, raconte Mgr Villepelet, il fit faire une châsse de grand prix et donné exemption de tailles à tous les habitants de Chabris par lettres patentes de 1482." Un grand pélerinage annuel avait  lieu le premier dimanche de septembre, avec procession des reliques jusqu'à la fontaine qui porte son nom : j'ignore s'il est toujours en vigueur, le Quid n'en soufflant mot et parlant juste d'une assemblée.

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Eglise Saint-Christophe et Saint-Phalier (Chabris)


La venue de Louis XI à Chabris a suscité des récits non rapportés par notre archevêque, comme celui de Just Veillat intitulé les Chiens de M.Saint-Phalier:

"Le roi Louis XI, alors à Plessis-les-Tours, pressentant avec terreur qu'il allait mourir, décida de se rendre à Chabris pour prier devant le tombeau de Phalerius, connu dans la région sous le nom de Saint-Phalier. Pendant le voyage, un terrible orage éclata, menaçant le roi et son escorte. Tout à coup des cloches se firent entendre, dominant les éclats du tonnerre. La nue se fendit et s'enfuit dans des directions opposées; un arc en ciel se dessina à l'horizon...

Alors Louis XI, de sa litière, demanda à un vieux pâtre qui se tenait sur le bord de la route :

- Brave homme, dit-il, quel est ce clocher qu'on voit là-bas, et d'où vient cet étourdissant carillon?

- Messire, répondit le paysan, ce clocher est celui de Chabris, et vous entendez lez aboiements des bons chiens de Saint-Phalier lâchés sur le diable.

- Qu'appelles-tu les chiens de Saint-Phalier?

- Nous nommons ainsi les cloches de la paroisse qui, mieux que limiers suivant la piste, savent chasser les démons et les tempêtes

En arrivant devant l'église, l'escorte royale aperçut une foule nombreuse assemblée autour d'une femme qui, se tordait sur le sol dans d'horribles convulsions.

Le Roi demanda l'explication de cette scène à un villageois qui lui répondit :

- N'approchez pas, Messire, n'approchez pas ... C'est une sorcière possédée du malin. Elle se vante d'appeler et de commander aux puissances de l'air. Aussi, quand l'orage d'aujourd'hui éclata sur la paroisse, vous l'eussiez vue riant, dansant, gesticulant, sans s'inquiéter de la pluie et des éclairs, tandis que chacun se réfugiait dans l'église ou les maisons. Mais elle avait compté sans les chiens de Saint-Phalier, car aussitôt que nos bonnes cloches se mirent en branle pour conjurer la tempête, elle rougit, pâlit, chancela et tomba dans les contorsions qui l'agitent encore en ce moment. Dieu veuille, pour elle et pour nous, que cela lui serve de leçon."

Comme à Saint-Outrille, nous retrouvons le diable et le clocher. L'historien Bernard Gineste, évoquant  un Saint Phalier du côté d'Etampes, note que "Au moins en Sologne et dans le Berry, saint Phallier passait bien au Moyen Age pour garantir précisément des orages (et accessoirement des autres intempéries nuisibles aux cultures, pour les clercs, qui en faisaient un nouvel Élie, capable donc théoriquement, comme ce grand thaumaturge biblique, d’ouvrir le ciel autant que de le fermer: mais il s’agit d’une rationalisation secondaire). On lui présentait aussi les personnes étiques qu’on disait en chartre, c’est-à-dire en proie au carreau, maladie que Littré appelle encore atrophie mésentérique, et qui retardait gravement le développement des enfants."

B. Gineste conteste l'assimilation, proposée  par de nombreux auteurs ( celle-là même à laquelle j'inclinais) de Phallier (ou Phalier, du latin phalerius, «originaire de Phalères») à un culte phallique, priapique. Il critique ainsi l'hypothèse de Michel Martin, rédacteur d'un livre sur le passé d'Etampes, mettant en relation une statue ithyphallique découverte à Morigny avec saint Phalier.

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 Fresque de Priape (Pompéi)

"Cette sculpture, explique Gineste,  proviendrait précisément du sanctuaire du vicus gallo-romain d’Étampes (qu’il place dans l’actuelle zone industrielle), tout près de l’endroit où plus tard fut érigée la chapelle de Saint-Julien martyr d’Antioche.Or il y avait dans cette chapelle un autel consacré à saint Phallier, ermite à Chabris en Sologne au 5e siècle (dont Fleureau nous résume l’hagiographie à la page 19 de ses Antiquitez d’Estampes). Ceci, nous dit l’auteur, «illustre localement cet apprivoisement des pratiques judéo-chrétiennes», et «cet exemple montre que les lieux de culte chrétiens succèdent fréquemment à des sanctuaires antiques». En d’autres termes on serait passé presque sans interruption de Priape à saint Phallier."

Bernard Gineste réfute cette hypothèse en arguant du fait que le  grec phallos, «membre viril» "n’a pourtant jamais été d’usage dans le latin antique. A peine trouve-t-on le mot phallus chez un érudit africain de la fin du 3e siècle et il n’apparaît clairement en français qu’au 16e siècle chez quelques érudits. Martin n’est-il pas le premier à sourire en lisant chez dom Fleureau, ou encore chez Montrond, que les druides parlaient sûrement le grec? les Étampois du Bas-Empire et de l’époque mérovingienne ne le parlaient pas davantage."


Dans une autre page, Gineste écrit que "cela réduit à néant le rapprochement entre ces deux cultes, car il n’y a par ailleurs aucun commencement de lien palpable entre ce que nous connaissons du culte de Priape et celui de saint Phallier." Et il termine en affirmant :" Il nous faut donc nous contenter du peu que nous savons et espérer que quelqu’un s’attelera prochainement à une étude sérieuse  et réellement critique de ce que nous savons de saint Phallier et de son culte."

Unn peu déconfit, je l'avoue, je revins alors à mes cartes et fis une découverte que je n'hésite pas, pour une fois,  à qualifier de capitale.

 

(A suivre)

 

 




 

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04 octobre 2007 | Lien permanent | Commentaires (1)

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