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Denis Gaulois (15) : lui faisant caresses comme s'ils avoient su parler

Retour, comme annoncé, à la légende de Denis Gaulois (résumé des épisodes précédents : Denis revient de Bourges avec Léocade et sa suite ) :

"En approchant du canton de Déols, les autres animaux qui étoient restés au luant du seigneur Gaulois le sentirent arriver ; ils furent au devant de lui ; lui faisant caresses comme s'ils avoient su parler. Léocade et ses gens ne laissèrent pas d'avoir peur : mais le bonhomme leur ayant parlé, les fit tous connoître.
Léocade et sa femme étant donc arrivés au luant du seigneur Gaulois, demeurèrent quelque temps dans ce luant. Leurs gens étaient logés dans le canton de Dieux. Tous les jours Denis Gaulois menoit Léocade, Ludre et ses gens chasser les bêtes féroces et en tuèrent beaucoup. Avant que de partir, ils furent dans la chapelle entendre la prière que faisoient les moines ; ensuite ils montèrent sur chacun de ces animaux, à la faveur des quels ils en tuèrent beaucoup d'autres, surtout dans le canton de Roux."

On retrouve dans ce passage cette indétermination que j'ai déjà signalé sur l'identité des animaux compagnons de Denis Gaulois. Leur apparence doit être assez redoutable puisqu'ils effraient des chasseurs aussi aguerris que Léocade et sa troupe. Sensitifs et affectueux, ils entourent Denis de retour en son luant et comprennent ses paroles quand celui-ci les "fit tous connoître". Ils servent ensuite de montures pour la chasse aux bêtes féroces, elles aussi non désignées formellement. Ce flou dans les désignations renforce le sentiment d'étrangeté de cette histoire. Denis Gaulois apparaît encore plus qu'ailleurs comme un maître de la faune, un Homme Sauvage gouvernant les puissances animales. Cet aspect païen est contrebalancé par la référence à la prière, aux moines, à la chapelle, mais ceci est comme plaqué artificiellement sur l'intrique et ne contribue en rien au dénouement.

 

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El salvaje y el civilizado - Sculpture gothique présentant l'homme sauvage (homo sylvestris) au côté de l'homme civilisé à Valence.
Photo : Chosovi



Notons aussi le décalage dans les noms des cantons : Dieux renvoie certainement au Bourg-Dieu, autre nom ancien de Déols, et Roux à Châteauroux, mais pourquoi ces inventions lexicales, alors que les noms de Bourges et de Déols sont par ailleurs mentionnés ?

"Il arriva un jour que Ludre se trouva malade ; il pria Léocade de le changer de canton, parce que les chaleurs des bois le feroient mourir. Léocade n'ayant que ce fils, pria instamment le seigneur Gaulois de lui donner un autre canton : à quoi reprit le bonhomme : - Cherchez, vous êtes maître ; si vous n'avez pas de trésor, prenez dans mon luant ce qu'il vous faut  ; mais ne vous écartez pas de moi bien loin.
Alors Léocade fit bâtir un châtel entre  Dieux et Déols, sur une petite montagne, où il n'y avait qu'une prairie à passer entre son châtel et celui du seigneur Gaulois."

L'on voit à travers ce passage que Denis reste maître sur ces terres : Ludre malade prie son père qui en appelle lui-même à Denis. On retrouve également  le thème de la chaleur dans les bois, celle-là même qui en faisait sortir les bêtes féroces et ravager les cantons. Curieuse chaleur en vérité, puisqu'à rebours de l'expérience ordinaire de tout un chacun, où l'on va chercher la fraîcheur dans ces mêmes bois.
La description de l'emplacement du châtel de Léocade fait penser au château Raoul, édifié sur le coteau de la rive gauche de l'Indre, séparé de Déols par la seule prairie Saint-Gildas.

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16 avril 2007 | Lien permanent

Montjoie et saint Denis !

Il n'est sans doute pas de région, en dehors de mon Berry natal, que je ne connaisse aussi bien que le Périgord. Il n'est guère d'année qui se passe sans que je n'entreprenne d'en  arpenter ses collines et ses vallées. J'ai bien sûr plus d'une fois été tenté d'y déceler une géographie sacrée comparable à celle qui m'occupait en Berry : sa fabuleuse richesse en châteaux et églises, la longue histoire mouvementée qui est la sienne laissaient espérer une semblable organisation spatiale. Las, mes tentatives n'ont jamais été convaincantes, et même autour de Beaulieu-sur-Dordogne, qui est, à l'instar de Neuvy Saint-Sépulchre, fichée sur l'axe vertical Montségur-Montfort,  je n'ai repéré les traces d'une partition zodiacale ou symbolique quelconque. Aucun alignement significatif. C'en est presque étrange...

 

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Toujours est-il que  cet été, aux Eyzies, à la librairie richement dotée, on s'en doute, en ouvrages sur la préhistoire,  j'ai déniché un ouvrage que je désirais depuis longtemps : Montjoie et Saint-Denis !, par Anne Lombard-Jourdan, publié aux Presses du CNRS en 1999. J'ai déjà assez souvent cité cette historienne, mais c'était à partir de son dernier ouvrage, Aux origines de Carnaval (Odile Jacob, 2005). Ce Montjoie et saint-Denis !, j'avais failli l'acquérir plusieurs années auparavant, chez un bouquiniste des quais de Seine, et je ne sais pourquoi, assez stupidement, j'avais laissé passer l'affaire. Bien sûr, j'aurais pu le commander sur le net, mais cela me semblait, comment dire, trop facile... C'était bien plus fort de le retrouver là, pour la première fois, dans le village des origines de l'homme...


Quelle est la thèse de ce livre ? Selon Anne Lombard-Jourdan, « le lieu consacré, au centre de la Gaule », dont parle Jules César, serait la Plaine du Lendit, au nord de Lutèce, sur le territoire des Parisii. « Elle indique, nous dit la quatrième de couverture, comment ce sanctuaire où s'assemblaient les druides se développa autour de la « Montjoie », tombe de l'ancêtre héroïsé protecteur du pays. Dans le but de masquer et d'exorciser ce lieu païen, les premiers chrétiens situèrent à cet endroit précis le martyre de saint Denis et sainte Geneviève érigea à proximité la première basilique dédiée à celui-ci. Saint-Denis devint l'équivalent et le substitut du « Protège-Pays ». Son nom rejoignit celui de « Munjoie » dans l'appel des guerriers en détresse. » Le Lendit serait donc un véritable Mediolanum, un centre spirituel analogue à Delphes pour la Grèce et à la Tara des anciens Irlandais.


Je rappelle maintenant les conclusions auxquelles j'étais parvenu à la suite de mon enquête de juin sur les lieux Dolus : « le dol, écrivais-je, serait en somme un espace surplombant un marais, un affleurement naturel de roche que les hommes sur-signifient en y implantant des mégalithes, et plus tard, des autels et des églises. »


Or, que constate-t-on au sujet du Lendit ? Anne Lombard-Jourdan établit tout d'abord l'existence d'un tertre sur cette plaine, de faible hauteur certes, mais tertre réel qu'on appelle donc « Montjoie », ainsi que, sur ce tertre, une pierre plate, un mégalithe connu sous le nom de Perron, dérivé de petra ou petron. D'autre part, le lieu était bel et bien entouré d'une zone marécageuse. D'ailleurs le « Pourtraict de la ville Sainct-Denis en France », gravure sur bois de la fin du XVIe siècle, représente encore les marécages qui subsistaient au sud de l'abbaye.


Cette similarité de nature entre Déols et le Lendit-Saint-Denis nous questionne bien évidemment. C'est peut-être maintenant le lieu d'évoquer une légende propre à l'abbaye berrichonne, la légende de Denis Gaulois. Entendez bien : Denis Gaulois et non Denis le Gaulois. Première étrangeté.


Seconde étrangeté : il ne s'agit point d'une légende populaire. S'il faut en croire le bon docteur Fauconneau-Dufresne dans son Histoire de Déols et de Châteauroux, elle fut en effet découverte « le 2 octobre 1610, sous un autel de l'église de Déols, avec d'autres papiers relatifs à la fondation de l'abbaye, que Charles de Laubépine, chancelier du roi, abbé commendataire, ainsi qu'il se qualifie, fit inventorier séance tenante. » Séance tenante, d'accord, mais il faudra attendre onze ans pour que le prieur claustral en délivre une « copie notariée et dûment certifiée au prince de Condé, devenu duc de Châteauroux et prince de Déols ».

Examinons donc ce récit, on va le voir, fort singulier...

(A suivre)


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25 septembre 2006 | Lien permanent | Commentaires (3)

Résurgence de saint Denis

Le très riche site des Rencontres de Provins, que j'ai découvert en recherchant des informations sur Vauluisant, consacre une page au personnage de Hugues de Toucy, élu et sacré archevêque de Sens en 1142 :

« Deux ans plus tard, le 11 juin 1144, il assista à la fête de la dédicace de l'église abbatiale de Saint Denys en France, et y consacra: l'autel de Saint-Edmond. Le 9 octobre de la même année, il dédia l'église de l'abbaye de Vauluisant, fondée près de Courgenay, sous son prédécesseur, par Anseau, seigneur de Traînel. »

Or, le 9 octobre n'est autre que le jour de la saint Denis.

Hasard du calendrier ? Je n'y crois pas, d'autant plus que ce lien entre saint Denis et Vauluisant se répète dans la situation de l'abbaye-fille, c'est-à-dire Varennes, puisque sur le méridien de celle-ci, à quelques lieues seulement, nous retrouvons Saint-Denis-de-Jouhet, dont j'ai traité récemment dans les pages consacrées au Lion. Entre les deux sites, sur le même axe, le village de Fougerolles recèle encore en son église Saint-Pierre une dalle funéraire gravée à l'effigie d'un abbé de Varennes.

Le 11 juin 1144 est considéré par le site Hérodote comme l'acte de naissance de l'art gothique. Cependant, dans le même article, il est écrit qu' « en 1122, à Sens, à l'occasion de la construction de la cathédrale Saint-Étienne, un nouveau style architectural est apparu subrepticement, plus léger, plus élancé, plus lumineux. L'abbé Suger est séduit par ce nouveau style et décide de s'en inspirer pour l'achèvement de sa chère basilique. »

Or, c'est Hugues de Toucy qui mena à terme la construction de la cathédrale de Sens, considérée comme la première des cathédrales gothiques.

 

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 Enluminure du XIIIe siècle décrivant l'assassinat de Becket

C'est lui encore qui accueillit à Sens le célèbre Thomas Becket, archevêque de Cantorbéry, poursuivi alors par l'ire de Henri II Plantagenêt, celui-là même qui usurpa la fondation de Varennes.

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12 septembre 2005 | Lien permanent

Saint-Denis-de-Jouhet

« En 1140, la plus royale des églises n'était pas une cathédrale, mais un monastère : saint-Denis-en-France. Depuis Dagobert, les successeurs de Clovis avaient choisi ce sanctuaire pour nécropole, et les trois races qui successivement dirigèrent le royaume n'avaient cessé d'y ensevelir leurs morts ; Charles Martel, Pépin le Bref, Charles le Chauve y reposaient dans le caveau royal près de Hugues Capet, de ses ancêtres les ducs de France, et de ses descendants, les rois. » (Georges Duby, L'Europe des Cathédrales, 1140-1280, Skira, 1984, p. 13)


C'est dans la crypte de Saint-Denis que ces rois descendaient chercher l'oriflamme déposée sur les reliquaires des saints martyrs. « Le vitrail de Saint Denis à Chartres (vers 1210/1220), les descriptions et les meilleures peintures des XIIIème et XIVème siècles montre qu'elle consistait en une bande de soie légère, rouge uni (couleur impériale ou encore celle du martyr, en l'honneur des saints Denis, Rustique et Eleuthère), assez longue, découpée de deux, trois ou cinq queues, ornée de houppes vertes et attachée par des anneaux à une lance dorée pouvant tuer l'ennemi » (Encyclopaedia Universalis, Thesaurus, p. 2177). On l'appelait aussi, du fait de sa provenance, l'enseigne Saint-Denis. On raconte qu'à Roosebeke, en 1382, les armées étant sous la bruine, le soleil ne daigna se montrer que lorsque l'oriflamme fut déployée : les Français de Charles VI purent alors assaillir les Flamands et les écraser.

L'oriflamme fut ainsi un des signes de ralliement autour de la puissance royale, à l'instar du cri de guerre des Capétiens : Montjoie Saint-Denis ! qui succéda au simple Montjoie ! des XIème et XIIème siècles. Ce terme de Montjoie, que j'ai déjà évoqué, mérite un approfondissement particulier.

Selon Anne Lombard-Jourdan, entre autres, il dérive du francique mundgawi, « protège-pays » : « Après avoir localisé au nord de Paris, dans la plaine du Lendit, le "lieu consacré, au centre de la Gaule" dont parle Jules César, elle indique comment ce sanctuaire où s'assemblaient les druides se développa autour de la "Montjoie", tombe de l'ancêtre héroïsé protecteur du pays. Dans le but de masquer et d'exorciser ce lieu de culte païen, les premiers chrétiens situèrent à cet endroit précis le martyre de saint Denis et sainte Geneviève érigea à proximité la première basilique dédiée à celui-ci. Saint-Denis devint l'équivalent et le substitut du "Protège-Pays". Son nom rejoignit celui de "Munjoie" dans l'appel des guerriers en détresse » (Note de l'éditeur). Plus largement, la montjoie désignera toute éminence, colline ou tas de pierres servant à indiquer la voie d'un pélerinage. C'est le lieu de se souvenir que sur l'axe Autun – Saint-Maixent, un des premiers indices relevés fut un Montjouan. Or, un axe quasi perpendiculaire à celui-là, passant par Montjouan, se dirige au nord vers Saint-Léger-de-Fougeret et au sud vers la grande ville de pélerinage de Paray-le-Monial en traversant Gueugnon, Chevagny et Saint-Léger-les-Paray. Tout en passant près de Mont Dardon et du hameau de Dardon, qui évoquent fortement Dordon, le lieu de naissance des fils Aymon.

 

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Eglise de Saint-Denis-de-Jouhet

Saint-Denis-de-Jouhet n'aurait-il pas la même fonction indicatrice ? N'a-t-on pas cultivé l'identification, toutes proportions gardées, avec le Saint-Denis de l'Ile-de-France ? Ainsi, de même que celui-ci est célèbre au Moyen Age pour sa foire du Lendit « où les bateliers de Seine, écrit Duby, venaient charger les fûts de vin nouveau pour les conduire vers l'Angleterre ou vers la Flandre », Saint-Denis -de-Jouhet est connu dans toute la région pour sa foire annuelle (à l'origine, dédiée aux chevaux), le 4 octobre. La date mérite examen : deux jours avant, le calendrier marque la Saint-Léger et, cinq jours après, indique la Saint-Denis.

 

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Un nouvel alignement dirigé pratiquement plein Nord, en direction donc de Paris et de Saint-Denis achèvera de fonder notre conviction : issu donc de Saint-Denis-de-Jouhet, il remonte à Saint-Denis, faubourg d'Issoudun (ancienne ville royale, qui reçut une charte de franchises de Charles VII et Louis XI lui concédant sept foires annuelles) et traverse le Bois Saint-Denis, à la sortie de Reuilly, non sans avoir frôlé au passage le hameau de Saint-Léger (unique exemple de ce toponyme dans le département de l'Indre).

Et il faut enfin savoir que l'église primitive de Reuilly, église Saint-Denis il va de soi, appartenait en propre à l'abbaye Saint-Denis-de-France.

 

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Doc : Ecole des Chartes

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22 août 2005 | Lien permanent | Commentaires (3)

Mesurer le monde à Saint-Denis

434371250.jpgLu récemment le livre passionnant de l'historien américain Ken Alder, Mesurer le monde, l'incroyable histoire de l'invention du mètre, qui vient  de paraître en poche, chez Flammarion, dans la collection Champs (fraîchement relookée). Il y relate, avec un art du récit digne des meilleurs romanciers, l'épopée tour à tour comique et tragique des deux astronomes mandatés en 1792 par l'Académie des sciences pour mesurer la portion d'arc du méridien de Paris, opération devant servir à déterminer la longueur du mètre défini comme la dix-millionième partie de la distance qui sépare le Pôle Nord de l'Equateur. En pleine Révolution, alors que le pays est menacé par les puissances étrangères coalisées, l'entreprise est bien sûr hautement risquée. Parti pour sept mois mesurer la partie sud du méridien, de Barcelone à Rodez, Pierre François Antoine Méchain ne rentrera que sept ans plus tard, miné par une erreur qu'il dissimulera jusqu'au bout (et qui conduira à établir un mètre trop court de 0,2 millimètre...). De son côté, Jean-Baptiste Joseph Delambre, chargé de la portion Dunkerque-Rodez, connaîtra dès les premières stations de son périple les pires difficultés. A la recherche de points élevés pour réaliser ses triangulations, il se rend à Saint-Denis dont la basilique constitue un site idéal pour l'opération. Arrêté à un barrage, il est conduit sur la grand-place de la ville où les gardes se vantent d'avoir capturé des suspects qui se dirigeaient vers la frontière avec du matériel d'espionnage. Dans les malles de cuir, quatorze lettres portant le sceau royal sont découvertes et Delambre est contraint de s'expliquer devant une foule hostile. Il décachète et lit plusieurs lettres, qui se révèlent inoffensives, puis on le somme de dire à quoi servent ses instruments.  Et Delambre de se lancer dans une vaste explication sur la nécessité d'unifier le système de poids et mesures (un seul exemple édifiant : à Saint-Denis la pinte est un tiers moins remplie qu'à Paris) et de prendre comme étalon une mesure tirée de la Terre elle-même. Ce cours de géodésie improvisé ne connut guère la faveur du public, ce que Delambre raconta lui-même :

L'auditoire était très nombreux : les premiers rangs entendaient sans comprendre ; les autres, plus éloignés, entendaient moins et ne voyaient rien. L'impatience et les murmures commençaient ; quelques voix proposaient un de ces moyens expéditifs si fort en usage dans ces temps, et qui tranchaient toutes les difficultés, mettaient fin à tous les doutes.

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Jean-Baptiste Joseph Delambre
 

Delambre ne doit son salut qu'à l'intervention du procureur-syndic qui met les scellés sur les voitures et contraint l'astronome et son assistant à passer la nuit dans un fauteuil de la salle communale de Saint-Denis. "Plus tard, écrit Ken Alder, dans la soirée du 7 septembre 1792, l'Assemblée législative adopta un décret  qui faisait de Delambre et Méchain les envoyés officiels du gouvernement du peuple et qui ordonnait aux autorités locales de les aider au cours de leur périple. L'expédition autorisée par le roi était devenue la mission du peuple. Dès que le décret fut publié, Lefrançais l'apporta à Delambre, et, ensemble, ils l'apportèrent à la séance du conseil municipal du dimanche matin pour faire lever les scellés apposés sur leurs voitures et continuer leur mission. Le même soir, les moines bénédictins dirent leur dernière messe, après plus de mille ans de prières ininterrompues dans la plus prestigieuse abbaye du royaume." (p.74)

La basilique de Saint-Denis ne serait d'ailleurs pas celle que nous connaissons encore aujourd'hui si la science n'était pas venue à son secours en temps opportun. Les patriotes, en effet, avaient dans l'idée d'abattre le clocher à coups de canon, et la municipalité était sur le point de les autoriser lorsque la Commission des poids et mesures intervint. "La tour, déclara-t-elle, était d'une importance capitale pour la mesure de l'arc de méridien sur son axe Dunkerque-Barcelone. En considération de cette "grande utilité" pour la détermination des nouvelles mesures de la République et pour la triangulation du territoire, comme pour la réalisation d'autres objectifs géographiques, le conseil serait avisé  de laisser la tour intacte et de se contenter de faire disparaître les crucifix et les fleurs de lys qui offensaient les bons patriotes de Saint-Denis."(p.77)

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26 avril 2008 | Lien permanent | Commentaires (7)

Caput regni

J'imagine le scénario suivant :
 
A l'époque où le peuple gaulois des Bituriges (étymologiquement, les Rois-du-Monde) était le plus puissant de la Gaule et où les Druides avaient conquis une influence déterminante sur la société de leur temps, les deux centres sacrés les plus importants se trouvaient être Déols et Bourges (ils ne portaient évidemment pas ces noms-là), deux tertres entourés de marais, dont le compagnonnage symbolique sera constant au cours des siècles suivants, la trace en étant gardée jusque dans la légende tardive de Denis Gaulois.

A l'heure de la conquête romaine, les Bituriges n'exercent plus le pouvoir suprême et ne sont plus que les clients des Eduens ; les Druides eux-mêmes, comme l'a bien montré Jean-Louis Brunaux, ont perdu la  prééminence des siècles antérieurs et forment une institution déclinante.
Un nouveau centre sacré a supplanté les centres bituriges : Anne Lombard-Jourdan a suggéré qu'il s'agissait d'un  tertre  situé au nord de Paris, dans la plaine du Lendit. Ne pouvant éradiquer purement et simplement ce haut-lieu du paganisme, les premiers chrétiens y placèrent le martyre de saint Denis et sainte Geneviève érigea à proximité la première basilique dédiée à celui-ci.
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Martyre de saint Denis


Le lien avec les anciens centres sacrés n'est cependant pas rompu : entre Berry et Ile-de-France, Paris-Saint-Denis  et Bourges-Déols la vieille histoire perdure, se livre en échos riches et profonds. Le règne de Saint Louis est exemplaire à ce point de vue. On a vu le rôle insigne du prélat berrichon Eudes dans la consécration de la Sainte-Chapelle, la conduite de la croisade et la dotation en reliques christiques du modeste sanctuaire berrichon de Neuvy, création conjointe des princes de Déols et des seigneurs berruyers. L'abbaye royale de Saint-Denis a des possessions en propre à Reuilly et à La Chapelaude.

Etonnant comme la dualité Déols-Bourges est répétée par celle de Paris et Saint-Denis : "Depuis le XIe et, surtout, le XIIe siècle, plus encore sous Saint Louis, écrit Jacques Le Goff , Paris est la résidence habituelle du roi et donc de son conseil, la Curia, qui peu à peu se transforme de cour féodale itinérante en organisme de gouvernement tendant à la stabilité. Paris est devenu caput regni, la capitale du royaume. Mais Saint-Denis, où le roi va prendre l'oriflamme avant de partir pour la guerre ou les attributs du pèlerin avant de partir pour la croisade, sur l'autel duquel il paie un tribut de quatre besants d'or soigneusement déposés chaque année, où sont gardés, entre les sacres, les insignes du pouvoir royal, où reposent ses prédécesseurs dans l'attente de la Résurrection, Saint-Denis est appelé aussi caput regni.
Le Royaume de France a une capitale bicéphale, Paris et Saint-Denis, dont la route, bientôt parsemée de "montjoies", est la véritable voie royale. Et le triangle sacré de l'espace monarchique est Reims, où le roi reçoit le pouvoir  royal, dans la cathédrale du sacre, Paris où il l'exerce habituellement dans son palais et Saint-Denis où il l'abandonne dans le "cimetière aux rois" de l'abbaye "nationale"
(p. 530-531).

Jacques Le Goff montre que c'est d'ailleurs Saint Louis qui va pleinement utiliser "l'instrument idéologique et politique que la nécropole royale offrait  à la monarchie française", en réorganisant la disposition des tombeaux existants de manière à affirmer la continuité entre Carolingiens et Capétiens, et à se rattacher à la prestigieuse figure de Charlemagne, histoire de légitimer une bonne fois pour toutes cette dynastie capétienne "longtemps vilipendée en la personne de son fondateur Hugues Capet - que Dante va bientôt encore évoquer avec mépris" (p. 281).












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03 mars 2007 | Lien permanent | Commentaires (7)

Du ternaire

 

Un autre point commun entre les légendes de saint Denis et de saint Génitour est l'importance du ternaire. Après avoir rappelé le témoignage de Lucain dans la Pharsale (I, 444-446), poème écrit au 1er siècle de notre ère, qui évoque la triade des dieux gaulois Esus, Teutatès et Taranis, Anne Lombard-Jourdan remarque que la première Vie de saint Denis « situe au « vénérable lieu triple » (venerabilem locum trinum) le martyre des trois saints ; Denis, Rustique et Eleuthère, indissolublement unis dans leur sacrifice, confessent d'une seule voix leur adoration de la sainte Trinité, dogme catholique qui s'oppose à l'hérésie arienne négatrice d'un dieu en trois personnes. » (« Montjoie et saint Denis ! », Presses du CNRS, 1989, p. 66)

Les neuf fils de Maure portent avec évidence le ternaire à la plus haute puissance de lui-même. Et la distribution spatiale et temporelle des martyres relève d'un semblable souci : trois morts près du départ de la fuite, à Tours ; trois morts sur le chemin (Saint-Epain, Barrou, Tournon) ; et enfin, trois morts au Blanc. En outre, comme Génitour choisit sa sépulture en Ville Basse, Tridore et Principin sont enterrés en Ville Haute. Comme cela ne fait pas le compte, on y ajoute Messaire, que pourtant la légende fait mourir à Tournon. Trois toujours. Ce sont eux que l'on nomme les Bons Saints, qu'on invoque pour la protection des enfants, et auxquels les pélerins viennent rendre hommage chaque premier dimanche de septembre. Une date qui place obligatoirement le « voyage »dans le temps de la Vierge, le signe opposé aux Poissons du secteur.

Maintenant, quel peut bien être l'auteur de cette légende, qui offre, on le voit, de si nombreux points de comparaison avec celle de saint Denis qu'on ne peut pas croire qu'elle ne s'en soit pas inspirée ? Selon Patrick Grosjean, il pourrait s'agir d'un moine de la grande abbaye de Déols, un auteur « qui ne s'embarrasse pas du fait que les Wisigoths aient été chrétiens, des hérétiques tout de même puisque ariens. Il ne craint pas davantage les anachronismes : le roi des Goths est présenté comme contemporain de saint Martin tout en portant un nom romain. Bref ce récit n'est représentatif que de l'hagiographie médiévale. »(op. cit. pp. 136-137)

 

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On retouve là la volonté de combattre l'hérésie arienne présente dans la geste dyonisienne. Par ailleurs, le prieuré de Saint Génitour fut  fondé avant 1125 par l'abbaye de Déols. Et il est un autre détail crucial, que l'Inventaire général n'a pas relevé, et qui affermit notablement l'hypothèse d'une origine déoloise, c'est que les trois clochers de Douadic, Pouligny Saint-Pierre et Saint-Génitour sont directement inspirés du clocher de Déols, qui se présente lui aussi comme de plan carré avec étages de baies aveugles (deux au lieu d'un, le modèle se doit de conserver la suprématie.)

 

 

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15 mars 2009 | Lien permanent

Retour sur saint Gildas

Toussaint. Dans l'après-midi, je me suis replongé dans l'ouvrage, ce livre qui rassemblerait toutes les notes écrites ici pendant cinq ans. Mais ce travail de synthèse avance avec une lenteur qui parfois me désespère. Ce jour-là, je continue le chapitre sur la légende de Denis Gaulois, liée à Déols, à partir de ce billet intitulé Sur la trace de Gildas. Le saint breton qui fonda un monastère sur la presqu'île de Rhuys, monastère que les religieux quittèrent devant la menace normande pour venir s'établir sur les berges de l'Indre, accueillis par les seigneurs de Déols. Une légende voudrait que dans leurs bagages ils auraient aussi apporté le calice dont Jésus s'était servi pour la sainte Cène, autrement dit le saint Graal. Toujours est-il que les abbayes voisines de Déols et de Saint-Gildas sombrèrent au début du XVIIème siècle sous les coups de boutoir du grand Condé, ce dont se désola le poète Jean Lauron, avocat et bailli de Saint-Gildas. Disciple de Ronsard, ce Jean Lauron avait aussi écrit l'épitaphe d'un autre castelroussin notoire, son presque homonyme Jean d'Aumont, compagnon d'armes de Henri IV.

Bref, j'en étais là de cette étude lorsque je m'aperçus qu'un détail biographique m'avait échappé en 2006 : le lieu de la blessure mortelle de Jean d'Aumont (dénommé le franc Gaulois en raison de sa bravoure). Jean d'Aumont est mort en effet des suites d'un coup de mousqueton reçu au château de Comper. Or, ce château est situé en Bretagne, au nord de la forêt de Paimpont, autrement dit la légendaire forêt de Brocéliande. D'ailleurs, il abrite aujourd'hui le Centre de l'Imaginaire Arthurien.

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Rue des Remparts

Belle ironie de l'histoire que ce court-circuit symbolique entre Bretagne et Berry. C'est sur les terres d'élection du Graal, précieux vaisseau que la légende transporte donc en Berry pour échapper au péril normand, que le seigneur berrichon vient trouver la mort devant les murs du château de la fée Viviane. Et le poète qui lui rend hommage est celui-là même qui se désole quelques années plus tard de la triste déliquescence des abbayes de Saint-Gildas et de Déols. Court-circuit symbolique qui s'exprime aussi dans le geste de l'abbé Dahoc, qui cache avant de s'enfuir huit ossements de Gildas sous le maître-autel de Rhuys, geste que la découverte de la légende de Denis Gaulois sous un autel d'église déoloise vient donc répéter en l'inversant.

En fin de soirée, l'envie me prend soudain d'aller voir la maison de Jean Lauron, qu'un vague souvenir me fait placer dans la vieille ville. Dans Châteauroux désert, en ce jour de Toussaint où la plupart des restaurants sont fermés, je me glisse Rue Grande, puis rue des Notaires. Aucune plaque sur les maisons, là où je pensais la trouver, à part celle de Maurice Rollinat qui passa là les vingt premières années de sa vie. Je remonte rue de la Vieille Prison, par l'ancienne porte Saint-Martin, et emprunte ensuite une petite rue que je ne connaissais pas, la rue des Remparts, qui surplombe la place du Palan. Six heures résonnent alors au clocher de l'église Notre-Dame, édifiée fin XIXème siècle sur le fossé d'enceinte de l'ancien Château-Raoul, et la lune en croissant se profile, de là où je suis, dans l'axe exact de la flèche, me rappelant la Ballade à la lune de Musset :

C'était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.

Une soudaine exaltation s'empare de moi à ce moment-là : il flotte ici comme un parfum de mystère. La quête longtemps interrompue reprend. Rue du Père Adam, un panneau d'information me donne enfin une clé : la maison de Jean Lauron est la "maison du Cadran" (solaire), à l'angle de la rue des Notaires et de la rue Descente de Ville. Maison massive, qui n'offre  au visiteur qu'une face bourrue, volets clos, comme refermée sur son histoire. J'ai soudain envie de tout savoir sur son ancien propriétaire, mais au retour la recherche sur le net est décevante, aucune trace de ses ouvrages, de ses poèmes. Il va me falloir traquer les bibliothèques et les Archives pour en savoir plus long.

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06 novembre 2011 | Lien permanent | Commentaires (6)

Saint-Ursin et sceau de Salomon

Avant de reprendre enfin l'étude de la légende de Denis Gaulois, je voudrais juste signaler une curiosité : sur le portail de Rennes-le-Château, Marc Lebeau a naguère consacré une petite étude à Circuit, texte d'un certain Philippe de Chérisey ;  or, au centre de la carte affichée sur la couverture, figure le nom désormais bien connu de Saint-Ursin, désignant plus précisément la Chapelle Saint-Ursin, village situé à quelques kilomètres de Bourges. Saint-Ursin y apparaît  également comme le centre d'un sceau de Salomon épousant approximativement les limites de l'hexagone.

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Il se trouve que les seigneurs de Déols ont frappé monnaie à l'effigie d'un tel sceau, comme en témoigne par exemple ce denier d'argent de 0,9gr. de Raoul VI (1160-1176) que j'ai trouvé en vente sur e-bay.

 

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Encore un autre exemple de l'étroite relation entre Bourges (Saint-Ursin) et Déols ?


Il reste que ce marquis  de Chérisey était, semble-t-il,  un humoriste de métier et que le tapuscrit étudié par Marc est un texte très ambigu, où l'on  peine à démêler le canular de l'information sérieuse. Mais, après tout, Rabelais procédait-il autrement lorsqu'il réclamait une lecture  "à plus hault sens" pour son oeuvre ?

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02 avril 2007 | Lien permanent | Commentaires (18)

Le triangle de Saint-Just

Bien avant Jean-Pierre Le Goff, Vouillon reçut, selon l'abbé Jacquet, curé du village au début du XXème siècle, la visite d'un certain saint Just. Lequel trouva la mort sur la voie romaine qui conduisait à Bourges, aussi l'église lui fut-elle dédiée. L'abbé rapportait là une tradition locale qui décalquait en réalité l'histoire de saint Just telle qu'elle est contée dans les Acta Sancti Ursini, autrement dit le récit de la vie de saint Ursin. Nous avons souvent évoqué ce dernier, en particulier à l'occasion de l'étude de la légende de Denis Gaulois.

J'en reviens encore à cet excellent Jean Villepelet, monseigneur Jean et son livre si précieux Les Saints Berrichons. Que nous apprend-il ? Et bien que le Bienheureux Just, compagnon et disciple du grand Ursin, envoyé de Lyon à Bourges  pour porter la bonne parole aux habitants du Berry, tomba en chemin gravement malade et mourut saintement, à neuf milles de la ville de Bourges, près des bords de l'Auron. "Affligé par ce trépas, poursuit-il, Ursin rendit pourtant grâces à Dieu et à cet endroit même donna à son compagnon une sépulture honorable. Au VIème siècle, le corps du saint confesseur fut transporté dans l'église qui, après avoir été primitivement élevée en l'honneur du martyr saint Symphorien, prit dans la suite le nom de Saint-Ursin, lorsque les reliques du premier apôtre du Berry y furent elles-mêmes transférées." (p.98)

Sur le tympan du portail sud de la cathédrale de Bourges, on voit le pape bénir Just et Ursin qui ont reçu mission d'évangéliser notre païenne contrée. Mgr Villepelet signale aussi  en note que le village de Saint-Just, dans le canton de Levet, revendique l'honneur d'avoir été le lieu de sa mort et de sa sépulture privée. Or, l'axe Vouillon - Saint-Just ne semble pas anodin : orienté au nord-est, donc dans la position du soleil levant en période printanière, il est jalonné par Saint-Aubin et Primelles (où saint Firmin d'Amiens séjourna quelque temps) - et l'on sait que Prime est une prière de l'office divin, correspondant à la première heure du jour, vers 7h00 du matin.

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Considérons à présent les axes Saint-Just - Bourges et Vouillon - Bourges. On constate qu'ils sont perpendiculaires. Le premier épouse pratiquement la route nationale 76 qui traverse en droite ligne le plateau de la Septaine, tandis que le second se confond presque avec la Chaussée de César, nom donné aux vestiges de la voie romaine qui reliait Argentomagus à Avaricum. Il passe d'ailleurs par Saint-Ambroix, dont nous avons vu l'importance lors de la mise en lumière du carré buissé.

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Pour voir la carte avec un format plus large : triangle_saint-just.pdf

 

Ceci étant établi, le sens de ce long triangle allongé reste encore énigmatique.

 

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24 mars 2010 | Lien permanent

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