Rechercher : Levroux
La motte de Saint-Phalier
Avant d'en revenir au Phalier phallique, une dernière précision sur laroue de Saint-Phalier. Nous avons vu que cette figure était donnée par les trois pointes d'un triangle rectangle portant toutes la marque toponymique de saint Phalier, ermite limousin. Or, sur la circonférence de cette roue, un autre site porte le nom de Saint-Phalier : il ne s'agit point d'un hameau, ni même d'une simple maison et il n'apparaît pas sur la carte IGN.
Je n'en aurais rien su sans l'ouvrage collectif Histoire et archéologie du pays de Levroux, publié avec le concours, entre autres, du CNRS en 2003. On y apprend donc qu'à "la croisée des chemins de Levroux à Vatan et à Saint-Phalier, à 1,2 km de Levroux et 2 de Saint-Phalier, se dresse une butte artificielle en terre de 22 m de diamètre et 4,5 m de hauteur, couverte par un bosquet. Le donjon de Saint-Phalier est mentionné en 1243 par le cartulaire de Levroux. Il est situé sur la limite de la franchise de Levroux définie en 1259, pour laquelle il constituait un point remarquable dont la stabilité était assurée. Le haut de la motte offrait pour le guet un site exceptionnel d'où l'on pouvait voir très loin dans toutes les directions. Monsieur Bougault-Fauchais y a pratiqué des fouilles et, selon un témoignage oral que nous avons recueilli dans les années 1970, il y aurait trouvé une tombe à char de l'âge du Fer ; il ne reste ni mobilier ni trace écrite de cette hypothétique découverte."
Il faut noter que dans ces tombes à char, on rencontre souvent des pièces de harnachement de chevaux, dont ces fameuses phalères dont j'ai parlé naguère.
23 octobre 2007 | Lien permanent | Commentaires (3)
A l'année prochaine !
En 2009, promis, la fin du périple zodiacal, la dernière étape du voyage sidéral, les secrets du douzième signe, les Poissons, autour de la Brenne et de la ville du Blanc.
Une petit cadeau de Hautetfort en cette fin d'année : un petit moteur de recherche pour l'ensemble du site. Très pratique, à essayer sans tarder. Moi-même, je m'y retrouve mieux.
A part ça, je laisse parole à l'Homme Sauvage de Levroux :
30 décembre 2008 | Lien permanent | Commentaires (1)
Alignements sylvestres
Si l'on parcourt le méridien de Saint-Genou au delà de Sainte-Gemme, on découvre qu'après avoir franchi la Creuse il atteint le bois de Souvigny. Ce même bois de Souvigny, entre Luzeret et la forêt de la Luzeraize, traversé obliquement par le grand axe de saint Léger venu d'Autun. Cette coïncidence est d'autant plus remarquable que ce toponyme est le seul Souvigny attesté dans l'Indre. Stéphane Gendron (Les Noms de Lieux de l'Indre, 2004, p. 22) lui donne la même étymologie qu'au Souvigny de l'Allier : nom propre romain Silvanius + -acum, ou bien dérivé de silva "forêt".
Un seul village indrien, Sougé, présente une origine analogue : S. Gendron fait dériver ce nom de Silvius (nom propre romain) + -acum, à comparer avec Sougé-en-Braye, dans le Loir-et-Cher, Silviacus au IIIème siècle. Mais il précise qu'on pourrait également voir dans ce nom un dérivé de silva. Or Sougé est une commune proche de Saint-Genou, à peu près à mi-chemin de Levroux. On sait par ailleurs que l'histoire de Levroux est marqué par saint Martin d'une part et les saints Silvain et Silvestre d'autre part.
Cette proximité sémantique Sougé-Levroux est marquée sur le terrain par un alignement qui unit très clairement Saint-Genou, Sougé et Levroux (en prenant en considération non pas la cité mais le château au nord de celle-ci, ancien oppidum gaulois dominant la vallée de la Céphons).
Un axe perpendiculaire à cet alignement Saint-Genou-Levroux passant par Sougé conduit à Selles-sur-Nahon, où la tradition place , on l'a vu, l'établissement de saint Genou (en le nommant la Celle-des-Démons). Est-ce pour contrebalancer cette mention démoniaque que l'axe va se ficher au sud sur Villedieu-sur-Indre, dont le nom fut donné par les moines de Saint-Gildas qui y édifièrent un prieuré ?
Enfin, signalons que tout près de Sougé, au point médian de l'axe Levroux-Saint-Genou, se trouve le lieu-dit Champillé, où Gendron mentionne la présence d'un ancien prieuré et d'une chapelle Saint-Léger, ce qui, compte tenu de la rareté des occurrences de saint Léger dans l'Indre, est particulièrement frappant.
07 juillet 2007 | Lien permanent
De Septem Fontibus
La question est maintenant de savoir quel culte païen a été recouvert par les figures de saint Martin, saint Silvain, saint Silvestre et autres Rodène et Corusculus. Comme à Vatan, il est très certainement lié à une ou plusieurs sources : « A l'origine, écrit Stéphane Gendron, le village semble avoir joué un rôle important dans le culte de l'eau guérisseuse. La fontaine guérisseuse de sainte Rodène (scrofuleux, feu de saint Sylvain, ou érysipèle, engelures...) est fréquentée au moins depuis le XIIIe siècle. » (Les Noms de Lieux de l'Indre, op. cit. p. 25.) Un ruisseau prend source à Levroux, à l'est de la ville intra muros, ruisseau nommé Céphons, c'est-à-dire Septfons, les sept fontaines, près d'une métairie appelée déjà Sept Fonds au XIIIe siècle. Stéphane Gendron encore : « Selon Ardouin-Dumazet, la source est l'objet de légendes : “On prétend qu'une grosse pierre bouche le fond de l'abîme et empêche les eaux d'être trop abondantes ; si on l'enlevait, Levroux serait inondé ! ” ».
Il semble qu'il y eut par le passé des débats passionnés sur l'orthographe du cours d'eau (Céphons ou Septfonds) et pour savoir s'il y avait bien sept fontaines à Levroux. A mon humble avis, c'était être aveugle à la portée symbolique des termes choisis. Je ne m'étendrai pas sur la valeur universelle du septenaire qui est bien connue, sinon pour dire qu'il signe, entre autres, le Septentrion, c'est-à-dire les sept étoiles de la Grande Ourse1 . Cette valence cosmique se répète peut-être avec la graphie de Céphons, qui évoque irrésistiblement Céphée, autre constellation boréale dont les étoiles alpha et gamma furent polaires, voici 21 000 et 19 000 ans avant notre ère.
Céphée « est reconnaissable à sa forme de pentagone irrégulier, ou de dessin enfantin d'une maison à toit pointu. » Or, la cité médiévale de Levroux avec sa ceinture de remparts nous présente une figure étrangement proche, comme l'attestent la carte de Cassini ou l'atlas de Trudaine.
Levroux en 1747 (atlas de Trudaine)
Sources des cartes : Histoire et Archéologie du pays de Levroux (Indre), 2003
__________________
1 Je ne parviens pas à remettre la main sur une note prise lors de la lecture du Journal de Paul Claudel : il y mentionnait, si j'ai bonne mémoire, avoir vu sept puits à l'intérieur d'un temple chinois, figurant la constellation boréale.
04 avril 2006 | Lien permanent | Commentaires (9)
Du village lépreux
Levroux, dans la direction des Abymes, symbolise le lieu d'en bas d'où il importe de sauver les âmes.
Dans la Vie de saint Martin rédigée par son disciple Sulpice Sévère au début du Vème siècle, il est dit que l'évêque de Tours est passé par là vers 386, lors de l'une de ses innombrables campagnes pastorales. La ville, désignée comme vicus leprosus, "village lépreux", est païenne et s'honore d'un sanctuaire remarquable, templum opulentissum, aussi Martin lui applique-t-il sa méthode habituelle : destruction des idoles et conversion de la population. A en croire ce site, ce ne fut pas si simple : les Levrousains de l'époque étaient de vrais suppôts de Satan :
« Quand Martin perçoit une résistance exceptionnelle, de la part des païens, à ses efforts d'évangélisation, il a recours à son arme préférée, la pénitence. Se revêtant de la haire à même la peau, il se couvre de cendres, prie et jeûne pendant trois jours. Il convertit ainsi le village de Levroux, en Berri, dont les habitants se sont enrichis par des pratiques occultes maléfiques. Au bout des trois jours, des anges lui ordonnent de retourner à ce lieu d'abomination. Les habitants y sont comme paralysés. Martin détruit leur temple et les idoles. Revenus de leur engourdissement, les païens reconnaissent dans ces événements un signe du Ciel et deviennent chrétiens. » (C'est moi qui souligne.)
Une autre vie du saint écrite beaucoup plus tard, au XIIIème siècle, par un certain Péan Gatineau, ajoute que Martin allait chaque année en pélerinage à Grabatot ou Gabatum et qu'il y avait guéri un lépreux, ce pourquoi la ville serait devenue Levroux.
Les étymologistes ne s'attardent guère sur l'étymologie de Grabatot, « nom inventé pour donner à Levroux une origine plus ancienne que celle proposée par Sulpice Sévère » (rapporté par S. Gendron). Il est pourtant intéressant de rapprocher ce nom de celui de grabat, qui « est un emprunt (1190), d'abord sous la forme grabatum (1050), variante du latin grabatus « mauvais lit », du grec krabbatos, « petit lit bas », qui n'est pas un mot hellénique, mais un emprunt occidental, sans doute macédo-illyrien. » (Dictionnaire Historique de la Langue Française, Robert, p.906.) Il faut noter aussi que le dérivé grabataire désigne à l'origine un « sectaire qui n'accepte le baptême que sur son lit de mort. ». Nous restons bien ici dans la thématique du déni de religion, de la bassesse afférente qui se traduit symboliquement par la position basse et la mauvaiseté du lit. Le grabataire, le lépreux sont figures du pécheur que le saint homme amène à la rédemption. Le salut de l'homme, aux yeux des clercs, passe d'abord par sa victoire sur le paganisme, véritable lèpre de l'âme.
Maintenant, si l'on joint Levroux à Neuvy Saint-Sépulchre, on traverse Châteauroux, puis la forêt du même nom, et si l'on poursuit au-delà de l'omphalos, on tombe à proximité de Mortroux, près de La Forêt-du-Temple. Que nous disent tous ces toponymes en -roux ? Le roux ne symbolise-t-il pas « le feu impur, qui brûle sous la terre, le feu de l'Enfer, c'est une couleur chthonienne. » (Dictionnaire des Symboles, art. Roux, p. 833.)
29 mars 2006 | Lien permanent | Commentaires (3)
L'Homme sauvage
Revenons à Levroux. Et examinons un peu ce que Philippe Walter, dans Mythologie chrétienne (Imago, 2005), écrit sur saint Sylvestre. Il ne mentionne pas saint Sylvain, mais ce qu'il dit de l'un peut aisément s'appliquer à l'autre, puisqu'il souligne le fait que « le nom de Sylvestre a pour étymologie le latin silva « la forêt » et que ce nom est à rapprocher de la grande figure de l'Homme sauvage, personnage clé de la mythologie préchrétienne, figure archétypique du revenant pour les traditions médiévales. » (p. 65.) Homme velu, mi-bestial, mi-humain, souvent porteur d'une massue ou d'un tronc d'arbre, il apparaît par exemple dans les romans de Chrétien de Troyes, au XIIème siècle. Ainsi, dans Yvain ou le Chevalier au Lion :
« Il avait la tête plus grosse qu'un roncin ou qu'une autre bête, les cheveux ébouriffés et le front pelé, large de presque deux empans, les oreilles velues et grandes comme celles d'un éléphant, les sourcils énormes, la face plate, des yeux de chouette, un nez de chat, une bouche fendue comme celle du loup, des dents de sanglier, acérées et rousses, une barbe rousse, des moustaches entortillées, le menton accolé à la poitrine, l'échine voûtée et bossue. Appuyé sur sa massue, il portait un habit bien étrange sans lin ni laine mais, à son cou, étaient attachées deux peaux fraîchement écorchées de deux taureaux ou de deux boeufs. »
Qu'on ne s'y trompe pas : ce rustre est en réalité un devin qui met Yvain sur le chemin de la merveilleuse fontaine de Barenton. Il a pouvoir sur les taureaux furieux qu'il maîtrise en les tenant simplement par les cornes. Tout ceci autorise Ph. Walter à écrire que « Le Sauvage est la forme « folklorisée » d'une ancienne divinité celtique qui survit au Moyen Age à travers plusieurs saints comme Blaise ou Martin et la figure de l'enchanteur Merlin. Si l'on examine en détail la vie légendaire de saint Martin, on s'aperçoit qu'elle pourrait bien recouvrir d'un manteau chrétien une vieille figure celtique dont le nom pourrait s'apparenter à celui de l'enchanteur Merlin. La proximité phonétique des deux noms justifie déjà un rapprochement qui trouvera une confirmation dans l'étude de certains motifs empruntés aux documents hagiographiques médiévaux. » (p. 51.)
Sylvestre, Sylvain, Martin seraient en somme des avatars de cet Homme sauvage, figure dérivée d'une divinité celtique, que j'ai proposé ailleurs d'identifier à Sucellus, le dieu au maillet. Levroux condense dans son légendaire ses différentes appellations, mais la cité va plus loin encore car elle nous en présente aussi une véritable figuration plastique, sur la très belle maison de bois de la place Victor Hugo, datée entre 1470 et 1500, nommée « maison Saint-Jacques » dans le grand terrier du chapitre de 1572-1576 : « Les trois faces du « chapiteau » du poteau cornier sont décorées d'un personnage accroupi, appuyant ses mains sur sa tête, d'un bouffon portant la marotte sur ses épaules et d'un homme sauvage tenant une massue, qui rappellent des thèmes décoratifs chers à la sculpture berrichonne de la fin du Moyen Age et du début de la Renaissance. » (Histoire et archéologie du pays de Levroux, coll., p. 71-72.)
04 mai 2006 | Lien permanent | Commentaires (4)
Des Abymes au Paradis
Quand ce beau Printemps je voy
J'apperçoy
Rajeunir la terre et l'onde
Et me semble que le jour,
Et l'amour,
Comme enfans naissent au monde.
Ronsard
(Chanson en faveur de Mademoiselle de Limeuil)
Le frais minois du printemps a beau se présenter, nous ne pouvons que le laisser filer. Il nous reste en effet tout un quadrant zodiacal à parcourir qui n'est autre que l'espace des trois signes hivernaux, Capricorne, Verseau et Poissons. Sans doute en ai-je ça et là annoncé la couleur, défriché quelques arpents, mais l'essentiel de la tâche reste à accomplir. Allons-y gaillardement.
Il faut repartir de Laurian, ce saint céphalophore dont le chef fut reconduit, dit-on, à Séville. Le corps acéphale de Laurian aurait été longtemps conservé dans une chapelle proche de Vatan, aujourd'hui détruite, mais la paroisse où elle se situait se nomme encore La Chapelle Saint-Laurian. Or, un alignement issu de Vatan et passant par ce village nous livre des indices confirmant le rôle polaire dévolu à la cité de Clair et de Sulpice. Il va se ficher en effet au centre de la ville de pélerinage de Levroux, en traversant les plates étendues de la Champagne sur une vingtaine de kilomètres ; ici, les hameaux sont moins nombreux qu'en Boischaut, aussi la ligne ne rencontre-t-elle dans sa course que deux lieux-dits. Mais les noms sont hautement significatifs : le Paradis, les Abymes...
L'axe Vatan-Levroux figure l'Axe du Monde qui fait communiquer le haut et le bas, le céleste et l'infernal, en offrant à chacun l'image de son destin et du choix à effectuer entre l'ascension spirituelle et la chute en enfer. « L'aventure humaine, peuvent écrire Gérard de Champeaux et dom Sébastien Sterckx, se présentait dès lors pour chacun comme une laborieuse remontée du tréfonds de ces abîmes jusqu'au Paradis du Royaume des Cieux où le Père attend ses fils reconciliés. » (Le Monde des Symboles, Zodiaque, p. 445).
27 mars 2006 | Lien permanent
Le dieu d'Orsennes
Revenons à Saint-Ambroix, sur le parallèle de Saint-Genou. Une direction cardinale reste à explorer, qui n'est autre que le méridien du lieu. Suivant grosso modo la limite entre les deux départements berrichons, il passe par la chapelle de Dampierre, Chezal-Benoît, rase St Christophe-en-Boucherie, traverse Champillet (l'autre localité indrienne du même nom, Champillé, est située, rappelons-nous, près de Sougé, au point médian de l'axe Levroux-Saint-Genou), avant d'entrer en Creuse et de croiser le parallèle de Bazelat, vers Malleret-Boussac. .
Ce faisant, c'est une autre figure géométrique d'importance qui s'impose à nos yeux : un quasi-carré (les côtés verticaux (le second est le méridien de Saint-Genou) sont cinq kilomètres plus longs que les côtés horizontaux). Carré qui s'ajoute donc notamment au triangle de saint-Outrille et au cercle de saint Phalier, composant sur la presque totalité du département une silhouette anthropomorphe qui n'est pas sans m'évoquer ce curieux personnage au torque, que Jean-Louis Brunaux (Les Gaulois, sanctuaires et rites, Errance, 1986) désigne comme le dieu d'Orsennes (on peut l'admirer au musée Bertrand à Châteauroux).
La surimpression des deux images est assez éloquente :
L'espace vide entre le carré et le cercle est rempli par le torque. Or, Levroux est au coeur de cet espace, alors même qu'on y a retrouvé une semblable statue, comme le signale cette étude :
"Le Centre de la France possède également une série de bustes sur socle du même type. Un inventaire raisonné en a été récemment dressé (Menez et coll. 2000) à la suite des travaux de G. Coulon (1990) et montre une certaine concentration dans l’ancienne cité des Bituriges avec les découvertes de Pérassay, Orsennes et Levroux dans l’Indre, Châteaumeillant dans le Cher2 (...) la statuette de Levroux gît dans une fosse comblée de matériel de La Tène D1b (100-80 av. J.-C.) et se trouve notamment associée à une ramure de cervidé (Krausz et al., 1989) ; celle de Châteaumeillant participe du comblement supérieur d’un puits attribué aux années 30-20 av. J.-C. et surmonte une « couche » d’andouillers de cervidé (Hugoniot, Gourvest 1961) (...)" [C'est moi qui souligne]
Notons que Perassay, comme Châteaumeillant sont situés à proximité du méridien de Saint-Ambroix.
"À Levroux comme à Châteaumeillant, on relève malgré le décalage dans le temps des abandons que les statues étaient brisées et associées à un ou plusieurs bois de cervidé. Ces points communs pourraient relever de gestes d’offrandes, d’autant que l’on connaît l’importance du cerf dans les religions protohistoriques, notamment dans la sphère sacrificielle (cf. scène du sacrifice des deux cerfs du chariot de Strettweg, pour ne prendre qu’un exemple ancien).
Les bustes à socles de France centrale, de même que ceux du reste de la Gaule, présentent des caractéristiques communes qui visent à souligner deux aspects principalement : les apparences physiques et la détention de marqueurs d’autorité. Les figurations de moustaches, de chevelures complexes avec un bandeau et parfois de lourdes mèches tirées en arrière montrent l’importance accordée à l’aspect du visage ; les costumes ne sont pas en reste puisque plis, manches et encolures de vêtement sont souvent rendus avec précision. D’autres détails, tels les bras ramenés sur le torse, accentuent le hiératisme des attitudes. Mais surtout, des insignes liés à l’exercice de dignités militaires et/ou religieuses sont portés ou brandis ostensiblement : il s’agit très souvent du torque, parfois du poignard ou de l’épée (Paulmy) et de la lyre (Paule)." (José GOMEZ de SOTO et Pierre-Yves MILCENT, La sculpture de l’âge du Fer en France centrale et occidentale)
L'examen des médianes et diagonales du carré va maintenant nous conduire à de nouvelles découvertes. (A suivre)
31 janvier 2008 | Lien permanent
Le Feu de saint Silvain
« Discourez par les sacres bibles: vo' trouverez que de ceulx les prières n'ont iamais esté esconduites, qui ont mediocrité requis. Exemple on petit Zachée, duquel les Musaphiz de S. Ayl près Orleans se ventent avoir le corps & relicques, & le nomment sainct Sylvain. Il soubhaitoit, rien plus, veoir nostre benoist Servateur au tour de Hierusalem. C'estoit chose mediocre & exposée à un chascun. Mais il estoit trop petit, & parmy le peuple ne pouvoit. Il trepigne, il trotigne, il s'efforce, il s'escarte, il monte sus un Sycomore. Le tresbon Dieu congneut sa syncère & mediocre affectation. Se praesenta à sa veue: & feut non seulement de luy veu, mais oultre ce feut ouy, visita sa maison, & benist sa famile. »
Rabelais, Quart Livre (Prologue)
Martin n'est pas le seul saint attaché à Levroux, il n'y patronne d'ailleurs aucune église, aucune chapelle, comme si on lui tenait rigueur de son prosélytisme virulent. Plus important pour la cité est saint Silvain, que Sulpice Sévère ne mentionne pas, mais dont un manuscrit daté du VIIIe siècle et conservé à la bibliothèque de Berne, atteste du culte, conjugué à celui de saint Silvestre, dès cette époque. « La charte de fondation du chapitre de 1012 et une autre charte de 1072, précise Jean-Paul Saint-Aubin, donnent saint Silvain comme patron de l'église collégiale et mentionnent que son corps ainsi que ceux de saint Silvestre et d'autres saints y reposent. » (Saint Silvain, in Histoire et archéologie du pays de Levroux (Indre), ouvrage collectif, Levroux, 2003.)
Ce saint Silvain est identifié avec le publicain Zachée de l'Evangile de Luc (comme en témoigne encore Rabelais dans l'extrait placé en exergue). Il est envoyé en Gaule par saint Pierre, en compagnie de saint Silvestre, pour évangéliser le Berry. Mais en chemin, Silvestre meurt. Selon Mgr Villepelet, Silvain le ressuscite immédiatement ; Jean-Paul Saint-Aubin rapporte, lui, qu'il retourne à Rome où saint Pierre lui confie son bâton pastoral avec lequel il ressuscite Silvestre. Ceci rappelle furieusement la légende de saint Martial, qui, de même, ressuscite son compagnon Austriclinien avec le bâton de saint Pierre qu'il est allé rechercher à Rome.
Que ce rapprochement ne soit pas fortuit, nous en avons la preuve avec la Vita prolixior, vie de saint Martial écrite par Adémar de Chabannes vers 1027-1028. Ce moine de Saint-Cybard d'Angoulême et de Saint-Martial de Limoges s'était fait le défenseur acharné de l'apostolicité de saint Martial, premier évêque de Limoges, envoyé selon Grégoire de Tours par le pape au IIIe siècle pour évangéliser cette ville. Il en fit, selon Raphaël Richter, un « contemporain du Christ, présent à la résurrection de Lazare comme à la Cène, ayant reçu comme les autres apôtres l'Esprit saint au jour de la Pentecôte, cousin de saint Pierre et parent du premier martyr, le diacre Etienne. Il s'agissait pour les moines de Saint-Martial de glorifier leur patron, de faire s'accroître la dévotion des fidèles à son égard, afin d'attirer l'argent nécessaire à la construction d'une nouvelle église abbatiale, plus grande, et de contrer la concurrence d'autres saints de cette région, comme saint Front à Périgueux. »
Or le personnage de Zachée apparaît dans la Vita prolixior : « Adémar utilise la légende de l'invention de la sainte Croix par un dénommé Cyriaque ou Judas : celui-ci aurait dévoilé son lieu de conservation à sainte Hélène, mère de l'empereur Constantin. Il l'aurait, d'après cette légende, connu par son père, Simon, fils de Zachée ; Zachée aurait enterré la Croix pour la soustraire aux Juifs. Zachée est ce riche publicain de Jéricho qui apparaît dans l'Evangile de Luc (19, 1-10). Il est mentionné dans la Vita prolixior comme ayant reçu le baptême en même temps que saint Martial et ses parents. Cette légende fait en outre de Zachée un parent du premier martyr, le diacre Etienne ; or la Vita prolixior affirmant à trois reprises que Martial et Etienne étaient liés par le sang, cette légende de l'invention de la Croix par Judas-Cyriaque sert à Adémar pour suggérer que Zachée est peut-être un parent de Martial, ce qui expliquerait pourquoi il est mentionné dans la Vita. »
Cette invention se retrouve dans certaines traditions locales, ainsi le port de Vieux-Soulac aurait servi de point de départ au Ier siècle de plusieurs campagnes d'évangélisation de l'Aquitaine par Zachée, son épouse Véronique et Saint Martial.
Collégiale Saint-Silvain (portail)
Mais reprenons le fil de l'histoire berrichonne. Notre Zachée-Silvain et Silvestre arrivent donc à Levroux, où ils convertissent une riche jeune fille, Rodène, fiancée au noble Corusculus. Renonçant au mariage, pour le repousser, Rodène se mutile et se défigure. Silvain la guérit et Corusculus, touché par ce miracle, se convertit à son tour. « Il devient également saint, ajoute Mgr Villepelet, son corps sera transféré plus tard à Déols et honoré sous le nom de saint Courroux (que les hérétiques par dérision appeleront plus tard saint Greluchon. » (Les Saints Berrichons, Tardy, p. 141.)
Après sa mort, saint Silvain est l'objet d'un culte fervent et l'on vient de loin pour se faire guérir, d'une boiterie, de la lèpre ou surtout de cette maladie précisément appelée le « feu de Saint-Silvain ». Dit encore « feu d'enfer » (nous ne quittons pas le registre infernal qui nous a conduits à Levroux), il désignait une sorte d'érysipèle. « Ceux qui en étaient atteints, écrit Mgr Villepelet, étaient reçus par les chanoines de Levroux, dans un hôpital spécial, appelé le Porche, où ils étaient gardés pendant neuf jours. »
Le même auteur signale qu'aujourd'hui seule la tête de saint Silvain est conservée à Levroux, les autres ossements ayant été transportés au XVIème siècle dans une chapelle proche de La Celle-Bruère, dans le Cher. Cette tête est vénérée le cinquième dimanche après Pâques, qui s'appelle pour cette raison la fête du chef (Rappelons que saint Laurian et saint Clair, saints sans chef, sont fêtés à Vatan le quatrième dimanche après Pâques).
Notons enfin que le Chapitre de chanoines de l'église de Saint-Silvain fut fondé le 6 mai 1013, par Eudes de Déols, dit Eudes l'Ancien, en présence de l'archevêque Dagbert et des principaux nobles du voisinage, Dreux de Buzançais, Gilbert de Brenne, Béraud de Dun, Adelard de Châteaumeillant, Hubert de Barzelle (Hubert, Le Bas-Berry, p.53.) Or, Eudes l'Ancien n'est autre que l'un des fondateurs de la rotonde de Neuvy Saint-Sépulchre.
01 avril 2006 | Lien permanent
Amalthée et la corne d'abondance
Levroux, que je pensais à l'origine circonscrire en deux ou trois notes, n'en finit pas de provoquer de nouvelles recherches, de susciter de nouvelles pistes. C'est comme un puits sans fond, vertigineux, où se répercutent les échos de plusieurs millénaires d'histoires et de légendes. C'est, du même coup, un échantillon très représentatif du travail lent et patient de tissage de la géographie sacrée. Du néolithique à la Renaissance, se rejouent les mêmes mythes sous d'autres formes, d'autres dénominations, traversant de nouveaux dogmes, s'infusant dans le christianisme et laissant sourdre de nos jours leur parfum souverain.
Ma conviction est que nous voyons ici à l'oeuvre le processus d'acculturation progressive de différents systèmes symboliques. Du couple Sucellus-Nantosuelta, articulé très certainement autour d'une source guérisseuse, l'on passe au couple Saint Silvain -Sainte Rodène qui va faire de la cité un rendez-vous important de pélerinage, et un enjeu politique et économique opposant les princes de Déols, liés au duché d'Aquitaine, aux Capétiens soucieux d'étendre leurs territoires (Philippe Auguste assiège Levroux en 1188). De la géographie sacrée celtique, biturige, dont on a vu qu'elle semblait surtout s'ordonner par rapport aux cours d'eau, toujours divinisés, on passe à une géographie sacrée fondée sur un modèle grec, géométrisé, où l'espace est partitionné en douze secteurs angulaires homologues aux douze signes du zodiaque céleste. Cette transition entre les deux systèmes a dû se faire très progressivement, en intégrant si possible les symbolismes originels. Le choix, par les seigneurs déolois, de Neuvy Saint-Sépulchre, cité qui ne devait au départ son importance qu'à sa position de gué sur la Bouzanne, répondait au souci de trouver un point central autour duquel se distribuerait avec harmonie les sites sacrés dejà existants. A cet égard, on ne peut qu'être frappé par la coïncidence entre les caractères attribués au couple Sucellus-Nantosuelta et ceux traditionnellement dévolus au Capricorne : la nature double, sidérale et chthonienne, des divinités celtiques renvoie à la dualité du signe représenté par un animal composite à tête de chèvre et queue de poisson. Animal parfois identifié à Amalthée, la chèvre qui allaita Zeus, lorsque celui-ci fut recueilli par les nymphes du mont Ida, après avoir échappé à la dévoration de son père Cronos. La corne d'abondance dont est souvent pourvu la parèdre de Sucellus se retrouve dans la légende d'Amalthée, dont l'une des cornes, cassée par le vigoureux et divin nourrisson, fut offerte aux nymphes attristées, avec promesse qu'elle se remplirait de tout ce qu'elles désireraient.
Le mont Olympe, demeure des Dieux, se situe dans le Capricorne du zodiaque centré sur Delphes. L'équivalent chrétien en est bien entendu le Paradis, que l'on a repéré sur l'axe Vatan-Levroux, couplé avec les Abymes, mais que l'on retrouve aussi au nord de Neuvy, sous la forme d'un hameau, à moins de deux kilomètres de la basilique. Le signe du Capricorne est aux origines mêmes de l'oracle delphique, puisque d'après la tradition rapportée par Pausanias (IX, 30), c'est de Tempé, placé sur le méridien de Delphes, que le culte d'Apollon fut amené en cette ville. Un texte de Diodore de Sicile demande, selon Jean Richer, à être interprété allégoriquement : « Ce sont des chèvres qui, dans les temps anciens, ont découvert l'oracle, et c'est pour cette raison que, de nos jours encore, les Delphiens sacrifient de préférence des chèvres avant la consultation...(Géographie sacrée du monde grec, op. cit. p. 46) ».
Le zodiaque neuvicien respecte cette tradition posant le Capricorne comme fondateur du système : Déols se trouve effectivement dans cette zone, qui plus est sur le méridien d'Arthon, dont nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer le symbolisme polaire dans le cadre de la géographie sacrée biturige.
24 mai 2006 | Lien permanent | Commentaires (1)