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Toulx Sainte-Croix

« De mon lit je n'apercevais que la veilleuse énorme de l'hôtel battant dans la rue comme un coeur ; sur l'une des artères était écrit le mot : central, sur une autre le mot : froid, froid de lion, froid de canard ou froid de bébé? Mais le camée Léon frappait de nouveau à ma porte. De son gilet aux vibrations déterminées jusqu’à la racine de ses moustaches le soleil achevait de décharger ses rondins.» (André Breton, Poisson soluble) Oublions les vents, les rivages, ces grands escogriffes de pins atlantiques, ce fou de Bassan emprisonné dans la ligne plombée d'un pêcheur du malheur, le sable et la traîtrise des baïnes, le sourire des enfants et la splendeur des nuages, et arpentons à nouveau nos terres intérieures sous l'égide d'un signe nouveau : Lion solaire et flamboyant dont l'étude du secteur zodiacal correspondant va se fonder essentiellement sur le village creusois de Toulx Sainte-Croix. Du haut de ses 655 mètres, Toulx domine toutes les régions avoisinantes. Du sommet de la tour construite au siècle dernier par l'abbé Aguillaume, on contemplerait jusqu 'au Sancy et au Puy-de-Dôme. Je n'ai pas vérifié mais le panorama est vaste, pas étonnant si les Celtes en ont fait tôt un de leurs oppida. Le nom même viendrait du bas-latin tullum, lui-même emprunté au gaulois tullos, hauteur. Un dernier terme qui n'est pas sans évoquer la Thulé hyperboréenne, la ville mythique où séjournèrent Apollon et Persée ; et nous pourrions mettre au compte de Toulx cette remarque de Guy-René Doumayrou sur la capitale occitane: « Le nom, enfin, de Toulouse, qui n'a jamais changé, évoque de façon suggestive le grec thòlos, qui désignait, dans les temps primitifs, la touffe végétale coiffant et liant le sommet des huttes rondes en branchage. Par la suite, le sens s'en est étendu à la coupole hémisphérique en pierres sèches, et enfin, plus particulièrement, à la voûte des fours et étuves. De la coupole construite à la voûte céleste, l'analogie va de soi : centre et sommet, la ligature de la thòlos est bien le lien et le lieu privilégié, récepteur et répartiteur des influx cosmiques, le Trône du Jugement, l'étoile polaire gouvernante (en grec : thémis), de l'ourse (en grec : arctos) : ARTEMIS l'Immuable (du grec : artémès) : La treizième revient... c'est encore la première ; Et c'est toujours la seule, - ou c'est le seul moment... (Nerval, les Chimères : Artémis). » (Géographie Sidérale, p.65)

Il se pourrait bien que Toulx ait été de bonne heure un sanctuaire important du peuple gaulois des Lémovices qui occupait approximativement le Limousin actuel. On a pu déjà noter que la plupart des sanctuaires celtiques sont situés soit au centre soit sur les limites de la civitas, or Toulx est situé sur la frontière avec les Bituriges. Ce n'est que vers l'an 1000 que le village basculera dans l'escarcelle des princes de Déols, et si ce pays limousin de Boussac est dès lors rattaché à la province du Berry, il dépendra toujours du diocèse de Limoges : « exemple caractéristique de l'enchevêtrement des divisions administratives de la France d'Ancien Régime », écrit André Guy, auteur d'un opuscule sur le village. Que dire maintenant du qualificatif de Sainte-Croix ? Gilles Rossignol y voit une invitation à deux hypothèses : « (...)ou bien le plan primitif [de l'église] aura été inspiré de l'église du Saint-Sépulchre, à Jérusalem (comme à Neuvy Saint-Sépulchre dans l'Indre) ou bien on aura rapporté à Toulx une réplique du « vray boys », le bois de la Vraie Croix. » A vrai dire, aucune des deux propositions ne tient la route, d'une part parce que le vocable de Sainte-Croix n'a été ajouté que postérieurement à la fondation de l'église (dédiée en 1158 à Saint Martial, ce qui n'est pas anodin, nous y reviendrons); d'autre part parce que si relique de la vraie croix il y avait eu, il serait étonnant que la mémoire collective n'en ait pas gardé le souvenir d'une manière ou d'une autre. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé pour Neuvy qui s'honore toujours de deux gouttes du sang du Christ (que l'on doit à l'obligeance du cardinal Eudes de Châteauroux, légat du pape à la VIIème croisade, qui les fit acheminer en 1257). Faut-il absolument rechercher une cause matérielle, tangible à l'appellation Sainte-Croix ? Ne porterait-elle pas une symbolique lisible seulement dans le paysage et les relations du lieu avec ses alentours ? Pour Henri de Lubac, la croix érigée sur une montagne, au centre du monde, reproduit totalement l'antique image de l'arbre cosmique, en tant qu'Axe du Monde joignant le pôle terrestre au pôle céleste. Or, le méridien de Toulx est le vecteur éloquent d'une telle symbolique : balisé par Boussac ( dont le château abrita longtemps les tapisseries de la Dame à la Licorne ), il désigne le village de Primelles, dans le Cher, situé au coeur de la forêt domaniale de Thoux... Ici, selon Mgr Jean Villepelet (Les Saints Berrichons, Tardy, 1963, p.169), aurait séjourné assez longtemps saint Firmin, évêque d'Amiens, tandis qu'il se rendait à Rome au tombeau des Apôtres. Séjour significatif : Amiens se situe pratiquement sur ce même méridien. Et l'on ne sera guère étonné d'apprendre que l'un des deux Firmin honorés par l'église d'Amiens aurait été converti par saint Saturnin de Toulouse, dont le nom ne se retrouve que dans une seule paroisse du Cher, elle aussi traversée par l'axe polaire.
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Tournons-nous maintenant vers l'église du village.

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26 juillet 2005 | Lien permanent

Sta cerva

La société druidique était fondée sur la primauté du spirituel sur le temporel. Les rois, choisis par les druides parmi la classe guerrière, avaient double fonction sacerdotale et guerrière. Leur pouvoir était fragile, soumis au contrôle permanent des druides. La conquête romaine a bousculé ce schéma déjà en décadence, il est vrai, à cette époque : des oligarchies de nobles gaulois ayant remplacé les rois un peu partout. La société romaine voit a contrario le temporel dominer le spirituel, les flamines n'ayant aucun pouvoir politique réel. L'introduction de cette structure ne pouvait que contribuer à défaire l'emprise des druides sur la société gauloise en les privant de leurs plus hautes fonctions : religion, guerre, justice. Ne restaient guère que la poésie, la magie, la divination et l'enseignement. Pomponius Mela nous apprend, par exemple, que les druides, vers la fin du premier siècle de notre ère, retirés dans les forêts, instruisaient en cachette les enfants des nobles. Les édits de Claude et de Tibère assimilant les druides aux mathematici orientaux, sages, magiciens, tenants de sectes orientales ou secrètes qui pullulaient à Rome, ont certainement accéléré leur disparition, bien que nous ne sachions pas s'il y eut une répression violente du druidisme en Gaule.

Disparition qui ne fut peut-être qu' apparente... Comment concevoir que ces « très savants » (c'est là l'étymologie de « druides ») n'aient pas réfléchi en profondeur sur leur situation et l'avenir de la tradition qu'ils représentaient ? Comment croire que des gens développant une vision cyclique du temps basée sur l'observation du ciel et des astres n'aient pas senti que l'âge sacerdotal était révolu et qu'un nouveau rôle, plus effacé mais non moins primordial, leur était dévolu ? Leur devoir, leur mission, leur but unique en cet âge sombre n'étaient-ils pas de préserver la tradition (du latin tradere, transmettre) et assurer la pérennité du mythe ? Si la disparition des druides n'a pas laissé de traces historiques, ce n'est pas sans doute pas à cause d'une déliquescence de la caste, c'est peut-être bien plutôt la résultante d'un repli volontaire, d'une retraite consciemment choisie.

Le druidisme possédait son réseau de centres sacrés dépassant les partitions territoriales, les frontières entre civitas. César lui-même rapporte que les druides se rendaient en Bretagne (l'actuelle Grande-Bretagne) pour compléter leur initiation. L'héritage celtique a dû trouver dans l'insularité un abri relativement sûr, une base solide en attente de jours meilleurs et d'une époque plus favorable.

La survenue du christianisme en pays gaulois ne doit pas être considérée comme le coup ultime porté au druidisme, consacrant sa mort définitive. Sous bien des aspects la nouvelle religion était plus proche de la doctrine des druides que du polythéisme romain :

Françoise Le Roux et Ch. J. Guyonvarc'h :

« [...] sur deux points importants au moins, il n'existait pas d'antagonisme :

  • la tendance de la religion celtique au monothéisme

  • la réhabilitation par le christianisme du travail manuel n'était pas nécessaire dans un pays où les artisans (aes dâna, « gens d'art ») étaient déjà estimés et honorés. » (La Civilisation Celtique, Ogam-Celticum, 1986, p. 140.)

Ne peut-on maintenant concevoir qu'à l'instar de ce qui se passa en Irlande, une conversion faite par le haut ne se produisit en Gaule ? Les dépositaires de la tradition druidique n'auraient-ils pas profité de la formidable embellie chrétienne pour reconquérir une partie de leur influence politique à travers des formes nouvelles mais non radicalement différentes ? L'occasion n'était-elle pas belle de restaurer avec le dogme évangélique la primauté du spirituel sur le temporel ? Le vrai conflit ne se pose-t-il pas en ces termes, plutôt qu'entre le paganisme et le christianisme ?

Ce ne sont là que des hypothèses dont le bien ou le mal-fondé ne sera sans doute jamais formellement établi. Qu'il me soit tout de même permis de présenter au moins un indice allant, me semble-t-il, dans le sens des propositions avancées, sous l'espèce d'une courte histoire qui prend pleinement sens à la lueur de la géographie sacrée biturige dévoilée ici :

C'est l'histoire de saint Août, évêque de Bourges au IXème siècle. Le Patriarchium Bituricense (B.N., 66) rapporte à son sujet une « curieuse et gracieuse légende », dixit Mgr Jean Villepelet, relative à sa jeunesse et à sa vocation : « Après avoir entendu la lecture de l'Evangile : « Si quelqu'un veut tenir après moi, qu'il se renonce et qu'il me suive », Août se retira dans une solitude profonde. Un messager, chargé de lui annoncer son élection au siège de Bourges, le chercha longtemps dans la forêt, et arriva près de lui exténué. Août qui n'avait rien pour le réconforter, ordonna à une biche de s'arrêter « Sta cerva ! » et d'allaiter le voyageur. Telle serait l'origine de Sacierge (Sagergia) ou Sassierges-Saint-Germain, c. d'Ardentes, arr. de Châteauroux (Indre) » (Les Saints Berrichons, Tardy, p. 82.)

 

 

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Eglise de Sassierges Saint-Germain (12/13ème)

Saint Août fut inhumé, pense-t-on, dans l'église paroissiale qui porte aujourd'hui son nom. Le village, comme celui de Sassierges, se situe en lisière de la grande forêt de Bommiers qu'il faut traverser pour se rendre précisément à Bourges (le cours de l'Arnon marque par ailleurs sa limite septentrionale). La forêt, sanctuaire druidique bien sûr, mais le plus remarquable est que, dans le prolongement très exact de l'axe Saint-Août – cathédrale de Bourges, on retrouve Cluis et Neuvy Saint-Sépulchre.

C'est cet axe véritablement fondateur, axe Cluis-Neuvy-Bourges, que nous allons maintenant examiner en détail.

 

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Le purgatoire ne fait plus recette
(Photo prise à Sassierges)


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29 décembre 2005 | Lien permanent

Vita Martini (4) : De Mars Condatis à sainte Gemme

La mort d'un saint n'est jamais anodine. Le lieu, la date, les circonstances portent un enseignement. Que le jour de cette mort soit devenu chaque fois jour de fête doit nous avertir sur le sens profond de la fête, dont nous avons à peu près perdu aujourd'hui la valeur sacrificielle qui s'y attachait. La mort de Martin ne déroge pas à l'usage. Examinons-la en détail.

Tout d'abord, elle n'a pas lieu à Tours, siège de son évêché, mais à Candes, une petite ville située, comme son nom étymologiquement l'indique (gaulois condate, confluent), à la rencontre des eaux de la Loire et de la Vienne. D'emblée, nous retrouvons la symbolique des flux mêlés qui s'est imposée dès le début de l'étude de Verseau. Les confluents sont toujours des lieux particulièrement sacrés dans toutes les mythologies, et une étude de la Société de Mythologie Française montre que "Le mot condate semble avoir gardé une charge religieuse spécifique et la proportion élevée de patronages dévolus à saint Martin pourrait être un indice de la christianisation du Mars celtique appelé parfois Condatis".

 

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Fronton du porche de l'église de Candes Saint-Martin


La raison officielle de la venue de Martin  à Candes est toutefois l'apaisement d' une querelle entre les clercs de l'endroit. Le devoir accompli, ses forces l'abandonnent et il est reçu le 8 novembre 397 "dans le sein d'Abraham". Le corps du saint va alors être l'objet d'une âpre lutte entre Tourangeaux et Poitevins  de Ligugé, accourus dès la rumeur de trépas prochain,  qui tous le revendiquent. Les Tourangeaux sont les plus malins car ils réussissent, selon les dires de Grégoire de Tours (Sulpice Sévère ne souffle mot du larcin), à escamoter nuitamment la sainte dépouille par une fenêtre et à la transporter jusqu'à Tours en remontant la Loire. Les obsèques  ont lieu le 11 novembre, jour  donc de la Saint-Martin.

"Selon la légende, est-il dit sur le site de saintmartindetours.eu, les Tourangeaux embarquèrent la dépouille du saint évêque dans la lumière et les chants ; tout au long de la remontée de la Loire du bateau funéraire, et plus particulièrement au lieu dit "le Port d'Ablevois" (Alba via - la voie blanche) à la Chapelle Blanche (Capella alba), aujourd'hui appelée La Chapelle-sur-Loire, les buissons des rives se couvrirent de fleurs blanches. C'est de là que vient l'expression "l'Été de la Saint Martin"."

Une semblable translation par voie fluviale a eu lieu, on le sait,  pour saint Genou, dont le corps fut  transporté de Palluau à Saint-Genou en suivant le cours de l'Indre (très court trajet d'ailleurs, dont on voit mal la nécessité matérielle, mais c'est le symbole qui importe bien sûr).


Mgr Villepelet place la fête de saint Genou au 20 juin (d'autres sources la placent au 17 janvier, comme celle de saint Sulpice). D'autres saints  sont fêtés bien sûr ce jour-là. Parmi eux, une certaine sainte Gemme, martyre en 109, jeune lusitanienne d'une grande beauté  ayant fui en Aquitaine la vindicte de son père, lequel voulait lui faire abjurer sa foi chrétienne.


Comme par hasard, le village de Sainte-Gemme (la commune s'honore aussi d'un dolmen dit de la Pierre-Saint-Martin) se place  exactement sur le méridien sud de Saint-Genou.

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27 juin 2007 | Lien permanent | Commentaires (5)

Silvain et Sucellus

« La rencontre phonétique de Silvain et Silvestre suggère également des dédicaces au dieu latin Silvanus (Silvano Silvestris Sacrum) comme des épithètes que l'on peut rapporter au dieu Mars et renvoie à la tradition d'une construction de la première église de Levroux sur les ruines d'un édifice romain. »

(Jean-Paul Saint-Aubin, Saint Silvain)


Selon Joël Schmidt, Silvain n'avait pas l'honneur d'un culte officiel dans la Rome antique, mais il était très populaire dans les campagnes, où fruits et jeunes animaux d'étable lui étaient offerts. Divinité associée aux bocages, aux vergers et aux petits bois, adoré tout d'abord sous la forme d'un arbre avant de prendre apparence humaine et d'être assimilé à Pan ou à Faunus, il est ordinairement représenté sous la forme d'un joyeux vieillard, couronné de lierre, et une serpe à la main : « Son caractère malicieux, enclin à la taquinerie, le faisait craindre des voyageurs qui traversaient les bois, et les parents menaçaient leurs enfants du courroux de Silvain lorsqu'ils cassaient les branches d'arbres. » (Dictionnaire de la Mythologie Grecque et Romaine, Larousse, 1998, p. 192.)

 


 
Tiens, ce courroux nous rappelle incidemment le nom du fiancé déchu de Rodène... Ceci dit, Silvain est un dieu romain, et il ne se présente pas tel quel sur le territoire gaulois. Paul-Marie Duval le montre cependant associé au dieu celtique Sucellus, le dieu au maillet, mais seulement en Narbonnaise : « Sucellus prend dans le Midi l'allure de Silvain et ne garde que ses attributs, maillet et vase, avec son chien : toujours barbu, il se dénude et porte seulement un court manteau ou une peau de loup jetée sur les épaules ; sa tête se couronne de feuillage, un arbre pousse auprès de lui, des fruits chargent ses bras. Il arrive que les deux types se mêlent et que le dieu vêtu à la gauloise soit couronné de feuilles ou tienne une serpe, une flûte de Pan, un couteau de chasse ; inversement, les autels dédiés Silvano se couvrent de maillets. La pénétration est ici tout à fait réciproque. » (Les dieux de la Gaule, Payot, 1976, p.78.)

 

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Sucellus lui-même est surtout honoré dans le bassin du Rhône et de la Saône. Ses représentations les plus occidentales sont celles de Lailly-en-Val et de Bourges. J'ai d'ailleurs déjà eu l'occasion de l'évoquer à propos de la géographie sacrée de la vallée de l'Arnon, où j'ai cité les travaux d'Anne Lombard-Jourdan qui l'assimile à Cernunnos, le dieu-cerf, envisagé comme le dieu-père celtique, le Dis Pater dont parle Jules César dans la Guerre des Gaules.

Le préhistorien Jean-Jacques Hatt, écrit lui aussi, en conclusion de son analyse, que « Silvain-Sucellus-Dispater est l'un des dieux les plus importants du panthéon celtique et gallo-romain. Il a participé à la formation de ce dernier, comme à son évolution. Divinité plurivalente, simultanément sidéral et chtonien, il est, comme le Mars indigène, antérieur à l'introduction du système tripartite des grands dieux celtiques. (...) Ses racines archaïques le rapprochent des traditions irlandaises, correspondant elles-mêmes en grande partie à un état religieux plus ancien que le Ve siècle avant J.C. » 1

Il importe maintenant de développer ce « simultanément sidéral et chtonien ».

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1Ce texte fait partie d'un document précieux mis en ligne par les héritiers de Jean-Jacques Hatt. Décédé en 1997, il « n'a pas pu terminer le deuxième tome de " Mythes et dieux de la Gaule"; suite du tome I publié chez Picard en 1989. Son épouse et ses enfants ont trié et rassemblé le texte et les photographies, réalisé la saisie informatique du manuscrit. Son petit fils Ambroise Lassalle, conservateur territorial du patrimoine, a numérisé les illustrations disponibles à partir d'un stock imposant de photographies souvent non légendées. Bernadette Schnitzler, conservateur en chef du Musée Archéologique de Strasbourg, a relu et effectué la mise en forme de l'ensemble du texte après saisie, mis au point une maquette éditoriale et réalisé une sélection de documents d'illustration, parmi les documents disponibles. Thierry Hatt a assemblé les chapitres et les images en fichiers Adobe Acrobat et a installé ces derniers sur le site Internet dédié. Cette publication a été mise en ligne en septembre 2005. » (Avertissement de la famille.) 



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09 avril 2006 | Lien permanent | Commentaires (5)

De Sucellus à saint Roch

Hypothèse : à Levroux, le culte païen marqué par un templum opulentissum et éradiqué par saint Martin ou saint Silvain, était rendu à Sucellus, le dieu celtique au maillet. Divinité que J.J. Hatt définit comme simultanément sidérale et chthonienne.

Sidérale : son alliance, voire sa fusion, avec Taranis, le Jupiter gaulois, « nous est prouvée de façon formelle, par un certain nombre d'images figurant sur des monnaies gauloises des IIIe et IIe siècles avant J.C. Sur une monnaie attribuée aux Unelli, le maillet de Sucellus apparaît, lancé au bout d'un ruban ondulé, par le conducteur d'un cheval. Ce dernier domine lui-même un chaudron, qui est, comme nous le verrons, un attribut probable de Sucellus. Cette image exprime, au revers d'une médaille dont l'avers porte une tête humaine stylisée, assimilable à celle de Taranis, le lancer de la foudre par un auxiliaire du dieu sur la terre, afin d'en obtenir des effets bénéfiques, notamment par le jaillissement des sources, conséquence directe de la pluie fertilisante. » (Mythes et Dieux de la Gaule, II, p. 13.) Plus largement, J.J. Hatt montre que c'est aussi avec une divinité préceltique, le Mars indigène, que Sucellus s'est confondu ; et à la question de savoir sur quel domaine a eu lieu la rencontre, il écrit que c'est « vraisemblablement par l'intermédiaire du culte des sources, qui, comme l'a bien prouvé E. Thévenot, est une des attributions majeures du dieu indigène. »

Ceci confirme bien entendu le rôle central des sources dans le système cultuel de Levroux : Hatt précise encore un peu plus loin que l'«association ou la fusion de Taranis avec Sucellus-Silvain est tout à fait conforme à ce que nous ont révélé les monnaies gauloises. En réalité, si Jupiter est parfois tout à fait assimilé à Sucellus, il arrive plus souvent que le couple Jupiter-Sucellus-Silvain ou Vulcain complète l'action sidérale venue d'en haut, par une action sur les sources, venue d'en bas. » (op. cit. p. 15.) Des têtes de maillet percées et encochées ont servi d'ex-voto dans les sanctuaires de sources (Bouze, Dijon, Largillière).

 

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Le chien de saint Roch (collégiale Saint-Silvain)

Nous retrouvons là cette communication entre le haut et le bas sur laquelle nous avons inauguré notre investigation levrousaine, en venant de Vatan. Il semble donc bien qu'elle ne date pas du christianisme, mais qu'elle s'origine profondément dans les temps les plus anciens, cette mise en relation des abymes avec le paradis. Le côté infernal de la ville mis en évidence par les légendes de saint Martin et saint silvain apparaît aussi très clairement dans l'assimilation de Sucellus à Sérapis, dieu égyptien assimilé à Hadès, « à partir d'une certaine époque, probablement le début du IIe siècle ». Sur certains bas-reliefs, le maillet est entouré d'un serpent, ce qui exprime la maîtrise des Enfers. Un autre indice est la présence fréquente d'un chien sur les stèles dédiées à Sucellus. « Chez les Triboques, le chien à une seule tête est remplacé par Cerbère, le chien à triple tête gardien des Enfers. Cet animal a une signification chtonienne et funéraire. Je pense qu'il constituait une défense , sur le plan psychologique, contre la crainte inspirée aux fidèles devant la mort, par le mythe du monstre carnassier androphage. Le chien, compagnon fidèle et amical de l'homme, est aussi compagnon du dieu protecteur des morts, il aide le défunt à travers les espaces dangereux, parsemés de périls où règnent les monstres dévorants qui le séparent de son dernier séjour. » (op. cit. p. 21.)

 

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On peut maintenant se demander si le célèbre saint Roch, saint qui fut longtemps le plus populaire de nos campagnes, ne serait pas un avatar de Sucellus. Son bourdon (bâton de pèlerin) qui est son signe le plus distinctif n'est pas sans rappeler la longue hampe du maillet du dieu celtique. Et que dire du chien qui le suit fidèlement et avec qui il est invariablement représenté ? Et l'ange qui l'accompagne ne fait-il pas lui aussi, pour le soigner, jaillir une source ?

Serons-nous surpris de le retrouver sur un tableau, à l'intérieur même de la Collégiale Saint-Silvain ?

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15 avril 2006 | Lien permanent | Commentaires (9)

Vicus Dolensis et Mont-Dol

Déols. Enfin nous y sommes. Déols l'inspiratrice, dite aussi le Bourg-Dieu. Combien de fois déjà ce nom a-t-il hanté ces notes ? N'ai-je pas depuis longtemps affirmé que Déols et Bourges étaient à la source de la geste zodiacale, bouillonnante du feu souterrain de la mythologie celtique ? Pourtant, que sait-on de Déols elle-même ? Pas grand chose, en vérité. Quelques lignes dans le Quid résument l'essentiel : « Anciennement "Vicus Dolensis", cité gallo-romaine administrée au 3ème par le sénateur Léocade, dont le fils, saint Ludre, fut le premier disciple de saint Ursin. Les tombeaux de saint Ludre et de son père devinrent un important lieu de pèlerinage, célèbre dès le 6ème. Au 10ème, Déols était un gros bourg appartenant à une puissante famille féodale dans la mouvance des ducs d'Aquitaine. En 917, Ebbe Le Noble fonda l'abbaye de Saint-Pierre, Saint-Paul et Notre-Dame qu'il donna à des moines de Cluny. L'abbaye, qui était l'une des plus belles et des plus riches du royaume, fut ravagée par les huguenots au cours des guerres de Religion puis sécularisée en 1622 par Henri II de Condé, père du Grand Condé. Engagée dès cette époque, la démolition de l'édifice fut poursuivie jusqu'au milieu 19ème. »

Léocade, Ludre, Ursin, ces personnages cités par Grégoire de Tours ont-ils réellement existé ? Rien n'est moins sûr. Je m'interroge : qu'est-ce qui détermine ce site des bords de l'Indre, qui n'a en apparence, sur le plan strictement géographique, rien d'exceptionnel, à devenir un haut lieu de pélerinage dès le VIème siècle, puis à accueillir l'une des plus formidables abbayes du royaume, fondée sur le modèle de Cluny ?

Si l'on examine l'étymologie, l'incertitude est là aussi de mise : Stéphane Gendron (Les Noms de Lieux de l'Indre, op. cit. p. 9), signale qu'on a proposé le gaulois dol « méandre », « qui convient parfaitement pour Déols, dans une boucle de l'Indre », mais il ajoute aussitôt : « Nous restons cependant méfiant car cette explication ne convient pas pour son principal homonyme, Dolus-le-Sec (Indre-et-Loire, Dolus VIe), loin de tout ruisseau. »

Je reviendrai sur ce fameux Dolus-le-Sec, mais, à ce stade, n'ayant rien à perdre, j'ai songé à un autre Dol : Dol-de-Bretagne que je ne connaissais que de nom. Un petit tour sur le net m'apprend vite que cette petite ville bretonne fut longtemps (jusqu'en 1199) le siège d'un archevêché, en concurrence avec celui de Tours. Le roi des Bretons, Nominoé, y fut sacré en 848. L'évêque de Dol présidait les États en l'absence du duc de Bretagne. Cette prééminence serait redevable au moine gallois saint Samson , l'un des sept saints fondateurs de la Bretagne, qui se serait fixé à Dol au VIe siècle. Son sarcophage est conservé dans la cathédrale de Dol.

Non loin de Dol, on peut visiter le Mont-Dol dont l'histoire est d'une exceptionnelle richesse, comme en témoigne l'exposition qui a semble-t-il lieu actuellement dans l'église même de Mont-Dol.

La tradition attribue à saint Samson la gravure de trois croix pattées sur un pointement granitique à l'est du tertre, sans doute un rocher sacré païen qui fut ainsi christianisé : « Les mêmes croix visibles sur une base de colonne antique réemployée dans l'église, témoignent probablement de la christianisation d'un monument romain à Jupiter, élevé primitivement sur le plateau. »

Notons aussi le légendaire attaché à Gargantua : « Un jour où il se promenait dans la région, une douleur soudaine lui fit retirer sa chaussure qu'il secoua : il en tomba trois cailloux qui sont aujourd'hui le Mont-Dol, le Mont Saint-Michel et le rocher de Tombelaine. Le même géant passait de Normandie en Bretagne en trois pas colossaux, jalonnés par la roche de Carolles, Mont-Dol, le Mont Saint-Michel et Tombelaine. »

Dol ne serait-il pas le premier élément du mot dolmen, élément signifiant "table" ? Marquant ainsi la présence d'une roche tabulaire sacrée ? Mais, me direz-vous, à Déols, aucun dolmen déclaré, existant ou détruit, aucune pierre votive.

Pas si sûr. Je m'en vais vous le montrer tout à l'heure. (A suivre)









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02 juin 2006 | Lien permanent | Commentaires (1)

Le feu secret du Saint-Fleuret

stele-sauzelles-inscription.jpgA l'heure où nous découvrîmes la stèle de Sauzelles, au coeur de l'après-midi, le soleil avait basculé depuis longtemps de l'autre côté de la falaise. Un couple d'habitants du hameau, qui nous avait indiqué le bon chemin, nous avait prévenus : il valait mieux venir de bon matin. J'ai regretté d'avoir oublié la boussole que je m'étais promis d'emmener, mais il était clair que seuls les rayons matutinaux pouvaient illuminer le monument. On a un aperçu de ce que ça doit donner avec une photo d'Hellio et Van Ingen*, deux excellents photographes naturalistes qui hantent la Brenne depuis des décennies. Néanmoins j'aimerais m'en assurer par moi-même et je me suis promis de revenir par ici aux alentours du 1er mai.

Pourquoi le 1er mai ? Tout simplement, rappelons-le, parce que c'est la date où l'on allait autrefois implorer le bon saint Fleuret. Il fallait s'y rendre avant le lever du soleil. Il me faut absolument vérifier si, à cette époque, le monument jouit d'une lumière particulière. A voir donc.

En tout cas, cette attention au soleil levant n'est pas anodine. Pour Anne Lombard-Jourdan, « tout nous porte à croire que les Gaulois adoraient le « soleil croissant », le soleil levant", et elle montre que la fleur de lis des rois de France n'est autre que l'héritière d'un ancien symbole solaire, qu'elle décrit comme « composé d'une croix à branches égales, dont le bras supérieur se divisait pour retomber à droite et à gauche sous forme d'une double courbe (geminae cristae). (...) Il évoquait le soleil à son lever, au moment où il croît. » (Fleur de lis et oriflamme, Presses du CNRS, 1991,  p.87)

 

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Le 1er mai, c'est aussi une date importante dans le festiaire celtique puisque c'est la date de Beltaine, la troisième des quatre grandes fêtes annuelles :

« Beltaine, « feu de Bel » est, au 1er mai, la fête du feu et des maîtres du feu et des éléments atmosphériques, les druides. Fête sacerdotale par excellence, elle indique le début de la saison claire et aussi le commencement de l'activité guerrière. Il n'y a pas d'équivalence continentale attestée mais, dans toute l'Europe, y compris l'ancien domaine celtique, le folklore de mai est immense et varié. C'est surtout celui qui a été le plus difficilement christianisé. » (Françoise Le Roux, Christian-J Guyonvarc'h, La société celtique, Ouest-France, p. 168)

La christianisation, on devine ici qu'elle a passé par l'invention de ce bon saint Fleuret qui a dû prendre la place d'une divinité solaire, peut-être Bélénos ou un avatar de celui-ci. Et de même qu'on allumait à Beltaine deux grands bûchers entre lesquels devait passer le bétail pour les préserver de la maladie, on a attribué au saint "vétérinaire" le pouvoir de protéger les troupeaux. A Estaing, comme à Sauzelles, saint Fleuret est clairement le protecteur des bestiaux. « Le culte, écrit Jean Delmas, attirait certaines années, le jour de la fête, plus de deux cents éleveurs du Nord-Aveyron et du Cantal. » Par la prière à saint Fleuret, les prêtres bénissent encore le pain, la fouace et le sel apportés par ces éleveurs. Le sel, distribué au retour du pélerinage, est sensé protéger et guérir les animaux de la ferme.

Les trois fleurs de lis d'or sur le blason d'Estaing nous apparaissent maintenant comme un indice supplémentaire de la perpétuation sous d'autres formes d'un ancien culte solaire.

 

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* Je ne peux que conseiller leur très beau Terre de Brenne, avec des textes de Maurice Soutif.

 

 

 

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27 mars 2009 | Lien permanent | Commentaires (3)

Le triangle de Pouligny

J'ai donc tracé les lignes reliant les trois églises de Douadic, Pouligny Saint-Pierre et Saint-Génitour du Blanc. J'ai presque cru obtenir un triangle rectangle tel que celui dessiné par les Saint-Phalier, dans le nord du département, mais il s'en fallait en réalité de 10 degrés, un écart trop grand pour être négligé. Voici la figure obtenue :

 

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Cependant, il est possible de faire une série d' observations :

  1. Les distances Douadic – Pouligny et Pouligny – St Génitour sont pratiquement identiques ( à cinq cents mètres près).

  2. L'alignement Douadic – St Génitour atteint dans son prolongement l'église Saint-Etienne, dans la ville haute du Blanc, édifice qui a pris le relais d'une antique église également dénommée Saint-Etienne, qui se situait à l'extrémité de l'actuelle rue saint-Etienne, et dont il ne reste plus aujourd'hui aucun vestige.

  3. Cette ancienne église se situe dans le même prolongement de l'axe venu de Douadic, et sa distance à Pouligny est, à quelques dizaines de mètres près, identique à la distance Pouligny-Douadic.

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On peut également vérifier cet alignement d'églises sur le plan des paroisses avant 1789, reproduit par Lucienne Chaubin (Le Blanc, vingt siècles d'histoire, 1982), lui-même d'après le livre sur Le Blanc écrit par Chantal de la Véronne.

 

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Ceci m'a naturellement conduit à tracer un cercle dont le centre est Pouligny Saint-Pierre, et le rayon la distance Pouligny – Douadic. Or ce cercle s'est immédiatement révélé, sur la carte Michelin 68 qui me sert depuis bien longtemps de terrain de recherche, tangent à un autre cercle mis en évidence en mai 2005, et que j'ai nommé la Roue de Nesmes*.

 

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On voit que Pouligny se situe dans l'exact prolongement de la diagonale du carré inscrit dans la grande roue**. Ces deux figures trouvées indépendamment l'une de l'autre se présentent donc dans une très grande complémentarité. Le carré inscrit dans la roue de Pouligny a un sommet commun avec celui de la roue de Nesmes.

Un autre sommet du carré inscrit se situe à Saint-Marc, lieu-dit de la commune de Douadic qui s'honore d'une chapelle. La diagonale issant de Saint-Marc va se ficher au-delà du carré à Saint-Savin, non sans prendre au passage le mystérieux monument gallo-romain dit le Saint-Fleuret, entre Sauzelles et le château de Rochefort, sur lequel j'aurai à revenir.

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*"Le village de Nesmes, situé dans le prolongement de la Luzeraize, sur les rives de l'Allemette, en aval de Château-Guillaume, ne serait-il pas le souvenir d'un ancien nemeton ?", écrivais-je en 2005. Cette hypothèse est maintenant appuyée par Stéphane Gendron, dont je ne connaissais pas alors les travaux, et qui analyse Nesmes comme issu du gaulois "*nemausos, composé de *nem- "ciel" (dans nemeton "sanctuaire") + suff. -ausos (DOTTIN 1920 : 67 ; DELAMARRE, 2003 : 197-8). Le sens a pu être "sanctuaire". De nombreux coffres funéraires ont été découverts à Nesmes et surtout près de Laluef, rive droite de l'Allemette. Enfin, un paysan découvrit, en 1864, une statuette de type Cernunnos (identification incertaine) "dans une brande près de Bélâbre". Malheureusement cette statuette est perdue (connue par une lithographie) et on ne connaît pas sa provenance exacte." (Les Noms de Lieux de l'Indre, 2004, p. 6)

**J'ai découvert aussi, postérieurement à cet article de 2005, la monographie sur Bélâbre écrite par Maxime-Jules Berry (Royer, 1992, archives d'histoire locale). Elle signale qu'"A la limite des paroisses de Ruffec et de Bélâbre, aux environs du Grand-Tremble, un lieu-dit porte encore le nom de Pilory : c'est là sans doute qu'était installé autrefois le poteau où l'on exposait les coupables condamnés par la justice des seigneurs de Bélâbre, comme s'élevait celui de la justice du Blanc, au point où le chemin de Bélâbre à cette ville rencontrant celui venant de Romefort (vers Bélivier)." Or, c'est à cet endroit que j'ai situé le centre de la Roue de Nesmes. Le pilori portait comme le souvenir du poteau central, de l'axis mundi du sanctuaire.

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09 mars 2009 | Lien permanent | Commentaires (2)

Le dieu d'Orsennes

Revenons à Saint-Ambroix, sur le parallèle de Saint-Genou. Une direction cardinale reste à explorer, qui n'est autre que le méridien du lieu. Suivant grosso modo la limite entre les deux départements berrichons, il passe par la chapelle de Dampierre, Chezal-Benoît, rase  St Christophe-en-Boucherie, traverse Champillet (l'autre localité indrienne du même nom, Champillé,  est située, rappelons-nous, près de Sougé, au point médian de l'axe Levroux-Saint-Genou), avant d'entrer en Creuse et de croiser le parallèle de Bazelat, vers  Malleret-Boussac.  .

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Ce faisant, c'est une autre figure géométrique d'importance qui s'impose à nos yeux : un quasi-carré (les côtés verticaux (le second est le méridien de Saint-Genou) sont cinq kilomètres plus longs que les côtés horizontaux). Carré qui s'ajoute donc notamment au triangle de saint-Outrille et au cercle de saint Phalier, composant sur la presque totalité du département une silhouette anthropomorphe qui n'est pas sans m'évoquer ce curieux personnage au torque, que Jean-Louis Brunaux (Les Gaulois, sanctuaires et rites, Errance, 1986) désigne comme le dieu d'Orsennes (on peut l'admirer au musée Bertrand à Châteauroux).

 

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La surimpression des deux images est assez éloquente :

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L'espace vide entre le carré et le cercle est rempli par le torque. Or, Levroux est au coeur de cet espace, alors même qu'on y a retrouvé une semblable statue, comme le signale cette étude :

"Le Centre de la France possède également une série de bustes sur socle du même type. Un inventaire raisonné en a été récemment dressé (Menez et coll. 2000) à la suite des travaux de G. Coulon (1990) et montre une certaine concentration dans l’ancienne cité des Bituriges avec les découvertes de Pérassay, Orsennes et Levroux dans l’Indre, Châteaumeillant dans le Cher2 (...) la statuette de Levroux gît dans une fosse comblée de matériel de La Tène D1b (100-80 av. J.-C.) et se trouve notamment associée à une ramure de cervidé (Krausz et al., 1989) ; celle de Châteaumeillant participe du comblement supérieur d’un puits attribué aux années 30-20 av. J.-C. et surmonte une « couche » d’andouillers de cervidé (Hugoniot, Gourvest 1961) (...)" [C'est moi qui souligne]

Notons que Perassay, comme Châteaumeillant sont situés à proximité du méridien de Saint-Ambroix.


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En noir, le méridien de Saint-Ambroix

 

"À Levroux comme à Châteaumeillant, on relève malgré le décalage dans le temps des abandons que les statues étaient brisées et associées à un ou plusieurs bois de cervidé. Ces points communs pourraient relever de gestes d’offrandes, d’autant que l’on connaît l’importance du cerf dans les religions protohistoriques, notamment dans la sphère sacrificielle (cf. scène du sacrifice des deux cerfs du chariot de Strettweg, pour ne prendre qu’un exemple ancien).

Les bustes à socles de France centrale, de même que ceux du reste de la Gaule, présentent des caractéristiques communes qui visent à souligner deux aspects principalement : les apparences physiques et la détention de marqueurs d’autorité. Les figurations de moustaches, de chevelures complexes avec un bandeau et parfois de lourdes mèches tirées en arrière montrent l’importance accordée à l’aspect du visage ; les costumes ne sont pas en reste puisque plis, manches et encolures de vêtement sont souvent rendus avec précision. D’autres détails, tels les bras ramenés sur le torse, accentuent le hiératisme des attitudes. Mais surtout, des insignes liés à l’exercice de dignités militaires et/ou religieuses sont portés ou brandis ostensiblement : il s’agit très souvent du torque, parfois du poignard ou de l’épée (Paulmy) et de la lyre (Paule)." (José GOMEZ de SOTO et Pierre-Yves MILCENT,  La sculpture de l’âge du Fer en France centrale et occidentale)


L'examen des médianes et diagonales du carré va maintenant nous conduire à de nouvelles découvertes. (A suivre)

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31 janvier 2008 | Lien permanent

Visite à Jovard

Je suis allé à Jovard. Après un samedi de grisaille, c'était un bonheur que de rouler dans la lumière de la campagne bélâbraise. La chapelle, de belles dimensions, semblait nous attendre paisiblement dans son carroir fleuri. Le ruisseau en contrebas se glissait entre les feuillages, dans la lenteur des prairies piquetées d'or. Et, contrairement à Nesmes et à Saint-Hilaire, le portail était ouvert et nous pûmes à loisir goûter la paix de l'édifice. Un petit historique dans le narthex confirmait les notes que j'avais retrouvées voici quelques jours sur le pélerinage de Jovard, issues de la lecture d'un autre précieux volume du Florilège de l'eau en Berry, de Jean-Louis Desplaces. Selon la légende, les moines du prieuré voisin de l'Epeau, jaloux de la statue de la Vierge à l'Enfant possédée par le prieuré de Jovard, auraient soudoyé un malfaiteur pour qu'il la vole.Le malandrin, surpris en flagrant délit par la colère divine, aurait été foudroyé à la limite des deux prieurés, au lieu-dit le Magnoux. Une source jaillit alors à cet endroit, d'où la statue s'échappa des bras de son ravisseur. Selon une autre tradition, ce serait là que la Vierge se serait arrêtée la troisième fois. En tout état de cause, elle serait retournée seule à la chapelle de Jovard après s'être reposée sept fois. Chacune des haltes est marquée par une croix. Le pélerinage reprend cet itinéraire avec ses sept stations. Mgr Villepelet (cité par J.L. Desplaces): « Parfois, avant le lever du soleil, des pélerins avaient déjà fait leur « voyage », c'est-à-dire leurs visites aux sept croix du chemin de la Bonne Dame. » Il s'agit maintenant de voir ce que peut recouvrer cette légende du vol de la statue. Examinons les sites concernés sur une carte plus précise que celles dont je me suis servi jusqu'ici : la carte IGN au 1/25 000 de Bélâbre (c'est toujours pour moi une plongée merveilleuse que la découverte d'une nouvelle carte : des lieux nouveaux apparaissent comme par enchantement, des noms, des chemins, des accidents du paysage imprévus qui ouvrent un nouvel horizon, de nouvelles pistes d'interprétation). Il n'y a plus trace du prieuré de l'Epeau qui relevait de l'abbaye de Grandmont en Limousin puis de celle de Puychevrier en Berry : un lieu-dit garde le nom. L'alignement avec Jovard passe par un autre minuscule lieu-dit, une seule habitation nommée curieusement Salomon. Or, elle est non seulement équidistante des deux sites mais elle se situe exactement sur l'axe Luzeret-Béthines. Quant au Magnoux, sa position détermine un triangle rectangle Epeau-Magnoux-Jovard.

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Je repense alors au dernier commentaire de LKL sur l'extrait de Ph. Jaccottet :
« Pendant plus de 6000 ans le carré barlong a chanté le sacré sur la surface du monde, bien avant le mètre étalon, de l'Egypte, à la Chine jusqu'a Stonehenge. Depuis que certains "modernes" ont (volontairement) ouvert la colonne du Temple de Salomon et rejeté la coudée, qui se soucie du sens secret de la mesure, de son symbole et de la musique des racines et des nombres? »
Encore une fois, il rencontre de façon prémonitoire l'objet de mon enquête... Salomon est le centre du cercle passant par Jovard, le Magnoux et l'Epeau. Une nouvelle Roue se laisse donc percevoir, dont on remarquera qu'elle s'inscrit harmonieusement dans la courbe même que décrit la rivière Anglin, entre La Forge et Bélâbre.
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D'autres questions se posent : l'Epeau ne cacherait-il pas l'Epona celtique ? L'axe Epeau-Jovard conduit en tout cas à la Gastevine puis à Bois Pictaveau, qui rappelle les Pictons (ou Pictaves) gaulois, dont on a vu les liens avec la déesse aux chevaux. Que signifie la présence de ce hameau dit Carthage, à la sortie du chemin de l'Epeau ? Il me faudrait également relever le circuit exact des sept croix (deux seulement sont signalées sur la carte). Il faudra revenir à Jovard.

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