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Le jongleur de Dieu

Au Moyen Age, le jongleur est le plus souvent considéré comme un suppôt de Satan, un serviteur du Malin. L'enfer lui est promis, la terre chrétienne refusée. Cet amuseur héritier des bardes celtiques, qui va d'un château l'autre, jongleur « de bouche » ou acrobate, est l'exemple même, selon Jacques Le Goff, du héros ambigu. « Je suis surtout frappé, écrit-il dans son beau livre Héros et Merveilles du Moyen Age1 ( Seuil, 2005) par ses liens étroits avec la nouvelle société féodale qui se met en place du Xe au XIIe siècle. » En effet, à la même époque où Honorius Augustodunensis et Abélard enfoncent le clou sur la nature démoniaque du jongleur, Bernard de Clairvaux entreprend sa première réhabilitation. « Pour saint Bernard, précise J. Le Goff, les jongleurs offrent aux hommes un exemple d'humilité. Et, devenus humbles, les hommes ressemblent « aux jongleurs et aux acrobates qui, la tête en bas et les pieds en l'air, font le contraire de ce qui est l'usage des hommes, marchent sur les mains et attirent ainsi sur eux le regard de tous. Ce n'est pas un jeu puéril, ce n'est pas un jeu de théâtre qui provoque le désir par des ondulations féminines honteuses et qui représentent des actes ignobles, mais c'est un jeu agréable, décent, sérieux, remarquable, dont la vue peut réjouir les spectateurs célestes. » N'est-il pas réjouissant de voir le cistercien austère vanter les mérites du saltimbanque ? Saint Bernard alla même jusqu'à se dire jongleur de Dieu par humilité.

Amusons-nous à notre tour à jongler avec les mots. Le nom du jongleur vient du latin jocus, jeu. Or, le village de Saint-Denis de Jouhet était dénommé De Joco en 1200. Rappelons qu'il est placé sur le méridien de l'abbaye cistercienne de Notre-Dame de Varennes. Sur la même verticale, étaient donc réunies les deux figures mises en avant par saint Bernard, le jongleur et surtout la Vierge Marie. Voici ce qu'on peut lire par exemple, au sujet de cette dernière , sur un site consacré au pélerinage de Chartres :

« Le XIIe siècle marque, avec Saint Bernard, l'ouverture d'un culte de la Vierge considérée comme porteuse en soi de valeurs spirituelles originales. Bernard de Clairvaux voit en elle la médiatrice par excellence, celle qui ne cesse de plaider auprès de son fils la cause du genre humain dans son ensemble. Entre le naturel et le surnaturel, elle est l'intermédiaire voulu par Dieu, plus qu'une autre capable de comprendre la fragilité de l'homme. Selon l'idée maîtresse suivant laquelle il n'est pas de faute inexpiable, l'intercession de Marie, c'est l'ultime recours du pécheur. " Le Fils exaucera sa Mère, écrit Saint Bernard, et le Père exaucera son Fils ".
Dès le milieu du XIIe siècle, l'enthousiasme marial de Saint Bernard porte ses fruits à travers tout l'occident. C'est à Notre-Dame que l'on dédie les grandes cathédrales gothiques. Cette émergence de la Vierge comme personnage central de l'humanité chrétienne porte très haut les sanctuaires dont elle était déjà la référence spirituelle. Un tel mouvement met Chartres hors de pair : parce qu'elle est le sanctuaire de la Vierge, la cathédrale s'inscrit au sommet des lieux où rayonne la grâce. A l'époque des grandes croisades, Chartres prend donc rang parmi les tout premiers pèlerinages du monde occidental. »

Nous allons voir maintenant, après nos excursions champenoises et bourguignonnes,  comment le secteur Vierge du zodiaque de Neuvy Saint-Sépulchre porte haut les valeurs mariales.

 

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1L'iconographie de cet ouvrage est remarquable. J'ai été heureux d'y retrouver dans ce chapitre consacré au jongleur le superbe Jongleur roman que j'avais pu admirer voici plus de dix ans au Musée des Beaux-Arts de Lyon. Dans la légende, on a néanmoins oublié de préciser que cette sculpture était originaire du Berry : on l'appelle le jongleur de Bourges.

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21 septembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (3)

Buxus sempervirens

Un mois d'absence... Qu'on veuille bien m'en excuser : le flux souvent tendu de la vie professionnelle et familiale ne laisse pas toujours le temps de sacrifier à nos passions inactuelles... Pour se consoler, on finit par se dire que cela peut bien attendre. Que cela a attendu parfois deux millénaires pour être remis en lumière. Qu'est-ce que quelques jours de plus à demeurer dans l'ombre ? Bon, je m'y remets tout de même, sans que je puisse promettre qu'il n'y aura pas d'autre interruption d'importance. Ce sera toujours ça de pris sur l'obscur...


A la vérité, j'avais bien encore deux ou trois petites choses à signaler sur les environs du Diou de l'Allier: cette abbaye de Sept-Fons qui rappelait si furieusement la Céphons levrousaine, ce Puy saint-Ambroise de haute présence celtique qui évoquait si fortement lui aussi notre Saint-Ambroix berrichon... Mais gardons cela pour une visite ultérieure ; assez dérivé en terre bourbonnaise, revenons à la figure essentielle, à savoir ce carré barlong défini par le  parallèle de Saint-Genou - Saint-Ambroix, les méridiens de ces deux localités et le parallèle de Bazelat, en Creuse.
L'examen des diagonales de ce carré va nous livrer une clé d'interprétation fondamentale.

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A première vue, cependant, rien de sensationnel ne se laisse voir : bien sûr, la diagonale NO-SE rase Saint-Denis de Jouhet et Neuvy Saint-Sépulchre, mais cela n'est pas suffisant pour emporter notre conviction. Le centre du carré ne tombe même pas sur un site habité. Le bourg le plus proche est Buxières-d'Aillac, dont je n'ai jamais encore parlé ici, bourg sans éclat particulier. J'étais donc dubitatif jusqu'à ce que je m'avise que l'autre diagonale, NE-SO, traversait très exactement le village de Bouesse (cher à mon coeur car ma grand-mère habite encore la commune et que, soit dit en passant, j'y fus baptisé). Or, quel est donc le point commun, étymologiquement parlant, entre ces deux villages distants seulement d'une poignée de kilomètres ?

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Réponse : le buis. Buxières d'Aillac est attesté en 1163 comme Ecclesia de Buxeriis, tandis que Bouesse, en ce même XIIème siècle, apparaît comme Villa de Boesses, que Stéphane Gendron interprète comme Buxea (terra), "(terre)à buis".
"Buis, explique-t-il,  est issu du latin buxus, arbuste d'un vert foncé luisant qui fournit un bois à sculpter très dur, orne les jardins, les cimetières. (...) Le buis est également le bois sacré des crois dites "buissières" (par exemple la croix Boissi). Une croix boissière est attestée en 1558 près de l'abbaye de Fontgombault : "le préau auquel est le cimetière de La Croix Boicière joignant le fossé de l'abbaye" (ANDRIEU 1699 [1558]). On remarquera que de nombreux toponymes sont associés à des vestiges gallo-romains (...)"(Les Noms de Lieux de l'Indre, p. 161)
Pierre Goudot, dans son bel ouvrage Microtoponymie rurale et Histoire locale dans une frange entre occitan et français : la Combraille (eh oui, c'est le titre exact), publié en 2004 (Cercle d'Archéologie de Montluçon), confirme cette association : "Dans la mythologie grecque, le buis toujours vert (buxus sempervirens) était consacré à Cybèle ; dans le monde chrétien il est devenu le symbole de la résurrection du Christ et de la renaissance de la vie ; rares étaient les habitations qui n'en possédaient pas un pied ; quelques villages lui doivent leur nom et le buis peut être révélateur de sites habités disparus, notamment gallo-romains tardifs." (p. 159)

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Le Buis, qui peut vivre jusqu'à six cents ans,  était un symbole d'immortalité. Il semble justifié de le retrouver au coeur d'une figure sacrée de vaste dimension, dont on a vu qu'elle épousait les formes mêmes de la divinité. Maintenant s'agit-il d'une coïncidence isolée ou bien pouvons-nous repérer d'autres occurrences du buis dans cette topographie du carré de Saint-Genou ?


Il suffit de parcourir le parallèle de Bazelat, déterminé bien avant d'avoir décelé ce thème du buis : il est jalonné très exactement par deux lieux-dits La Bussière.
Et la diagonale de Bouesse passe aussi par le hameau de Buxerolle, près d'Ardentes, De Buxerolis en 1422.
Si la médiane horizontale du carré ne nous livre aucun indice, en revanche la médiane verticale est balisée, au nord,  par le Buxerioux (qui désigne maintenant la zone industrielle de Châteauroux) et, au sud, par le hameau du Buis, près de Lourdoueix Saint-Michel.
On nous objectera que Buis et ses dérivés sont termes fréquents dans l'Indre (43 mentions au total, incluant pièces de champ, et bois). Il reste que la présence double au centre de la figure et  sa récurrence sur les axes principaux ne me paraissent  pas fortuites.
Je n'y avais pas songé auparavant, en me relançant dans l'entreprise, mais il ne me déplaît pas d'écrire cette note à quelques jours de la fête des Rameaux, marquée par la tradition du buis béni.

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14 mars 2008 | Lien permanent | Commentaires (6)

Au milieu du chemin

Or, que l'Autonne espanche son usure,
Et que la Livre à juste poids mesure
La nuict egale avec les jours egaux,
Et que les jours ne sont ne froids ne chaux
(...)

Ronsard (Epître d'Automne)


La Vierge du zodiaque toulousain abrite la région du Minervois. « Minerve, nous rappelle G.R. Doumayrou, étant l'antique vierge olympienne que ses pouvoirs égalaient au maître des cieux. » (Géographie Sidérale, p. 104) Or, le secteur Vierge du zodiaque centré sur Rome renferme la localité de Castrum Minervae sur la côte de Calabre (Jean Richer, Géographie sacrée dans le monde romain, Trédaniel, p.146). Au reste, elle est aussi située dans la Vierge d'un système centré sur Cumes. Son importance mythique est attestée par Denys d'Halicarnasse (I, 51,3) :

« Le plus grand nombre des navires d'Énée jetèrent l'ancre au promontoire de Iapygia et les autres en un endroit nommé d'après Minerve où il se trouva qu'Énée lui-même mit pour la première fois le pied en Italie. »

Les pélerins qui partaient de La Châtre – en somme, notre Castrum Minervae berrichon – en direction du Mont Saint-Michel ne manquaient pas, à ce qu'il paraît, de faire halte à Notre-Dame de Vaudouan, près de Briantes. Isolée en pleine campagne, une chapelle reconstruite au 19ème siècle, aussi vaste qu'une église de village, témoigne encore du prestige du lieu, qui se fonde sur la découverte le 25 mars 1013, jour de la fête de l'Annonciation, par une jeune fille de la région, d'une statue en bois de la Vierge à l'Enfant (lui-même tenant dans ses mains une colombe), flottant sur les eaux d'une source. Portée à l'église de Briantes, puis à la chapelle des Religieux de Saint-Germain de La Châtre, la statue chaque fois disparaît et est retrouvée le lendemain dans l'eau de la source. Devant cette obstination, où l'on voit très vite une intention de la Vierge de demeurer en ces lieux champêtres, on décide d'édifier une chapelle. « Peut-être la Sainte-Vierge indiquait-elle par son insistance, écrit le Docteur J.J. Meunier, auteur en 1959 d'une pieuse monographie sur Vaudouan, qu'elle voulait purifier par sa présence ce lieu qui avait du être jadis le témoin des faux-cultes druidiques et barbares. »

Le seigneur du Virolan qui possédait la terre la donne sans délai et l'on commence à creuser les fondations. Las, l'eau les envahit. On creuse un peu plus haut sur un talus voisin sans plus de succès. Dépité, le maître-maçon jette son marteau dans les airs.

« Miracle encore, poursuit le bon docteur Meunier : un tourbillon emporta le marteau jusqu'à 500 pas et il alla choir dans une clairière éloignée où on le chercha vainement jusqu'à ce que qu'une génisse blanche que personne n'avait remarquée se mit à mugir d'une manière inaccoutumée. On se rendit auprès d'elle et, à ses pieds, on retrouva l'outil. Puis la génisse disparut sans que l'on comprit par où elle était passée. »

Évidemment, on choisit de bâtir à cet endroit précis, à 800 mètres de la fontaine. On met six mois à élever l'édifice qui est béni au mois de septembre « en présence d'un extraordinaire concours de clercs et de laïques. » C'est encore aujourd'hui en septembre, le deuxième dimanche après la Nativité de Marie, qu'on célèbre la fête et que se déroule le pélerinage de Notre-Dame de Vaudouan. La fête du 22 septembre 1912 fut particulièrement remarquable puisqu'elle fut présidée par Mgr Dubois, archevêque de Bourges, venu honorer les cinquante années de pastorat de l'abbé Semelet qui avait entrepris la reconstruction de la chapelle. Plusieurs milliers de pélerins assistaient à la cérémonie, et pas moins de quarante prêtres étaient présents. C'est dire l'importance symbolique du lieu à cette époque encore. Un certain Villebanois pouvait écrire en 1679 : « ainsi je croy, sans dessein de charger, qu'il n'y a point de dévotion de Notre-Dame en France plus grande que celle de Vaudouan. »

Sans dessein de charger non plus, remarquons tout de même que, du 25 mars à la fin septembre, nous avons cheminé d'équinoxe à équinoxe, de Bélier à Balance. Sous le couvert du culte marial, se dissimulent les vieilles déterminations zodiacales.

Je suis arrivé moi aussi, en cet équinoxe d'automne, au milieu du chemin. Un peu en retard sur le calendrier, je ne suis pas encore prêt à aborder Balance. Vierge et Lion, très riches, m'ont demandé plus de temps que prévu. Pensez que j'avais cinq articles en réserve pour Vierge, d'après mon étude de 1989, et que, suite aux digressions champenoises, je commence seulement le deuxième avec Vaudouan...

C'est l'occasion aussi pour moi de remercier les lecteurs fidèles et les commentateurs inspirés qui me donnent désir et énergie de persévérer.

Merci à Marc et à LKL, good fellows, pour leurs aimables phrases.

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23 septembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (1)

Le méridien de Lourdoueix

Examinons aujourd'hui le méridien de Lourdoueix Saint-Pierre. Dans sa partie sud, il s'enfonce dans la Marche, d'où est originaire le saint Pardoux vénéré à la fontaine de Lourouer Saint-Laurent. Après avoir traversé le Bourg d'Hem, qui relevait de Déols, l'axe atteint Saint-Sulpice-le-Guérétois et Saint-Eloi avant d'aboutir sur une chapelle placée sur une éminence et précisément nommée chapelle Saint-Pardoux. Nous retrouvons donc trois saints rencontrés lors de l'exploration des signes de la Vierge et de la Balance. Remarquons incidemment que les trois communes creusoises dédiées à saint Sulpice, archevêque de Bourges et grand ami de saint Eloi, sont alignées avec une extrême précision (il s'agit de Saint-Sulpice-le-Dunois, Saint-Sulpice-le-Guérétois et Saint-Sulpice-des-Champs).

 

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Le village de Sardent, d'où le saint est originaire, n'est qu'à quelques centaines de mètres, à l'est de la chapelle Saint-Pardoux. « La vie de saint Pardoux, est-il écrit sur le site du diocèse de Poitiers, semble fortement teintée de légende. Dit natif de la Creuse en 617 (plus probablement vers 658), il aurait d'abord vécu, aveugle et ermite, dans une grotte et aurait attendu l'âge de... 103 ans pour fonder le monastère bénédictin de Garactum (Guéret). Contre les Sarrasins, il l'aurait défendu par sa seule prière, alors que tous ses moines avaient pris la fuite. Frappés de cécité, les envahisseurs auraient recouvré la vue après une aspersion d'eau bénite et auraient passé leur chemin en épargnant la ville. Après sa mort en 737 ou 738, les reliques de saint Pardoux auraient été transportées au prieuré d'Arnac. II est fêté le 6 octobre."

Il est à noter que l'aspersion d'eau bénite, commune à Mosnay et Lourouer, se retrouve dans la Vita même du saint. Selon l'historienne Martine Larigauderie Beijeaud, spécialiste des Grandmontains, Pardoux apparaît « à la fois comme un saint guérisseur et un saint protecteur. Son rôle lui vient de son métier. Il rappelle les miracles accomplis durant sa vie. Il agit en outre en tant que relais de culte des fontaines et peut-être même des pierres. »

medium_gueret2.gifBras-reliquaire de saint Pardoux
2e tiers XIIIe siècle
Guéret, musée des Beaux-Arts
Provient de l'église de Sardent.

 

Ayant repéré sur les cartes un Saint-Pardoux-les-Cards, je me suis demandé s'il n'existait pas un alignement des Saint-Pardoux, analogue à celui des Saint-Sulpice. Je traçai donc la ligne unissant les deux sites déjà reconnus et, effectivement, je constatai qu'elle rejoignait un troisième Saint-Pardoux, dit le Pauvre, proche d'Evaux-les-Bains. Mais ce n'était pas tout : la ligne désignait vers le sud-ouest, Saint-Goussaud, « à tous les sens du mot, selon Gilles Rossignol, un haut-lieu de la Creuse ». Le village doit son nom à un autre ermite, Gonsalvus, qui vécut là au VIIème siècle, à la même époque donc que Pardoux. Or, on retrouve ces deux saints typiquement marchois associés dans l'histoire de Lourouer Saint-Laurent, avec une quittance de 1681 payant le règlement « de trois figures : Saint-Pardou, Saint Goussaud, Saint Laurent. » (J.L. Desplaces, op. cit. p. 69).

En suivant maintenant l'alignement vers l'est, c'est au village de Montjoie, dans les collines de Combrailles, que l'on aboutit, sur la rive de la Bouble, en amont de Saint-Eloy-les-Mines. J'ai déjà évoqué par ailleurs le rôle de ces Montjoies, qu' Alphonse Dupront décrit comme le « lieu de la découverte illuminante du sens » : « Découverte d'être ainsi neuf et donc joie : quasi au terme du chemin, sur les grandes routes de pélerinage, existent encore, ici et là, des Montjoies. Raccourci empoignant, le mot, dans sa nudité d'éclat, alors que la passion de la route s'achève, d'une route vécue, corps entier et souffrant, dans une maîtrise inlassée d'âme à mettre un pied l'un devant l'autre, parfois dans une tenaillante angoisse de l'indéfini, voire de l'impossible. A la Montjoie, tout se délivre du vécu du pélerinage. » (Du Sacré, Gallimard, 1987, p. 49).

 

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Montjoie aussi probablement, ce signal de Montjouer, ou Puy de Jouer, culminant à 697 mètres au-dessus de Saint-Goussaud. L'antique Praetorium, cité par la table de Peutinger, comme station sur la route de Saintes à Sens, se situerait en ce lieu.

Il n'est sans doute pas fortuit que le méridien de Lourdoueix passe au nord par le hameau du Petit Jouhet, sur la commune de Saint-Denis-de-Jouhet.

Un autre alignement de Saint-Pardoux suit strictement le parallèle de la chapelle : du côté occidental, il est jalonné par Saint-Sulpice-Laurière et rejoint Saint-Pardoux, près du lac du même nom ; du côté oriental, il désigne, via Mainsat, le village de Saint-Pardoux, situé comme Saint-Eloy-les-Mines sur la route de Clermont-Ferrand, non loin par ailleurs du bourg d'Ebreuil, où les moines de Saint-Maixent vinrent trouver refuge contre les Normands, en 898, avec dans leurs bagages les reliques de saint Léger.

Nous retrouvons ce saint bien connu au village de Saint-Goussaud, où l'on accède par le col de Laléger, mais aussi en poursuivant la remontée du méridien, juste au-dessus du triangle de l'eau, à Lys Saint-Georges, sur une colline dominant le Gourdon. L'église du village lui est dédiée.

Enfin, si nous nous permettons un petit retour sur le mythe de Déméter, nous apprenons que « c'est en cueillant un lis (ou un narcisse) que Perséphone fut entraînée par Hadès, épris d'elle, dans une ouverture soudaine du sol, jusqu'en son royaume souterrain ; le lis pourrait à ce titre symboliser la tentation ou la porte des Enfers. « (Dict. des Symboles, art. Lis, p. 577).







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27 octobre 2005 | Lien permanent | Commentaires (3)

De l'influence des camionnettes sur la géographie symbolique

 

Qu'on me permette une légère digression dans mon « périple » biturige. A priori, ça n'a rien à voir, mais... La semaine dernière, la maison voisine a été l'objet de menus travaux, réfection de chéneaux et gouttières à ce qu'il medium_meunet1.jpgsemble, et un échafaudage a occupé le trottoir pendant quelques jours. Rien que de très ordinaire, sauf qu'un matin, sortant de chez moi, je m'avise que l'entreprise chargé de la besogne est basée à Saint-Léger, un minuscule hameau de la commune de Meunet-Planches. Or, j'ai déjà mentionné ce lieu-dit dans une note sur Saint-Denis-de-Jouhet. Et j'y reviendrai lors de l'étude du secteur Sagittaire, car ce Saint-Léger (dont j'ai déjà dit qu'il était l'unique toponyme représentant le saint dans le département) figure également sur un alignement Lys Saint-Georges-Issoudun. Le logo même de l'entreprise avec le clocher d'église me frappait comme un écho supplémentaire. Je trouvai amusant de retrouver Saint-Léger à ma porte, lui qui m'avait si fort occupé cet été. D'ailleurs, c'est sur le hameau en question que s'est achevé ma correspondance avec le webmestre du site de l'Association des Saint-Léger. J'avais, à son intention, rédigé un inventaire provisoire des Saint-Léger dans la géographie sacrée, mais j'ai sans doute échoué à éclairer sa lanterne, puisque je n'ai plus eu de nouvelles par la suite. Et le site léodégarien ignore toujours mes travaux (ce qui ne me soucie guère d'ailleurs, n'ayant jamais fait le siège d'aucun site pour qu'on y mentionne mes petites trouvailles, et n'étant pas pressé de changer ma politique à cet égard).

 

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J'en étais là de mes pensées sur l'affaire saint Léger, lorsque j'ai reçu le commentaire de Marc Lebeau (merci à lui) sur l'oppidum de type belge ou « de Fécamp » : une simple question technique à laquelle j'ai cherché réponse sur le Net, sans grand succès d'ailleurs, mais, en fait, j'ai trouvé ce que je ne cherchais pas...

Je m'explique : tapant, entre autres, le mot-clé Fécamp, sur quoi tombai-je rapidement ? Ni plus ni moins que sur saint Léger lui-même. Car le pauvre évêque, après avoir eu les yeux crevés, la langue et les lèvres coupées, fut interné chez les moniales de Fécamp, avant d'être décapité en Artois.

Un peu plus tard, je découvre un site consacré à l'archéologie qui signale la mise en ligne du deuxième tome inachevé de « Mythes et Dieux de la Gaule » de Jean-Jacques Hatt, décédé en 1997. Or, dans la suite de mon étude sur la géographie sacrée biturige, comme on le verra bientôt, je parle de ce savant homme, auteur de l'article consacré aux mythes celtiques dans l'Encyclopadia Universalis. Ma position est plutôt critique d'ailleurs, mais elle devra peut-être être révisée à la lueur de la lecture de cet ouvrage : plus de 400 pages à lire quand même, je risque de prendre encore un peu plus de retard...

Enfin, car il n'y a pas que le net, je me suis plongé dans une petite étude qu'on m'a offerte récemment : Les Celtes de l'Age du fer dans la moitié nord de la France, par Olivier Buchsenschutz (La maison des roches, éditeur, octobre 2004). Je parcours le chapitre qui traite de la fortification, où il apparaît que les fermes de l'Age du fer étaient très souvent encloses :

« Cette clôture peut donc prendre des formes très variées suivant la période et le statut du propriétaire de la ferme. Légère, c'est un simple obstacle à la divagation du bétail ; mais quand le fossé dépasse 3 ou 4 mètres de profondeur, quand le talus se dresse à 5 ou 6 mètres, il s'agit d'une véritable défense, d'une construction monumentale qui manifeste la puissance des habitants. La régularité, la symétrie du plan, et le développement des entrées, comme dans la ferme d'Herblay, près de Pontoise, dénotent une recherche architecturale manifeste. Des sondages sur les sites de Meunet-Planches et de Luant (Indre) en 1999 ont même révélé la présence d'un véritable rempart en terre, pierre et bois, le murus gallicus décrit par César (VII, 23), alors que la surface enclose ne dépasse pas deux hectares. » (p. 83-84)

Meunet-Planches, où l'on a aussi retrouvé une des bornes milliaires qu'on plaçait sur les voies romaines, est ainsi considéré comme un site important dans la recherche archéologique contemporaine. Notons enfin que comme Saint-Léger, le bourg est situé sur les rives de la Théols, qui n'est autre qu'un affluent de l'Arnon (les deux rivières marquant en plusieurs endroits la limite entre les deux départements berrichons de l'Indre et du Cher).

Je vous le disais, a priori, ça n'avait rien à voir...

 

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La Théols à Issoudun

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02 décembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (1)

Eudes le franciscain

medium_saintlouis-legoff.jpg La figure d'Eudes de Châteauroux m'intrigue. Comme chaque fois qu'une personnalité traverse ce champ encore si obscur de la géographie symbolique, l'envie est grande d'en savoir plus. Il me souvint que Jacques Le Goff avait écrit  sur le personnage de Saint Louis une somme considérable. Je ne l'avais point lu à l'époque de sa parution (1996),  mais il me paraissait évident que mon prélat castelroussin devait y avoir une bonne place. J'empruntai donc le fort volume de presque mille pages à la Médiathèque et n'ayant pas le temps d'en pratiquer une lecture exhaustive, je me jetai sur l'index des noms de personne. Petite déception : Eudes n'avait droit qu'à huit entrées, ce qui le plaçait assez loin d'Innocent IV (29 entrées) et a fortiori de Blanche de Castille (114 entrées, si je compte bien). Néanmoins j'appris bien des choses en ces quelques  pages.



Première entrée donc, page 49 : "Tout l'Orient n'aura été pour Saint Louis que mirages. Mirage d'un empire latin de Constantinople et d'une réunion des Eglises chrétiennes latine et grecque à laquelle s'employa particulièrement, à la demande de la papauté, un homme lié au roi de France, le cardinal Eudes de Châteauroux, franciscain qui avait été chancelier de l'Eglise de Paris. Mirage d'un affaiblissement des princes musulmans déchirés par des rivalités internes et qui pourtant furent vainqueurs de saint Louis et reprirent cette Terre sainte qu'il avait voulu défendre. Mirage d'une conversion des Mongols au christianisme et d'une alliance franco-mongole avec contre les musulmans." (C'est moi qui souligne).

Eudes occupe une position centrale :  lié à la fois au pape et au roi de France, il montre également la connivence étroite entre le Berry et la capitale. Son statut de franciscain, que j'apprends ici, n'est sans doute pas anodin. Rappelons qu'à l'époque de saint Louis, l'ordre est encore récent : François d'Assise est mort en 1226, l'année même du sacre de celui qui n'est encore que Louis IX et n'est âgé que de douze ans. Aviad Kleinberg ne craint pas d'écrire que  "Les Franciscains incarnèrent l'espoir le plus grand du XIIIè siècle, la promesse d'une vie conforme à la morale chrétienne ici-bas et, par voie de conséquence, de rédemption universelle dans l'au-delà. Saint François lui-même fut perçu par nombre de ses adeptes comme un second Jésus." (Histoires de saints, op. cit. p. 257.) A Châteauroux même, les Franciscains ont laissé une trace architecturale avec le plus beau monument historique de la ville actuelle, le couvent des Cordeliers (Franciscains nommés ainsi à cause de la corde  ceignant leur robe de bure).
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Seconde entrée, page 178 : " Pour la prédication de croisade, Louis IX demande au pape Innocent IV, selon la coutume, de désigner un légat pontifical pour la diriger. Lors du concile de Lyon, en 1245, le choix du pape se porta sur un personnage de premier plan, connu du roi, Eudes de Châteauroux, ancien chanoine de Notre-Dame de Paris, chancelier de l'université de Paris de 1238 à 1244, date à laquelle Innocent IV l'a fait cardinal." La note de bas de page qui est appelée par ce dernier mot voit Le Goff donner son jugement sur le personnage : "Eudes de Châteauroux ne semble pas mériter en tant que prédicateur et homme d'Etat le mépris de Barthélémy Hauréau (Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, t. XXIV/2/2, pp. 204-235, Paris, (1876). Voir le mémoire de D.E.A. inédit d' A. Charansonnet que je remercie (université de Paris-I, 1987/1988, sous la direction de Bernard Guenée) : Etudes de quelques sermons d'Eudes de Châteauroux (1190 ?-1274) sur la croisade et la croix."



Page 184, suite de la Croisade : "Comme lors de l'accueil des reliques de la Passion, mais cette fois-ci avec les rites de croisade -départ pour la guerre sainte et sortie du royaume - recommence la grande liturgie pénitentielle. Le vendredi après la Pentecôte, 12 juin 1248, Louis vient à Saint-Denis prendre l'oriflamme, l'écharpe et le bâton de la main du cardinal-légat Eudes : il associe de cette manière l'insigne royal du roi de France partant en expédition guerrière et ceux du pèlerin prenant prenant le chemin du pèlerinage de croisade." Se confirme ici encore le rôle éminent du légat Eudes, associé à tous les gestes et évènements symboliques forts du règne de Louis IX. Mais il avait également sa place dans la vie diplomatique plus ordinaire du souverain, comme en témoigne l'entrée de la page 253 : "En 1246, dans le cadre des actions de pacification en vue de la croisade, Louis IX et le légat pontifical, Eudes de Châteauroux, avaient ménagé un accord sur la base du Hainaut aux Avesnes et de la Flandre aux Dampierre."

medium_salimbene.jpg Il faut tout de même sauter à la page 455 pour voir à nouveau paraître Eudes, dans la section du livre consacrée aux chroniqueurs étrangers et, plus précisément,  en ce qui nous concerne, la Cronica du franciscain Fra Salimbene de Parme. Ce religieux est témoin oculaire du passage du roi, en route vers Aigues-Mortes, à Sens où il assiste au chapitre général des Franciscains. Salimbene est subjugué par ce roi arrivant à pied, besace et bourdon au cou, demandant les prières et les suffrages des frères. C'est à cette occasion que le cardinal Eudes prend la parole avant le ministre général des Franciscains, Jean de Parme, qui fait l'éloge du roi.

L'entrée de la page 537 ne faisant  que répéter celle de  la page 184, il faut se transporter page 593 pour y voir Le Goff s'interroger une nouvelle fois sur ce Eudes qu'il qualifie ici de maître en théologie : "Comme légat pontifical pour la préparation de sa croisade, il a été en contact étroit avec le roi qu'il a accompagné en Egypte et il a rédigé sur la croisade un rapport adressé au pape. Les oeuvres d' Eudes sont encore mal connues, mais elles font l'objet d'importants travaux. Il semble qu'il a surtout été un prédicateur célèbre. On reste donc à nouveau dans le domaine qui intéresse le plus Saint Louis, celui du sermon."

La dernière entrée, page 806, dévoile un aspect moins reluisant d' Eudes de Châteauroux, et, plus largement, du règne de Saint Louis. En 1241, le souverain avait fait procéder à la crémation publique de vingt-deux charretées de manuscrits du Talmud. Innocent IV l'en félicita dans une lettre du 9 mai 1244, mais l'invita à faire brûler les exemplaires subsistants. Ce qui donna lieu à de nouveaux autodafés les années suivantes (il ne demeure qu'un seul exemplaire médiéval du Talmud, ce qui montre bien l'efficacité de la répression qui fut menée). "Pourtant, poursuit Jacques Le Goff, en 1247, Innocent IV, probablement à la suite de diverses interventions et selon l'habituelle politique des papes qui fait alterner des instigations à la persécution et des appels à la protection des juifs, ordonne à Saint Louis et à son légat en France pour la préparation de la croisade, Eudes de Châteauroux, de rendre aux juifs les Talmuds subsistants parce qu'ils sont nécessaires à leur pratique religieuse. Mais Eudes de Châteauroux supplie le pape de laisser détruire ces exemplaires et, le 15 mai 1248, l'évêque de Paris, Guillaume d'Auvergne, sans doute sous l'influence du dominicain Henri de Cologne, prononce une condamnation publique du Talmud."( C'est moi qui souligne.)

Eloignons-nous maintenant de notre légat neuvicien pour examiner avec Le Goff ce système du sacre que Saint Louis porte à un rayonnement inconnu jusque là. L'ordonnancement qu'il ne cesse sa vie durant de parfaire en prolongeant les lignes de force symboliques héritées des dynasties antérieures ne peut être sans rapport avec la géographie sacrée : toujours est-il qu' avec Saint Louis, comme le déclare l'historien, "la construction de la "religion royale" a presque atteint son sommet."







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21 février 2007 | Lien permanent | Commentaires (2)

Les naissances gémellaires

"Toutes les naissances sont des naissances gémellaires. Personne ne vient au monde sans accompagnement ni escorte."

Peter Sloterdijk (Bulles, Sphères I, Fayard, 2002, coll. Pluriel, p. 450)


adc2f41799da1be002d5a57acccf40a4.jpg Je vous dois la vérité : je  n'ai pas  encore  lu  ce livre  du philosophe allemand qui occupe pourtant un coin de mon bureau depuis 2004. Néanmoins j'ai l'impression curieuse de le bien  connaître, l'ayant si souvent manipulé, feuilleté, ouvert au hasard (il est accompagné, qui plus est,  d'une riche iconographie). Et c'est bien parce que, une fois de plus, j'ai pratiqué tout récemment une courte plongée dans ses abîmes (près de 700 pages d'une écriture serrée), que j'en suis ressorti avec la sensation d'y avoir aperçu un gros poisson. Le chapitre VI, intitulé Le séparateur de l'espace spirituel, m'offrait soudain une résonance inattendue avec les propres thèmes qui m'occupent ici. Sloterdijk y cite notamment un texte du rhéteur Censurinus, tenu à l'occasion du 49ème anniversaire de son mécène Caerelius, en 238 ap. J.C.

" Genius est le dieu sous la protection (tutela) duquel chacun vit dès sa naissance. Il tient sûrement son nom, Genius, de geno ("engendrer"), ou bien parce qu'il veille à ce que nous soyons engendrés, ou bien parce qu'il est lui-même engendré avec nous, ou bien encore qu'il s'empare de nous (suscipi) une fois que nous sommes engendrés et nous protège. Beaucoup d'auteurs antiques ont rapporté que Genius et les lares sont identiques." (De die natali, d'après l'édition allemande de klaus Sallmann, Weinheim, 1998 ).

Pour Sloterdijk, ce document "exprime clairement l'idée que pour les Romains, il n'existe pas un jour anniversaire unique - précisément parce que  chez les êtres humains, il ne peut jamais être question de naissances solitaires. Chaque anniversaire est un double anniversaire en soi ; on ne commémore pas seulement ce jour-là le prétendu heureux événement, mais plus encore le lien indissociable entre l'individu et son esprit protecteur, lien qui existe depuis ce jour coram populo."


Comment ne pas faire le lien avec saint Genou, dont le nom rappelle à l'évidence le Genius latin ? D'autant plus que Genou est très clairement désigné dans sa légende comme étant né à Rome en 230, autrement dit à la même époque que le texte de Censerinus. Et ce Génit, présenté parfois comme son père, parfois comme son compagnon, est l'indice même de la gémellité. L'ange gardien, le jumeau sont en effet des figures proches du Genius, décrivant la même relation unitaire essentielle :   Sloterdijk en donne une parfaite illustration à travers un extrait des récits de Mani (216-277 ap. J.C ), le fondateur du dualisme gnostique dont il reste la trace dans la langue d'aujourd'hui avec le péjoratif manichéisme :


"Lorsque la douzième année de sa vie fut arrivée à son terme, il fut saisi [...]par l'inspiration donnée par le roi du paradis de la lumière [...]. Le nom de l'ange qui lui porta le message de la révélation était at-Tom ; c'est du nabatéen et cela signifie dans notre langue "le compagnon" [...] Et lorsqu'il fut arrivé au bout de sa vingt-quatrième année, at-Tom revint vers lui et dit : " Désormais est venu le temps que tu sortes au grand jour."[...].

[...] Et Mani affirma être le Paraclet qu'avait promis Jésus."

 Sloterdijk : "La parenté du nom at-Tom avec l'araméen toma, le jumeau, saute bien sûr aux yeux. Le fait que le "compagnon" ou le syzygios de Mani ait effectivement les qualités d'un personnage de jumeau transfiguré ressort très clairement des récits sur la vocation de Mani selon le Code Mani de Cologne, mais aussi des sources du Moyen Iran :

 "Sortant des eaux m'apparut une (silhouette) humaine qui, avec la main, me fit signe de rester calme, pour que je ne pèche pas et que je ne la plonge pas dans la détresse. De cette manière, à partir de ma quatrième année et jusqu'à ce que j'arrive à la maturité physique, je fus protégé par les mains du plus saint des anges.[..]"(Bulles, pp. 472-473)


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Dioscorus et sa femme  © CMN

 

Une autre indice convergent nous est donné par la peinture murale de la chapelle Saint-Genoulph à Selles Saint-Denis, représentant sur une frise la vie du saint. Elle nous montre, entre autres scènes, celle où les deux compagnons (saint Genou et saint Genit ici désigné par un autre nom, saint Révérend) rencontrent le préfet de Cahors, Dioscorus, et sa femme.

 

Ce Dioscorus ou Dioscurus, d'abord hostile (il les jette en prison), puis converti à la suite de la résurrection de son fils,sera baptisé par Genou lui-même (scène représentée à la cathédrale saint-Etienne de Cahors). Or, ce nom fait bien entendu irrésistiblement penser aux Dioscures, Castor et Pollux, les Gémeaux de la Mythologie.


 Que faut-il penser aussi de Sainte-Gemme, dont le village se dresse, on l'a vu, au méridien de Saint-Genou ?  Outre que le nom même est littéralement  proche de la gémellité, la légende de la sainte nous apprend que  Gemme avait une soeur jumelle nommée Quitterie, sainte et martyre elle aussi. Il faut ajouter que leur naissance venait après celle de sept soeurs. Las de tant de progéniture féminine, désespérant d'avoir un héritier mâle, leur père, le  rude Caïus Catilius, gouverneur de la Galice, ordonne à une de ses esclaves de les noyer. Le peu clairvoyant soudard choisit une chrétienne qui  s'empresse de les confier à une famille  amie en un village éloigné.

Il faut noter encore que la mère des neuf soeurs, Calsia, était donnée comme issue d'une excellente famille romaine.

J'ai même trouvé une version de la légende où les neuf soeurs sont données comme jumelles, on la trouvera page 17 de la version Pdf du numéro 4 du Bourdon, bulletin périodique des Amis de Saint-Jacques de Compostelle en Aquitaine (septembre 1993). J'en extrais ici un passage significatif :

"L'histoire de Bazella [une des soeurs] est cependant la plus significative puisque son supplice donne lieu à un miracle immédiat récapitulatif de toute la fable : sa tête tranchée rebondit neuf fois, faisant jaillir neuf sources. Les habitants ont toujours conservé intact le lieu du miracle au milieu des champs et des vignes. Une petite chapelle antique et fruste, des filets d’eau courant au ras de l’ herbe témoigne pour une curieuse permanence hors du temps mémorial . Dix-neuf siècles peut-être ont passé sur ce lieu rustique rigoureusement inaperçu, sans changer quoique que ce soit à l' ordre naturel. Mais il est vrai de dire que les sanctuaires les mieux protégés sont les plus pauvres ... (Chapelle de Neuffonds:"neuf fontaines et neuf bonbs", à Sainte Bazeille près de Marmande.)
Ainsi, les neuf filles "jumelles" du proconsul de Galice converties par un disciple de Saint Martial, martyrisées sur les routes d’ Aquitaine et à l’ origine de neuf sanctuaires tracent, à l’origine de la chrétienté, un itinéraire inverse à celui qui sera et qui est déjà sous d’autres formes le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, établissent en termes de légende dorée qui voile à peine les symboles d’ un grand mythe cyclique, le lien entre Galice et Aquitaine."

J'ajoute que Bazella tire certainement son nom du celte batz, source, qu'on retrouve dans le nom du plateau de Millevaches, qui désigne non pas les sympathiques ruminants, mais les mille sources (mille batz) qui constellent son territoire et dont sont issues entre autres Vienne,  Corrèze et  Dordogne. Dans l'espace neuvicien, deux villages me semblent porter cette racine batz : Bazelat et Bazaiges. Le premier est creusois et le second indrien, mais les deux paroisses relevaient de Déols et sont alignées sur le même méridien. Et sur le parallèle de Bazelat nous relevons  Genouillac (également sous le patronage déolois) et Boussac-Bourg : or ce bourg d'origine romaine (Bociacum) présente la particularité d'avoir des églises jumelles : "Ce bourg possède deux églises 11ème/12ème se ressemblant beaucoup et placées l'une à côté de l'autre." (source : Quid)  L'une est dédiée à saint Martin (qui s'honore aussi d'une fontaine) et a été construite par les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.

 

Et je ne peux manquer d'être ébloui par la logique à l'oeuvre dans cette géographie sacrée neuvicienne puisque je retrouve à Boussac-Bourg le thème de la naissance à travers la superbe fresque murale du XIIème siècle représentant une Nativité décrite ainsi dans le site perso de D. Boucart :

"La chapelle primitive possède des fresques du XIIe siècle. En particulier, une scène de la Nativité qui est l'une des plus belles de l'art roman. La vierge, allongée sous une couverture bleue parsemée d'étoile, indique de l'index le christ couché dans son berceau. La tête de l'âne et la tête du boeuf le réchauffent de leur souffle."

 

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04 juillet 2007 | Lien permanent | Commentaires (5)

La paix du feu, qui est l'huile

"N'en déplaise à Paris, Issoudun est une des plus vieilles villes de France."

(H. de Balzac)

Reprenons notre marche en avant, notre circumambulation zodiacale, en abordant les terres de Sagittaire. Longue fut la station précédente en Scorpion, mais, de l'examen de la géographie sacrée biturige à la tentative d'investigation dans l'univers de l'alchimie, les questionnements étaient nombreux et les pistes de recherche foisonnantes. C'est d'ailleurs avec un sentiment d'inachevé que je quitte ce signe, la matière historique et mythologique qu'il convoque s'est révélée considérable, et appréhender plus de quinze cents ans de vie berruyère-berrichonne, entre Ambigatus et Jacques Coeur, semble un défi quasi impossible à relever. Le temps manque, et plus que jamais se justifie le titre du site : plus que jamais, j'ai la sensation de n'explorer ici que des fragments de la géographie sacrée de mon pays natal.

Les signes qui vont suivre - sauf surprise, et découverte de nouveaux indices – ne présenteront pas le même volume d'informations, et j'ai bon espoir de terminer ma ronde annuelle, à l'équinoxe de printemps, sur un panorama complet du zodiaque de Neuvy Saint-Sépulchre. La tâche n'en sera pas terminée pour autant, mais il est encore trop tôt pour évoquer ce temps à venir.

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Donc Sagittaire. Où il faut encore parler de Lys Saint-Georges, et des deux souverains, Philippe Auguste et Richard Coeur de Lion, qui lui auraient donné son nom. Nous savons d'autre part qu'ils se disputèrent âprement la puissante place forte d'Issoudun , située également dans ce signe, rivalité dont le témoignage architectural le plus imposant est la Tour Blanche , commencée par Richard et achevée par Philippe. Or l'alignement Lys- Issoudun passe par ce hameau de Saint-Léger déjà évoqué par ailleurs, saint Léger qui est aussi le titulaire de l'église de Lys. Cet axe Lys-Issoudun est véritablement la flèche du centaure archer, que Doumayrou envisage comme « l'archétype de la chevalerie traditionnelle » (op.cit. p. 255), dont nos deux rois étaient vus comme les conducteurs divinement désignés. Aussi bien, Saint Georges est-il ce chevalier qui met à la raison le dragon de Lybie dans la Légende Dorée de Jacques de Voragine.

Le signe est le domicile de Jupiter, aussi y trouvons-nous, établi sur les bords de l'Indre, le château de Villejovet, dont le nom vient du latin jovis, génitif de Jupiter, tandis qu'en aval s'élève Ardentes, qui fait clairement référence au feu du signe.

 


Nous avons déjà vu le rôle central de cette cité au sein de la figure du triangle du Feu s'opposant symétriquement au triangle de l'Eau. J'ajouterai maintenant qu'Ardentes est symétriquement opposé à Aigurande (dont la racine est l'equo celtique, l'aigue, c'est-à-dire l'eau), par rapport à l'axe équinoxial, le parallèle de Neuvy. L'eau et le feu ici se répondent, et entre les deux cités se tisse un échange subtil lisible dans le jeu des blasons : celui d'Ardentes est d'or à trois fasces ondées, de gueules, qui est : de Maillé, tandis que celui d'Aigurande est semé de France à la cotice de gueules. Les ondes rappellent les eaux-mères, vivier inépuisable de Cancer qui, lui, renferme le feu royal incarné par les fleurs de lys d'or. De la même manière, le Cancer du zodiaque toulousain enveloppe le pays de Foix, du feu : « cette eau singulière, détentrice du feu, est, d'après René Guénon (Symboles fondamentaux, p. 155), l'eau substantielle où se développeront les germes fécondés, car ce signe est celui de la gestation. » (G.R. Doumayrou, op. cit. p. 171). D'ailleurs le blason de Foix n'est pas sans offrir quelque similitude, de nombre et de métal, avec celui d'Ardentes, avec ses trois pals de gueules sur champ d'or.

 

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medium_blason-foix.jpgmedium_blason-aigurande.jpgDans cet autre triangle zodiacal qu'est celui de l'élément Feu, le Sagittaire, après le Bélier et le Lion, représente un achèvement. Ecoutons l'astrologue-poète Jean Carteret :

« Il y a trois types de feu : le feu originel qui est le feu invisible comme l'électricité, il y a l'accident du feu qui est la flamme, et il y a la paix du feu qui est l'huile – d'où le sacre des Rois de France. » (Des dialogues et du verbe, L'Originel, 1978, p. 63).

Le berceau de la puissance royale, la bien-nommée Ile-de-France, est placée, par une malicieuse coïncidence de l'histoire, à l'intérieur de cette zone Sagittaire. L'huile sainte versée par les prêtres sur le corps du roi le remplissait, croyait-on, de la force du Seigneur. « Un tel cérémonial, explique Georges Duby, introduisait ainsi le souverain dans l'Eglise, l'établissant parmi les évêques que l'on sacrait comme lui. Rex et sacerdos, il recevait l'anneau et le bâton, les insignes d'une mission pastorale. Par les chants de louange que l'on psalmodiait dans les solennités du couronnement, L'Eglise installait sa personne au sein des hiérarchies surnaturelles. Elle précisait sa fonction qui n'était plus simplement de combat, mais aussi de paix et de justice. » (Le Moyen Age, Skira, 1984, p. 15). Ceci correspond bien à la mission du feu sagittarien qui, au terme du troisième quadrant du zodiaque, selon un autre astrologue, André Barbault (Sagittaire, Seuil, 1958), « est au service d'une expérience « transindividuelle » ; son essence purifiée est destinée aux transports spirituels : il est feu purificateur, feu de l'illumination, feu sacré, analogue à la flamme qui s'élève, à la flèche qui relie la nature à la transcendance. »

Par exemple, Helgaud de Saint-Benoît-sur-Loire, qui écrivit la vie du roi Robert de France, parle de lui comme d'un homme de Dieu : « Il avait tant de goût pour l'Ecriture que pas un jour ne se passait sans qu'il lût les Psaumes et adressât à Dieu très haut les prières du saint David. » « Ainsi, dit-il par ailleurs, le roi doit être mis à part de la foule des laïcs car, imprégné de l'huile sainte, il participe au ministère sacerdotal. »

Observons tout de même, avec Georges Duby encore, que ce roi perd toute autorité dès que l'âge ou l'infirmité l'empêche de monter à cheval. Comme si le pouvoir royal ne pouvait se maintenir sans puiser aux sources de la puissance instinctive représentée par le noble animal. Centaure déchu, le roi passe la main.

 

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Richard Coeur de Lion

Issoudun, convoitée par les deux rois de France et d'Angleterre, fut rattachée à la France en 1200, en étant comprise dans la dot de Blanche de Castille. Ville royale, elle accueillit fréquemment Charles VII et Louis XI, au logis du Roi, actuel Hôtel de Ville. Louis, reconnaissant la loyauté de ses habitants, affranchit les sept foires annuelles en leur accordant les mêmes privilèges qu'à celles de Bourges, la rivale. Cette fidélité d'Issoudun à la monarchie lui valut encore, en 1598, d'être exempté par Henri IV de toute imposition. Le blason de la ville porte lui aussi l'empreinte royale de par ce champ d'azur au pairle d'or accompagné de trois fleurs de lys mal ordonnées du même.

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Maintenant, si nous quittons Issoudun par le quartier Saint-Denis, nous ne tarderons pas à traverser le Bois du Roi. Et la route empruntée nous conduira alors à Vatan, qui balise la méridienne de Neuvy, autrement dit son axe solsticial. Cette itinéraire est à lire symboliquement comme la visée mystique de la flèche sagittarienne atteignant la conscience de Capricorne, dont nous abordons là les terres.

 

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La Théols à Issoudun, au pont Saint-Paterne

 

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16 février 2006 | Lien permanent

Mayeul à la Bouteille

Là fit Bacbuc, la noble, Panurge baisser et baisser la marge de la fontaine, puis le fit lever, et autour danser trois ithymbons. Cela fait, lui commanda s'asseoir entre deux selles, le cul à terre, là préparées. Puis déploya son livre rituel, et, lui soufflant en l'oreille gauche, le fit chanter une Epilénie, comme s'ensuit :
                  O Bouteille
            Pleine toute
            De mystères,
            D'une oreille
            Je t'écoute :
            Ne diffère,
            Et le mot profère
            Auquel pend mon cœur.
            En la tant divine liqueur,
            Qui est dedans tes flancs reclose,
            Bacchus, qui fut d'Inde vainqueur,
            Tient toute vérité enclose.

Rabelais 1483 - 1553 : Le cinquième livre 1564 ; Chapitre XLIV

 

Résumons : l'étymologie de Souvigny et le récit de la mort de saint Odilon rattachent clairement ce dernier  à saint Sylvestre et à la nuit qu'il désigne, que  Philippe Walter  rapproche à son tour de la figure archétypale de l'Homme sauvage. C'est en revenant au livre pour établir la citation exacte que je me suis aperçu (ma première lecture ne m'en ayant laissé aucun souvenir) que cet Odilon clunisien était évoqué dans ce même chapitre consacré à la période de Noël. Ce très bel exemple de sérendipité m'a donc conduit à l'évêque Adalbéron de Laon, personnage sulfureux qui combattit autant que faire se peut l'influence monastique grandissante. Avec le Chant en l'honneur du roi Robert, 432 vers latins en hexamètres dactyliques, daté du premier tiers du XIème siècle, il livre un sombre portrait de l'évolution du royaume et brosse une satire virulente des moeurs clunisiennes, en dehors de tout réalisme, mais intéressant justement en cela qu'il recueille des données d'ordre carnavalesque puisées au fonds primitif des croyances du paganisme.

Dans le poème, l'évêque raconte avoir dépêché à Cluny l'un de ses moines les plus loyaux. Or, celui-ci en revient corrompu et méconnaissable jusque dans son apparence :

"Ses vêtements sont en complet désordre ; déjà il a dépouillé ses habits d’autrefois. Il porte un grand bonnet fait de la peau d’une ourse de Libye ; sa robe traînante est relevée maintenant jusqu’à mi-jambe ; elle est fendue par devant et ne le couvre plus non plus par le derrière. Il a sanglé autour de ses reins un baudrier brodé, serré le plus possible ; l’on voit pendre à sa ceinture quantité d’objets de la nature la plus diverse, un arc avec son carquois, un marteau et des tenailles, une épée, une pierre à feu, le fer pour la frapper, la branche de chêne à enflammer. Un pantalon, allongé jusqu’au bas de ses jambes, se colle à leur surface."

 Cette description assimile le moine (lequel se présente maintenant comme un soldat aux ordres d'Odilon, "roi de Cluny") à un homme ensauvagé (ce bonnet en peau d'ourse de Libye est tout à fait symptomatique). Il transmet à l'évêque (qui se met lui-même en scène dans cette histoire) un message alarmant de son nouveau maître :


« Les Sarrasins, cette race aux mœurs les plus sauvages, ont envahi, le fer à la main, le royaume de France ; ils l’occupent tout entier, et rongent tout ce que nourrit le sol de la Gaule. Partout un sang vermeil humecte et rougit cette terre, et gonfle les torrents que fait déborder l’excès du carnage. Les reliques des saints, objets des soins de l’Eglise, ornements consacrés de ses sanctuaires, volent dispersées à travers les airs, pour aller désormais tenir compagnie aux oiseaux et aux lions. C’est maintenant le diocèse de Tours que les barbares dévastent et dépeuplent. Saint Martin tout en larmes invoque à grands cris le secours d’un défenseur ; Odilon, qui est accablé des mêmes épreuves, partage ce désespoir. Il est allé à Rome demander du secours pour ses moines."


 "Nous sommes au XIe siècle, note Ph. Walter, et l'apparition de Sarrasins en Gaule, surtout en Touraine à l'intérieur du royaume, ne repose sur aucun fondement historique. Comme l'ont fait remarquer les commentateurs modernes du texte, les invasions sarrasines sont terminées depuis longtemps et le terme de Saraceni, utilisé par Adalbéron, désigne, probablement par métaphore, une autre catégorie de personnes. Laquelle ?"

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Orfèvrerie mérovingienne attribuée à saint Éloi

Fragment de la croix de Saint-Denis

Or et verres colorés, premier tiers du VIIe siècle

BnF, Monnaies, médailles et antiques, Inv. 56-324
 


Il s'agit, je pense,  pour Adalbéron, de ternir la réputation des moines en les montrant en grande difficulté et tout bonnement ridicules devant l'armée païenne. Ne serait-ce pas parce qu'ils s'implantent sur les hauts-lieux même du paganisme, en réadaptent les rituels et renomment les figures tutélaires,  que les clunisiens déclenchent l'ire du vieux prélat ? Cette voie de l'assimilation qui aboutira à la mythologie christianisée que décrit Philippe Walter s'oppose radicalement à la visée plus orthodoxe, basée sur la Bible, que défend Adalbéron. Mais reprenons le fil de l'analyse menée par le chercheur :


" Pour résoudre cette énigme des Sarrasins, il faut être attentif à la date de la bataille : "Tout cela, sache-le bien, s’est passé au premier jour de décembre, mais nous tenterons de nouveau le combat aux calendes de mars." Les calendes de décembre et de mars permettent  de mieux comprendre le curieux accoutrement des moines ainsi que cette bataille qui a toutes les apparences d'un défoulement carnavalesque. Il faut donc à présent se concentrer sur la valeur capitale de ces dates." Ph. Walter rappelle alors que  le 1er décembre est la fête de saint Eloi, saint orfèvre et forgeron, spécialiste du travail des métaux.


"Or, le costume de nos moines comporte une série d'ustensiles familiers aux forgerons : un marteau et des tenailles, une pierre à feu, le fer pour la frapper et la branche de chêne à enflammer. Un commentateur d'Adalbéron notait que ces instruments étaient ceux du maréchal-ferrant. On ne peut négliger le fait que saint Eloi, fêté le 1er décembre, protège justement  les chevaux parce qu'il possédait un cheval assez particulier et que sa légende lui attribuait l'exploit de rajeunir par le feu du four.(...)"


Il poursuit en signalant qu'il "existe en France de très nombreux toponymes qui proviennent d'un ancien Equaranda. Sous ce nom, il faudrait reconnaître une divinité chevaline, sans doute comparable à Epona et que le culte à saint Eloi a probablement christianisé. Georges Dumézil a montré que le cheval était, au même titre que d'autres animaux comme l'ours, le loup, etc., parfaitement intégré aux rituels des Douze Jours, la période qui sépare Noël de l'Epiphanie et qui voit donc le changement d'année, aux calendes de janvier."


On peut discuter l'étymologie d'Equaranda : si l'on s'accorde facilement sur l'idée de limite, de frontière indiquée par le second élément -randa, les spécialistes ne sont pas unanimes sur le premier élément, certains le rattachant à  la racine equus- (juste, équitable), d'autres à la racine  aqua- (l'eau). La piste proposée par Ph. Walter serait en somme une troisième interprétation possible. Sans trancher aucunement, on peut tout de même signaler que la commune d'Ygrande est très proche de Souvigny. D'ailleurs les deux lieux sont cités ensemble dans une étude récente sur le Berry Antique :
"Quant à celle [la commune] d'Ygrande, elle est séparée  de la limite ecclésiastique par la commune de Saint-Aubin-le-Monial. Cependant sa proximité de la frontière est confirmée cette fois-ci par le témoignage de La vie de saint Maiolus [rédigée, je le rappelle, par Odilon lui-même], abbé de Cluny qui indique que Silviniacum-Souvigny est une villa arverne à la frontière avec les Bituriges. Or Souvigny fait partie avec d'autres communes de cette avancée arverne à l'intérieur du territoire biturige." (Le Berry Antique, Atlas 2000, Supplément n°21 à la Revue Archéologique du Centre de le France, coll., p. 22).

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Carte Lexilogos


En traçant l'alignement Souvigny-Ygrande, et le prolongeant vers le nord-ouest, je découvre à l'instant même où j'écris ces lignes, qu'il rejoint la chapelle  Saint-Mayeul, qu'un site décrit ainsi : "Cette ancienne chapelle très agréablement située en raison de sa proximité avec la forêt de Tronçais, dépendait avant la Révolution de Souvigny. Bien que dédiée à Sainte Madeleine, c'est pourtant Saint Mayeul, abbé de Cluny, qui y est honoré chaque année, lors d'un pèlerinage commémorant son passage en 964, peu avant sa mort : : la légende rapporte qu'il y fit jaillir une fontaine miraculeuse."


Cette chapelle est ce qui reste de l'ancien prieuré de la Bouteille que visita Mayeul selon la légende.


Une Bouteille qui ne nous rappelle peut-être pas sans malice le point de départ de nos investigations : la soif vertigineuse de l'enfançon Gargantua, la verve rabelaisienne  emmenant son lecteur jusqu'à l'oracle de la Dive Bouteille...

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03 juin 2007 | Lien permanent

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